L’ouvrage de Gauthier Aubert étudie les différentes formes de révolte, de résistance, de contestation face à la mise en place de la monarchie absolue en France. Il s’intéresse aussi aux répressions. Il propose de nombreux exemples et références. C’est une riche synthèse sur le fait rébellionnaire en France à l’époque moderne. Il permet de reprendre et de mettre à jour les travaux anciens d’autres historiens tels que Boris Porchnev (Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, 1964), Roland Mousnier (Fureurs paysannes : les paysans dans les révoltes du xviie siècle (France, Russie, Chine), 1968), Yves-Marie Bercé (Histoire des croquants. Étude des soulèvements populaires au XVIIe siècle dans le Sud-Ouest de la France, 1974; Croquants et Nu-pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIIe au XIXe siècle, 1991) et complète l’ouvrage de Jean Nicolas: La Rébellion française, mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), 2002.

 

Chapitre 1 : Les révoltés de sang bleu

La noblesse forme moins de 1% de la société. Les révoltes de sang bleu ne sont donc que peu nombreux, même s’ils peuvent mobiliser un nombre plus ou moins grand de partisans, qui espèrent toujours obtenir des retombées des succès de ceux qu’ils servent. Faut-il parler de « révolte » ? Noblesse oblige, les objectifs de ces mouvements sont souvent reliés à la haute politique. Aussi parle-t-on souvent de « conjuration », mot qui désigne le fait pour des gens liés par un serment de mener une action secrète contre l’autorité de l’État.
Arlette Jouanna est venue corriger cette vision et a contribué à décrypter un positionnement politique qu’elle a résumé par l’expression « devoir de révolte ».

Héritages médiévaux : bien public et devoir de révolte

Au Moyen Age, les thèmes repoussoirs des mauvais conseillers, de la justice injuste, de l’impôt illégitime et du roi ingrat sont déjà là. Mais le Moyen Âge lègue aussi un édifice institutionnel solide : du roi, personne, pas même les révoltés, ne conteste la légitimité. La noblesse l’a compris, et son éventuel engagement dans la révolte ne peut être simplement pensé comme une contestation, mais comme une revendication à être associée à l’édifice en construction. La noblesse doit participer aux réflexions sur la formation et la gestion de l’Etat. Concorde, harmonie, union, entraide, réciprocité sont les maîtres mots de la culture politique dominante. Et c’est en leur nom que l’on se révolte, pour rétablir une situation juste (par une négociation qui est le but ultime de la révolte) et non contre le roi qui n’est pas contesté en tant que tel. En revanche, pour la noblesse, ce roi ne peut espérer être un bon roi s’il ne respecte, ne récompense et n’écoute ce corps intermédiaire qui le sert parfois jusqu’à la ruine et la mort, corps dont il est le premier, et qui cherche à tempérer ses ardeurs, en particulier fiscales.

