Nous assistons aujourd’hui à une remise en cause des définitions de frontières comme entités fixes (même celle de Foucher)
Il apparaît en effet que la tautologie traditionnelle entre frontière/territoire/souveraineté [de l’État] ne tient plus. =) Il ne faut pas oublier de penser au débordement croissant de l’action des États hors de leurs frontières ainsi qu’à l’interférence d’acteurs privés dans la définition des limites internationales.
Vision de l’auteur : « les frontières sont des révélateurs de processus de domination à toutes les échelles dans la mesure où, dans une économie néolibérale, elles constituent un objet de flexibilisation de l’espace. » =) frontière mobile
La frontière touche la société dans tous ses aspects, toutes ses institutions, toutes ses échelles. C’est bien dans ce sens qu’elle fonde aujourd’hui ce qu’il est convenu d’appeler les border studies, ou études de la frontière, tout à fait pluridisciplinaires, dont l’objectif est de tisser un faisceau analytique pour capturer et mettre en commun des éléments d’un objet multiforme qui constitue plus qu’une limite de souveraineté internationale.
Frontières : États, Nations, et frontière linéaire, une co-construction ?
Paix de Westphalie (1648) : fin à la guerre de Trente Ans, généralement considérée comme l’acte fondateur de l’idée moderne de frontière linéaire, dans la mesure où elle vint consacrer l’idée d’un équilibre désormais territorial entre des souverains qui renonçaient à vouloir étendre leur autorité.
Moment où l’appropriation de l’espace bascule d’une conception féodale vers l’idée territoriale. On passe d’une situation où la sécurité des personnes dépend de grandes familles à un fonctionnement social, à la fois militaire et administratif, qui va centraliser la protection contre le prélèvement de l’impôt.
Les traités de Westphalie n’ont pas inventé la frontière, mais « seulement » l’idée de souveraineté
Conférence de Berlin de 1884-1885 est, elle, essentielle pour trois raisons :
Première raison : Réunion des puissances européennes pour définir leurs attributions coloniales respectives et se donner des règles formelles de partage de l’Afrique, elle rejoue tout d’abord le rôle de la paix de Westphalie à l’échelle mondiale, exportant les principes politiques « occidentaux ». »
Deuxième raison : processus de démarcation : les signataires de ce texte disposant de moyens techniques plus puissants qu’au sein de l’Europe moderne, qu’il s’agisse de la qualité des cartes ou des équipes d’arpenteurs, il devient pour la première fois possible de matérialiser la ligne sur le terrain de manière plus systématique, en principe du moins
Il faudra plus d’un siècle pour finaliser la démarcation des frontières africaines, un chantier relancé par le Programme frontière de l’Union africaine (PFUA) en 2007
Troisième raison : les frontières du continent africain sont déterminées depuis un centre politique qui lui est extérieur.
Il a donc fallu attendre la fin du XIXe siècle, le partage de l’Afrique et du reste de la planète, puis la fin de la Première Guerre mondiale, pour carroyer le monde et produire le planisphère que l’on connaît. Ce qu’il est convenu d’appeler la géopolitique classique, le fameux ordre international, ne naît finalement que fort tardivement, avec la fondation de la Société des Nations (1919-21).
Avec les traités qui mettent fin à la Première Guerre mondiale, réification de l’État et consécration de la frontière à la fois comme « aire d’extension de l’autorité de l’appareil d’État [et] comme celle du sentiment d’appartenance à une collectivité fondée sur des intérêts communs [qui] coïncident avec un territoire singulier, [lequel] s’en trouve doté d’une valeur d’homogénéité symbolique, la patrie, et d’uniformité politico-administrative
La SDN invente officiellement la proposition d’équivalence entre État et nation =) première base d’un système désormais « international » au sein duquel le monde se divise en sous-ensembles durables dont l’enveloppe doit être continue et stable
Les mouvements d’intégration régionale ont contribué à faire évoluer en profondeur le rapport à la souveraineté
Exemple : Traité de Maastricht (1992) avec création d’une monnaie unique, l’euro, qui entre en usage en 2002.: en transférant à cette institution leur indépendance monétaire, les dix-neuf États européens concernés ont admis un transfert de leur souveraineté qui bouleverse en profondeur la notion de territoire national. Cette dernière étape souligne la dimension économique de la fabrique frontalière, souvent sous-évaluée
Les États ont inventé les frontières pour des raisons tout autant économiques que politiques. Contribuer à définir des marchés internes de consommation, assurer l’approvisionnement des industries installées sur un territoire et la sécurité des flux commerciaux, notamment alimentaires, constituent donc des fonctions essentielles des limites internationales mais aussi l’impossibilité de la paix perpétuelle.
