Le manifeste d’un « citoyen sans frontières » disparu le 27 février 2013

Fiche réalisée par Franck Thénard-Duvivier, professeur d’histoire en Khâgne (Saint-Etienne).

Né à Berlin en 1917, dans une « famille non conformiste » selon ses propres mots, Stéphane Hessel arrive à Paris en 1924 où il fréquente l’avant-garde intellectuelle, entre à Sciences-Po puis à l’ENS (1939) après sa naturalisation en 1937. Fait prisonnier en 1940, il rejoint de Gaulle à Londres ; à nouveau arrêté en 1944, il est déporté à Buchenwald dont il s’évade. Devenu diplomate, il gagne les Nations-Unies où il participe, aux côtés de René Cassin, à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948). Sa carrière se poursuit à Saïgon, Alger, New York ou encore Genève. Élevé à la dignité d’ambassadeur (1981), proche de Michel Rocard, il participe à plusieurs instances officielles (audiovisuel, intégration, solidarité). Il prend parti en faveur des Sans-logis ou des Palestiniens. Il se présente sur la liste d’Europe Écologie aux élections régionales de 2009.

Stéphane Hessel est décédé à Paris le 27 février 2013 à l’âge de 95 ans.

En 2010, il fait paraître son petit manifeste de 14 pages qui devient un véritable phénomène éditorial avec près de quatre millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Un succès inattendu pour la petite maison d’édition Indigènes, créée en 1996 à Montpellier pour promouvoir notamment les savoirs et arts premiers. Ce petit livre a eu ses chantres (sur fond d’anti-sarkozysme) mais aussi ses détracteurs (à propos de la Palestine)…

Ce manifeste est issu de trois heures d’entretien avec Sylvie Crossman, co-fondatrice des Éditions indigènes, qui a voulu faire partager le ton du discours de S. Hessel sur le plateau des Glières le 17 mai 2009, en réponse à la commémoration officielle du président Nicolas Sarkozy et à la politique de son gouvernement en matière de lutte contre l’immigration clandestine. Il y dénonçait déjà la « scandaleuse législation qui parle d’un délit de solidarité » (Le Nouvel Observateur, 24 fév.-2 mars 2011, p. 21) en rappelant les valeurs de la Résistance et celles des droits de l’homme. Indignez-vous ! est bien le texte d’un homme engagé mais aussi celui d’une personnalité étonnante qui incarne la France résistante, humaniste, progressiste et militante.

S. Hessel affirme que les valeurs et principes édictés par la Résistance en 1944 participent au socle de la démocratie et sont « aujourd’hui plus que jamais » nécessaires : « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil national de la Résistance » (p. 9).

Or, S. Hessel estime que « c’est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd’hui en cause » (p. 11). A commencer par la Sécurité sociale, aujourd’hui directement gérée par l’État et non plus avec les travailleurs comme le prévoyaient les ordonnances de 1945. Affirmant que « le motif de base de la Résistance était l’indignation », l’auteur exhorte les jeunes générations à défendre l’héritage et les idéaux de la Résistance : « prenez le relais, indignez-vous ! » (p. 11). Dénonçant « l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie » (p. 12), il en appelle à la responsabilité individuelle de chaque citoyen car « la pire des attitudes est l’indifférence » (p. 14). Parmi les motifs actuels d’indignation, il identifie « l’immense écart qui existe entre les très pauvres et les très riches et qui ne cesse de s’accroître », mais aussi « les droits de l’homme et l’état de la planète » (p. 14-15).

Avant ce succès international, S. Hessel avait notamment publié un recueil de poèmes commentés, Ô ma mémoire (2006), une autobiographie, Danse avec le siècle (2007), que complète Citoyen sans frontière (2008), une série de « conversations », avec le journaliste J.-M. Herving, abordant son parcours et ses valeurs. En 2011, il publie un nouveau manifeste, Engagez-vous !, sous la forme d’entretiens avec le militant écologiste G. Vanderpooten conçus comme un « appel aux jeunes générations à se révolter et à s’engager » car il ne suffit pas de s’indigner…

– Compte rendu tiré de Les 100 livres d’histoire et de géographie pour enrichir sa culture générale et réussir les concours, F. Thénard-Duvivier (dir.), Paris, Ellipses, 2011. Sommaire.