La balade des décapités

La régence de Marie de Médicis donne l’occasion au premier prince du sang, le troisième prince de Condé, de prendre les armes dès 1614. Ce dernier est insatisfait d’être tenu à l’écart de la réalité du pouvoir ; il refuse la politique pro-espagnole de la reine ; il cherche à obtenir des gratifications en échange des services rendus par sa famille. Concini, conseiller italien de la reine-mère, figure honnie du courtisan parvenu, concentre sur sa tête les critiques classiques exprimées à l’encontre des « mauvais conseillers ». Condé obtient, à l’issue du traité de Sainte-Menehould, l’ouverture d’états généraux, les derniers réunis avant ceux de 1789.
Ceci n’empêche pas le prince d’être populaire, non sans lien avec les haines suscitées, jusque dans la rue parisienne, par le fastueux et puissant Concini. Aussi la reine fait-elle arrêter Condé (1616), mais, tandis que l’on craint des prises d’armes nobiliaires dans plusieurs provinces, le jeune roi fait bientôt assassiner l’encombrant Italien, geste qui affermit son pouvoir en même temps qu’il légitime une partie des revendications des mécontents.
L’affirmation du pouvoir royal, la mort de Luynes (1621), la guerre faite aux protestants (1620-1629) peuvent l’expliquer. Toutefois, la montée en puissance d’un nouvel homme fort auprès du roi, Richelieu, maintient une certaine pression qui se traduit par des complots. Celui qui conduit à l’exécution de Chalais en 1626, né des manœuvres autour du mariage de Gaston d’Orléans, épouse les inquiétudes des grands seigneurs quant à la distribution des faveurs. En 1630, une coalition de mécontents et de dévots hostiles à la guerre contre les Habsbourg catholiques, jugée aussi ruineuse qu’impie, menace Richelieu, qui parvient à se maintenir au pouvoir de justesse au cours d’une Journée des dupes qui précède l’étêtement du parti dévot : la reine-mère est reléguée à Compiègne, le garde des Sceaux de Marillac est emprisonné, tandis que son frère, le maréchal de Marillac, est arrêté, jugé et décapité ( 1632).
Bientôt, c’est au tour de Gaston d’Orléans, potentiel héritier de la couronne, de se dresser, les armes à la main, contre la « tyrannie » du « mauvais » conseiller Richelieu, pour les droits politiques des parlements et pour « la liberté du peuple ». Celui-ci est décrit dans un manifeste de 1631 comme réduit à la plus noire misère. Mais le prince avoue aussi qu’il ne supporte plus le « mépris » dont il se dit victime. Après avoir échoué à soulever l’Orléanais, le voilà en Lorraine, terre d’Empire, dans la plus pure tradition des révoltes médiévales. De là, il rejoint avec son armée grossie de nobles provençaux et auvergnats les troupes levées en Languedoc par le gouverneur de cette province, le duc de Montmorency. Ce dernier s’estime de son côté injustement récompensé et insuffisamment reconnu pour ses mérites militaires. Il était en outre mécontent de voir l’administration royale s’immiscer dans la fiscalité languedocienne, ce qui lui valut le soutien des états de cette province. Mais c’est l’échec, marqué par la défaite de Castelnaudary (1632), suivie de la fuite de Gaston et de l’arrestation de Montmorency, blessé et décapité peu après à Toulouse. Deux autres de ses partisans connaissent le même sort, mais le frère du roi et héritier du trône est pardonné. La mort du duc rebelle, après celle des conspirateurs Chalais et Marillac et du duelliste Montmorency- Bouteville ( 1627), accrédita chez beaucoup l’idée que le cardinal était un tyran hostile à la noblesse. Le roi crut cependant prudent de renoncer à sa réforme fiscale en Languedoc.
La force d’un pouvoir royal qui finit par avoir un puis deux héritiers mâles (1638 et 1640), freinent la dynamique rébellionnaire. Celle-ci ressurgit cependant en 1641, avec un Bourbon, le comte de Soissons, qui entend débarrasser la France de Richelieu, faire la paix et rendre aux provinces et aux communautés la plénitude de leurs privilèges méprisés en ces temps de crues fiscales. À nouveau, un autre modèle que celui d’une monarchie absolue jugée nivelante est proposé. Aux côtés de soldats symboliquement ceints d’écharpes blanches – afin de montrer leur loyauté au roi -, les rebelles battent les troupes royales sur la Meuse. L’année suivante, un nouveau complot contre le cardinal lié à l’ennemi espagnol est éventé : Cinq-Mars, favori du roi, et De Thou sont décapités, trois mois avant la mort de Richelieu, alors que Louis XIII rêvait lui aussi de paix et de soulagement des peuples.
La mort prématurée de Louis XIII (41 ans) signifie de nouveau une régence, et donc, de nouveau, pour les grands, se pose la question angoissante de l’accès à la fontaine des faveurs. Dès 1643, la « Cabale des Importants » coalise les mécontents selon des modalités bien connues. Le meneur est encore un membre de la famille du roi, le duc de Beaufort, petit-fils d’Henri IV et de Gabriel d’Estrées, dont le père. César de Vendôme, a connu la prison et l’exil suite à l’affaire Chalais dans laquelle il était impliqué. Le cardinal- ministre enterré, ces vaincus de l’État-Richelieu viennent réclamer avec hauteur – d’où le surnom qui leur est donné ironiquement – la juste part qu’ils estiment être la leur. La régente Anne d’Autriche et Mazarin empêchent toutefois la cabale de devenir révolte par un geste audacieux et vigoureux : l’arrestation de Beaufort. On n’alla pas plus loin.