Chapitre 2
L’EXTRATERRITORIALITÉ DES FRONTIÈRES : CONTRADICTIONS DU MAILLAGE INTERNATIONAL DU GLOBE
SOUVERAINETÉ ET TERRITORIALITÉ : UNE RELATION AMBIGUË
Il faut désormais comprendre les frontières comme des objets politiques dont le rapport au territoire déborde les limites sur lesquelles ce dernier se définit. Loin de nier la notion de territoire ou de territorialité, une telle approche permet de comprendre les frontières dans une approche non pas « a-territoriale », mais « plus que territoriale
Notion d’équivalence des frontières et des États instituée officiellement par l’ONU est à remettre en cause =) la souveraineté déborde du territoire de bien des manières
CITOYENNETÉ ET DROITS AUX FRONTIÈRES : ASYMÉTRIES CROISSANTES
Les frontières ne sont pas inclusives par nature. D’après la géographe Christiane Arbaret-Schulz, « Une frontière est une construction territoriale qui “met de la distance dans la proximité” »
C’est bien un lieu qui nous permet d’opérer une projection de nous vers l’autre et de l’autre vers nous, dans une perspective binaire : on est soit dans le « nous », soit pas, et dans ce cas on est « eux », ceux d’en face.
Problème : Faire dépendre son identité de la définition de l’étranger, sur une base exclusivement territoriale rend très difficile le positionnement des groupes minoritaires de tout type.
Ex : diasporas plus ou moins reliées à un territoire référentiel (diasporas grecque et juive avant et après la création de leurs États respectifs,
La traversée des frontières est devenue tout à fait inégalitaire en droit. Le désormais fameux classement ou ranking des passeports fabrique une mappemonde dont les contours varient selon votre pays de naissance. Celles et ceux qui ont eu la chance de naître du « bon côté » du monde pourront s’y déplacer à l’envi. Ceux dont le passeport fait partie du « top 10 » des meilleurs accèdent sans visa à plus de 180 pays alors que ceux qui sont issus des pays les moins « cotés » n’ont accès qu’à une trentaine d’États. On trouve sans surprise au bas de cette liste les principales nationalités des personnes qui demandent l’asile « chez nous », dans les pays riches (Afghanistan, Érythrée, etc.). Pour eux, la faible reconnaissance des papiers d’identité de leur pays d’origine se couple aux difficultés croissantes de la prise en compte de leur statut dans les pays où ils souhaitent se rendre =) émergence d’un filet juridique qui fabrique un type de limite tout à fait inédit : une frontière qui n’a qu’un côté
Ce n’est plus le statut géographique qui détermine la situation juridique mais, au contraire, le statut juridique de la personne qui fait la frontière et oblige à repenser la citoyenneté.
ENCLAVES : QUAND LA SOUVERAINETÉ DÉPASSE LES BORNES
Nombreuses configurations qui dépassent la dyade entre deux entités stato-nationales, pour permettre soit des cas de frontières engageant plus de deux États, parfois non contigus, soit des cas impliquant État(s) et partenaire(s) privé(s).
Ex : enclaves dites du « pacha », entre l’Inde (dans l’État du Bengale-Occidental) et le Bangladesh (division de Rangpur), dont le sort n’est statué que depuis le traité de 2015, n’en laissant subsister qu’une sur les quelque 200 antérieures. Situation d’imbrication extrême : d’un côté 102 enclaves de territoire indien au sein du Bangladesh, dont 21 contenaient des « contre-enclaves » bangladaises et parmi elles une contre-contre-enclave indienne, dans un jeu insensé de poupées gigognes territoriales. De l’autre côté, 71 enclaves bangladaises incluaient 3 contre-enclaves indiennes. La vie quotidienne d’entre 50 et 100 000 personnes était troublée par de nombreux obstacles à la circulation et à l’accès aux droits.
