Fiche géopolitique de l’Iran – 2018
Problématique : L’Iran, puissance régionale affirmée, est-elle capable de dépasser ce statut à brève échéance ?
I – L’Iran, une puissance plurimillénaire toujours incontournable
=> point essentiel de la fierté iranienne, son passé perse. Face aux Occidentaux, Grecs ou Romains, la Grande Perse fut une grande puissance incontournable. Citer Cyrus, Darius / dynasties des Achéménides, des Sassanides.
=> pays qui a su retrouver une place importante dans les relations internationales au cours du XXè siècle. Sous influence britannique puis américaine autour de la question centrale du pétrole et de la volonté de nationaliser ce dernier par l’entremise du premier ministre Mossadegh, finalement écarté par les Occidentaux en 1953. La révolution de 1979 qui porte les islamistes de Khomeiny au pouvoir marque un tournant (second choc pétrolier), la Guerre Iran-Irak 1980-1988 pèse sur les relations internationales. Rôle éminent de l’Iran dans l’opposition à Israël et aux Américains, soutien au terrorisme via le Hamas : Iran est incontournable au Proche et Moyen Orient.
=> un pivot stratégique : Iran pèse à l’Est sur l’Afghanistan / Balouchistan et donc Pakistan. Elle verrouille le Golfe Persique via le détroit d’Ormuz, s’oppose à l’Arabie Saoudite sunnite via les tensions au Yémen, Irak, Syrie, Qatar. Il faut rajouter un poids démographique réel (+80 Millions hab), puissance énergétique majeure (4è producteur pétrolier, 3è de gaz – + grand gisement du monde à South Pars) client majeur de la Chine.
II – Le rayonnement de la puissance iranienne
=> arc chiite : présence en Syrie (Allié de la famille Assad / Alaouites), au Liban, en Irak, au Yémen. Le soutien repose sur une aide matérielle, financière voire militaire dans le cadre du Hamas ou de la guerre en Syrie.
=> l’atout d’être un état voyou selon Washington. Paradoxe : mis au ban des nations par les USA, l’Iran se rapproche des puissances en compétition avec les puissances occidentales au Proche et moyen Orient. Accords avec la Russie (Tchétchénie, Syrie), avec la Chine (rencontres Xi Jinping / Rohani 2016, 2017), avec la Corée du Nord pour obtenir des facilités technologiques quant aux recherches sur le nucléaire / vecteurs sol-sol (voir cas des missiles Shahab 3 proche des technologies nord-coréennes).
=> intégration dans la mondialisation : immense potentiel touristique, marché porteur en fonction de l’assouplissement des sanctions internationales (cf intérêts des entreprises françaises comme Total, Peugeot ou Airbus au niveau européen), élites très bien formée, ouverture voulue par Hassan Rohani cf rapprochement avec Barak Obama de 2013 pour un accord sur le nucléaire iranien.
III – Des limites qui entravent une volonté d’hégémonie régionale
=> les limites internes restent prégnantes que ce soit au niveau des contestations politiques et sociales (exemple de 2017 avec une jeunesse qui réclame plus d’ouverture face à des religieux qui réclament plus de fermeté de la part de Rohani) ou des difficultés économiques (l’Iran dispose de beaucoup moins de devises que ses voisins, ce qui se voit par exemple dans un budget de la défense inférieur à ses voisins du Golfe Persique – rapporté aux effectifs l’Iran dépense 12 fois moins que l’Arabie Saoudite par exemple, quant au Qatar il va dépenser des milliards pour acquérir une puissance aérienne sans commune mesure dans la région à base de Rafales, Typhoon et F15QA). A cela s’ajoute un réel déficit en termes d’infrastructures dans les transports et des difficultés à gérer les problématiques de l’eau.
=> les armes d’une puissance faible. Il faut faire attention aux effets d’annonce (achat de S300 russes, volonté de se procurer des avions de 4è/5è génération de type Su-30, développement d’un blindé indigène sur la base du T90 russe, le « Karrar ») qui ne doivent pas occulter une réalité brute.