La Fronde : un chant du cygne

La Fronde, quelques années plus tard, conduit à des développements autrement plus fâcheux. Commencée par les officiers de justice, la contestation trouve des appuis chez des aristocrates mécontents de Mazarin, tel Beaufort ou Turenne. Au départ. Condé n’en est pas, ni Gaston d’Orléans : ces Grands jouent d’abord la carte de la collaboration avec Mazarin, plus supporté que réellement apprécié. Mais le premier, enivré autant de sa naissance que de sa gloire guerrière gagnée face aux Espagnols, réclame cependant tellement de place qu’il inquiète Mazarin qui, du coup, le fait arrêter, ainsi que son frère le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville. C’est donc le Cardinal qui a fait du prince un mécontent. Quant à Gaston, il attend 1651 pour entrer dans la danse, où il est rejoint par les vétérans de l’aventure languedocienne de 1632, qui percevaient combien lutter contre Mazarin était la suite de leur lutte de naguère perdue contre Richelieu. Les retournements de situations, les renversements d’alliances, le déluge de textes à l’utilisation malaisée rendent difficile la restitution des faits sans entrer dans un labyrinthe interprétatif. Mais, par-delà ce foisonnement théâtral s’exprime la claire volonté d’avoir la meilleure place possible dans l’État royal. Ainsi se comprennent les changements de camp : Turenne ou Bussy-Rabutin quittent Condé lorsqu’ils s’estiment insuffisamment reconnus par lui. Car le roi, soutenu par les financiers et mieux disant sur le marché des faveurs, l’a emporté en suscitant des ralliements, ce qui l’a mis en mesure d’offrir une sortie de crise non dramatique. Ainsi la plus grande révolte nobiliaire n’a pas débouché sur la moindre exécution capitale, rompant ainsi avec une pratique d’un demi-siècle. Certes, Condé est condamné à mort, mais il est en fuite, et certains de ses fidèles avec lui. De plus, il finit par se rallier, comme les autres grands seigneurs. Le 31 décembre 1661, la plupart des anciens révoltés sont symboliquement réintégrés dans l’État royal en étant faits chevaliers du Saint-Esprit.
Si, au niveau de la haute aristocratie, les logiques d’intérêts personnels semblent l’emporter, la moyenne noblesse reste de son côté fidèle à l’idéal du « bien public », comme le montre en particulier l’assemblée que tiennent 7 à 800 nobles à Paris en 1651.
En 1651, ces réformateurs ont encore l’espoir d’infléchir le cours des choses. Le pouvoir affaibli cède à leur demande et convoque les états généraux. Mais, bientôt renforcée tant par les divisions des frondeurs que par la majorité de Louis XIV, la monarchie s’abstient de les convoquer. Signe de l’importance accordée à cette institution, l’ajournement des états généraux est suivi de réunions sauvages, les « bailliages unis », destinés à maintenir une pression sur le pouvoir royal. Les nobles engagés dans cette voie en 1651-1652 ne passent cependant pas à l’action armée. Il aurait fallu pour cela qu’ils trouvent des protecteurs dans la haute noblesse, dont ils étaient politiquement dépendants.

Les leçons de M. de Rohan

Dès 1617, le duc de Rohan, habitué des prises d’armes, note que l’intérêt des grands est de servir le roi : « Je sais que ceux qui ont l’esprit bien réglé jugent que leur grandeur est celle de leur roi ; et plus heureux et plus assurés sont les grands sous un grand roi que sous ses petits souverains qui appréhendent tout ».
Ce qu’exprime Rohan et qu’illustrent les Condé père et fils, c’est donc bien le désengagement par la noblesse du champ rébellionnaire, processus amorcé par le haut. Pour comprendre cette « contagion de l’obéissance ». pour reprendre l’expression célèbre de René Pillorget, il faut d’abord souligner que, au XVIIe siècle, les logiques d’intérêt semblent avoir pris le pas sur le combat en faveur du « bien public », quand bien même celui-ci reste présent dans les manifestes justifiant les prises d’armes, équilibre entre intérêt et conviction, qui caractérise les révoltes plus anciennes, se rompt en faveur du premier terme. L’accès à la fontaine des faveurs devient de plus en plus premier parmi les motivations. La priorité est l’obtention de places et gratifications. Du coup, la seule raison qui pouvait pousser à se révolter était celle destinée à garantir les conditions matérielles de survie et éventuellement d’élévation de son lignage. Si le roi n’accordait pas ce qui était estimé juste d’être donné pour les services à lui rendus, il fallait le réclamer les armes à la main.
Comme le rappelle Arlette Jouanna, quand la Fronde naît, Condé se tient sans doute d’autant plus à distance des troubles qu’il vient de mettre la main sur de lucratives parcelles de l’État de finances.
Le dernier verrou a été levé en 1661 : en proclamant que, Mazarin disparu, il ne prendrait pas de premier ministre, Louis XIV achevait de déraciner le mécontentement. Désormais, il n’y aurait plus d’écran entre le roi et la partie de la noblesse susceptible de l’approcher. Le roi acceptait que chacun puisse le solliciter pour obtenir des récompenses pour les services accomplis.

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