EX :La ville catalane de Llívia, au cœur de l’enclave espagnole en territoire français : elle constitue l’un des nombreux témoignages du fait que, loin de suivre exclusivement la ligne de crête et de partage des eaux, la frontière pyrénéenne s’est construite sur des négociations longues prenant en compte de nombreux contentieux au niveau des vallées.
Ex : Ceuta ou de Gibraltar, passées en de nombreuses mains avant leur stabilisation actuelle, l’une comme possession espagnole au Maroc, l’autre comme possession britannique en Espagne, témoigne de l’intérêt majeur que représente la possession d’une enclave pour une grande puissance.
Gibraltar, réclamée par l’Espagne au début des années 1960, a été réglé par un référendum d’autodétermination au profit de la Grande-Bretagne en 1967. Le territoire était cependant exclu de l’espace Schengen pendant toute la période où le Royaume-Uni y a participé, jusqu’au Brexit de 2019 qui ouvre une situation de crise pour l’enclave. En tout état de cause, les limites externes de ces territoires obligent à penser la frontière autrement que comme l’enveloppe simple d’un État-nation. »
Recrudescence des concessions en ce début de XXIe siècle. Concernant à l’origine surtout des arrangements entre États, ils s’élargissent de plus en plus à des partenariats avec des acteurs non étatiques (compagnie commerciale, investisseur privé, consortium, etc.), agissant pour le compte des États, notamment dans le cas des accaparements de terres (le land-grabbing). Ce type d’accord peut parfois même être conclu par deux entités non étatiques qui agissent comme mandataires de procurations que leur donnent les États (proxies for states). Ces contrats privés ne sont pas ouverts à la consultation publique et contiennent des clauses de confidentialité ôtant tout droit de regard aux populations concernées.
Ex : La Corée du Sud fait partie de ces pays qui encouragent son secteur privé à obtenir des droits sur la terre à l’étranger (à Madagascar un projet d’1,3 million d’hectares a capoté, mais d’autres moins visibles se multiplient), notamment pour la mise en valeur agricole destinée à soutenir la consommation alimentaire « intérieure ».
Géographie flexible de l’extraterritorialité transforme en profondeur le sens des frontières comme périmètre exclusif du contrôle de l’usage d’un territoire, lequel peut devenir valeur d’échange comme tout autre bien, au détriment de ses usagers initiaux, à savoir les citoyens de l’État concerné. Ces transformations bousculent le rapport entre citoyenneté et territorialité du fait de redéploiements constants de la souveraineté, pour s’adapter aux opportunités du développement capitaliste.
Ex : Déploiement de main d’œuvre chinoise en Ethiopie pour l’agriculture
Il faut déconstruire la représentation de la frontière comme ligne est un acte politique autant que scientifique. Cela permet en effet de la combattre en tant que telle, notamment pour faire valoir les droits de celles et ceux que l’on n’entend pas dans le concert des nations, à savoir les personnes dites « subalternes » (Spivak, 1988).
Chapitre III : VERS UNE GÉOPOLITIQUE DES FRONTIÈRES MOBILES
DISLOCATION ET DÉMOCRATIE
Les frontières ne sont pas uniquement les contenants de l’État-nation mais elles sont aussi des éléments d’un dispositif flexible d’appropriation des ressources.
Amilhat Szary et Giraut, 2015 : « frontière mobile » =) pour rendre compte du rôle que jouent les limites internationales dans la flexibilisation des relations entre acteurs politiques et économiques.
Question importante : Comment rendre compte aux citoyens d’un territoire des agissements d’une institution définie a priori par la protection de ce périmètre mais qui, dans les faits, s’autorise à le dépasser de bien des manières ?
Il faut réserver le terme de « frontière » à une opération spatiale bien particulière, celle d’un rapport complexe entre distance et proximité retravaillé par le politique, où dimensions personnelle et institutionnelle s’entrechoquent.