L’essentiel du matériel iranien est obsolète, l’épine dorsale des équipements datant des années 1970 : T72, Mig29, F4, F14, Mirages F1, Su-24. A aucun moment l’aviation iranienne ne serait en mesure de s’opposer aux forces aériennes ultra modernes (le pouvoir des pétrodollars) du Qatar, de l’Arabie Saoudite ou de l’ennemi israëlien, sans parler de la présence de bases occidentales dans la région. Sur le plan terrestre et maritime il en est de même, aucun blindé soviétique des années 70 ne peut affronter les Abrams / Challenger / Leclercs des armées voisines selon l’exemple irakien (1991 et 2003). La seule force du régime repose sur la masse de ses combattants potentiels pouvant atteindre le million. Quant aux menaces balistiques, réelles, elles peuvent être partiellement contrées par les divers boucliers anti-aériens disponibles sur le marché par l’entremise des USA. Après des décennies d’embargo l’Iran dispose donc d’une force adaptée à sa défense, « Artesh », mais qui ne saurait affronter une campagne type Irak 2003. Ceci explique aussi pourquoi l’Iran mise sur des moyens asymétriques, sous la tutelle du « Sepah », qui vont de la subversion classique au soutien à des actions terroristes. La principale force de l’Iran semble être sa cohésion nationale et son rayonnement millénaire voir dans un hypothétique bouclier nucléaire.
=> la question nucléaire ou la dépendance à Washington et Tel-Aviv semblent la clé des années à venor. La vulnérabilité iranienne a été clairement soulignée par l’attaque cyber des deux alliés à l’aide du vers Stuxnet (2010).
L’arme nucléaire semble être une voie comparable au cas nord coréen ; un pays mis à l’écart, militairement dépassé face aux grandes puissances, cherchant dans le nucléaire une garantie de survie. Les attaques rhétorique contre Israël et une lecture de certains « faucons » de Washington laisse à penser que toute arme nucléaire iranienne pourrait dépasser le cadre de la dissuasion. En la matière ni Tel-Aviv ni Washington ne semblent disposés à courir le moindre risque et c’est dans ce cadre que se situe l’accord sur le nucléaire iranien signé sous la présidence Obama et remis en cause, pour le moment verbalement, par Trump. L’intégration de l’Iran au monde dépend largement de cette question. En l’état Téhéran est à la merci d’un retournement de Washington ou d’une frappe préventive d’Israël. L’initiative appartient aux puissants, et Téhéran ne semble pas l’avoir.
Conclusion :
Les réussites iraniennes en Syrie auprès de son allié, Bachar El Assad, et des Russes, ne doivent pas occulter les évidences :
*L’Iran est une puissance régionale qui n’a pas pour le moment de capacités hégémoniques militaires capables de renverser les équilibres actuels au Moyen-Orient.
*L’Iran ne dispose pas d’alliés suffisamment forts et impliqués à ses côtés pour espérer affronter Israël ou les USA. La Chine et la Russie jouent leurs propres partitions, l’Iran dans ce cadre est utilisé plus qu’aux manettes. On retrouve ceic du côté de la diplomatie indienne qui se rapproche de Téhéran pour mieux peser sur Washington.
*L’Iran semble désireux de s’impliquer en Irak, non par volonté hégémonique, mais par volonté de constituer un glacis sécuritaire. Le parallèle avec les Russes en Ukraine peut être fructueux à méditer.
*La place de l’UE est singulière et peut être creusée. Aujourd’hui, face à Trump, c’est Bruxelles qui semble garant des accords sur le nucléaire iranien. Le marché de la puissance millénaire attise les convoitises européennes et on soulignera la proximité historique de la France qui, dans les années 1970, a accueilli Khomeiny …
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/09/27/le-virus-informatique-stuxnet-a-touche-l-iran-sans-degats-serieux_1416389_651865.html
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Sources de travail et des documents iconographiques utilisés :
*Diplomatie, Les grands dossiers n°37, Géopolitique de l’Iran, La renaissances ?, février-mars 2017, Aerion group
*Diplomatie n°91, Iran vs Arabie Saoudite, Luttes d’influence dans le Golfe, mars-avril 2018, Aerion group
*Conflits n°6, Le grand retour de l’Iran
*Conflit HS n°6, Décomposition et recomposition du Moyen-Orient
*Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, L’Iran en 100 questions, Paris, Tallandier 2018