OUVERTURE/FERMETURE/BLOCAGE
Dates importantes
1989 : chute du mur et espoir d’un monde démilitarisé
2001 : retour de la surveillance des frontières, exprimé à la fois comme un besoin sécuritaire et identitaire
2015 : intensification de l’exode méditerranéen et moyen-oriental en écho aux « printemps arabes » de 2011 et leurs suites militaires, notamment en Syrie,
2019 : COVID
Points communs : une réponse territorialisée face à une ou des menaces (ou des opportunités) qui, elles, ne sont pas territorialisées
La diffraction des espaces où la frontière se manifeste aujourd’hui est perceptible à travers des processus complémentaires :
Premier processus : Exportation ou de l’importation de la limite internationale : les mécanismes de contrôle des flux classiquement opérés en des points de passage de la ligne, les postes-frontières, sont désormais positionnés en amont ou en aval du franchissement lui-même (douane volante en France, poste frontière renforcé dans les ports aux EU). Même logique pour les flux d’hommes et de femmes : ex : auxÉtats-Unis, contrôle d’identité à la frontière en amont du passage de la ligne pour un certain nombre de liaisons aériennes à partir de 2008
Deuxième procédé : l’externalisation. C’est le transfert d’une partie des prérogatives de l’État souverain à un pays tiers, produisant de ce fait un élargissement du passage de la frontière qui commence donc, soit dans le pays d’origine du voyageur, soit dans un pays de transit.
Ex : Le premier accord de ce type portant sur les « flux clandestins », fut signé entre l’Italie de Berlusconi et la Libye de Kadhafi dès 2004, ce pays étant présenté comme une « zone de sas ». La négociation permettait la mise en place de patrouilles mixtes, formées de militaires libyens et de policiers italiens, à l’œuvre à la fois dans les eaux libyennes et dans les eaux internationales de la Méditerranée.
Ex : 2016 : accords entre l’Union européenne et la Turquie
Privatisation de la chaîne des acteurs qui opèrent la traversée des frontières se dvpe de plus en plus.
Ex : Israël a ainsi choisi une délégation de service public à certains de ses checkpoints pour tenter d’y faire baisser le niveau de violence par une forme de « professionnalisation » du processus et par l’invisibilisation relative de l’armée.
Ex : Agence Frontex : permet l’intervention de personnels de toutes les nationalités européennes sur le sol de tous les pays membres de l’Union. Il revient en effet aux États membres de lui fournir les moyens humains à déployer sur le terrain. Cela représente entre 1 200 et 1 500 agents en Europe, avec des projections de croissance visant à atteindre un corps permanent de 10 000 agents à l’horizon 2027.
Création de schémas de dissuasion (deterrence frameworks) dont l’importance et l’intensité se renforcent depuis une vingtaine d’années au point de peser d’un poids certain dans les relations Nords-Suds, à la fois d’un point de vue bilatéral et multilatéral.
POINT, LIGNES, ZONES : GÉOMÉTRIE VARIABLE DE FRONTIÈRES INDIVIDUALISÉES
Suivre les lignes : des frontières clivantes
Depuis 1994, la notion de « frontière mobile » existe bel et bien en droit international.
Ex : première modification de taille a concerné le Plateau Rosa, au pied du Cervin, où la fonte du glacier qui déterminait la ligne de crête a amené à décaler la frontière vers le support rocheux le plus proche, à quelques dizaines de mètres du tracé initial.
Les lignes internationales sont fortement mises à l’épreuve dans la définition des frontières hors du domaine terrestre, notamment en mer et dans les airs, mais potentiellement aussi dans notre sous-sol.
Dans ce contexte, on pourrait donc penser que les seules véritables frontières-lignes contemporaines sont les murs ou barrières, à savoir les limites effectivement renforcées pour des motifs sécuritaires et qui représentent aujourd’hui près de 15 % du linéaire frontalier du monde, un chiffre en augmentation rapide depuis les années 2000.
Fermer une frontière, c’est pour un État un investissement économique de taille : le coût de la construction d’un kilomètre est souvent supérieur au million de dollars, pouvant s’élever à plus de 6 millions, auxquels il faut ajouter le double pour l’entretien sur 20 ans, soit 20 millions de dollars du kilomètre sur certains segments de la barrière États-Unis-Mexique. La rentabilité politique se doit donc d’être à la hauteur : il s’agit bel et bien d’ostraciser ce qui est au-delà pour rassurer ceux que le périmètre de la barrière enclot.
Cette réaffirmation de la matérialité des limites internationales mêle des matériaux divers :
– le béton étant le plus photogénique mais aussi le plus cher, il est souvent accompagné de grillages ou de barbelés simples.
– les composants électroniques des murs qui en font des « smart borders » (ou « frontières intelligentes ») : caméras, senseurs, détecteurs de mouvement ou de chaleur, etc.
Ces éléments constitutifs des structures de séparation entre les États sont développés par un petit nombre de firmes globalisées dont le marché est en hausse constante. De très haute technologie, ils sont directement issus des recherches menées par l’industrie militaire de la guerre non conventionnelle – avec l’appui de financements publics, notamment européens, de la recherche dans ce domaine – qui trouve là un débouché d’autant plus important que les « produits » nécessitent peu d’adaptation fonctionnelle pour passer du domaine militaire au domaine civil =) « Les murs frontaliers se trouvent donc insérés dans le complexe sécuritaro-industriel, développement récent de la notion de complexe militaro-industriel dans les pays les plus riches »
Bilan de la sécurisation d’une frontière sur les traversées illégales : moins de traversées mais plus de létalité =) redéploiement des flux migratoires vers les régions les plus dangereuses à traverser, comme les déserts de l’Arizona aux États-Unis, la Libye sur le chemin de l’Europe
Connecter les points : des frontières réticulaires
Les îles jouent un rôle très particulier dans la configuration des frontières, qu’il s’agisse des lointains confettis témoins d’empires, des îles dépendant d’États proches, ou des îles autonomes politiquement.
Ex : grâce aux îles sur lesquelles elle maintient le contrôle, la France se trouve ainsi dotée de 11 035 000 km2 de territoire maritime (au deuxième rang mondial derrière les États-Unis) et, par conséquent, de frontières maritimes avec trente pays.
Ex : Lampedusa a joué ce rôle très particulier dans les migrations méditerranéennes contemporaines, du fait de sa très grande proximité des côtes tunisiennes, comme les îles du Dodécanèse grec de la mer Égée, face à la Turquie, ou encore les Canaries espagnoles au large de la Mauritanie. Elles se sont révélées des avant-ports de l’Europe, forcées d’abriter les naufragés rescapés des embarcations qui ne réussissaient pas les traversées
On trouve ainsi dans les îles méditerranéennes des structures qui répondent à deux types de fonction, l’une humanitaire, l’autre de rétention, toutes deux parfois opérées dans les mêmes espaces.
La localisation des nouveaux nœuds des frontières-réseaux n’est pas aléatoire : leur déploiement suit une logique longitudinale du contrôle des déplacements, depuis les lieux de départ vers les lieux d’arrivée en passant par tous les espaces de transit encouragés à jouer le rôle de « sas ».
Ex : pays des B alkans
Derrière toutes ces infrastructures matérielles de la frontière, une toile électronique est déployée, qui fait circuler de l’information =) Smart Border : recueil d’indicateurs réguliers, au travers de systèmes d’information
Épaissir la frontière : des frontières qui s’étalent
Région frontalière : espace qui n’est pas simplement strié par une ligne internationale, mais qui s’organise autour des relations induites par la possibilité de traverser cette limite.
Ex de l’UE : les espaces bordiers des frontières sont identifiés comme spécifiquement vulnérables, à la fois pour eux-mêmes, pour les pays dans lesquels ils s’insèrent, et pour l’Europe tout entière.
1990 : création du programme d’initiative communautaire spécifique, INTERREG, destiné à stimuler la coopération territoriale au travers des frontières à différentes échelles : dans une logique de proximité entre régions voisines mais aussi dans une logique de réseau, soit transnationaux (aide au développement extra-européen), soit inter-régionaux (entre régions européennes).
Concerne aussi des espaces non membres, notamment pour l’appui aux régions transfrontalières des pays candidats à l’adhésion (programme PHARE) : la coopération avec les régions ukrainiennes a ainsi pu se poursuivre tout au long de la crise récente que ce pays a connue avec la Russie.
Dernière étape administrative en date et en cours de négociation entre le Parlement, le Conseil et la Commission : mise en place d’ECBM (en anglais European cross-border mechanisms), mécanismes visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier, reposant sur l’idée de pouvoir utiliser localement le droit du pays voisin.
Les acteurs de la coopération transfrontalière sont donc particulièrement nombreux, issus des secteurs public (institutions supra-étatiques comme l’Union européenne ou le Mercosur, services de l’État déconcentrés ou régionalisés, représentants élus des territoires) et privé (entrepreneurs réunis au sein des Chambres de Commerce, entreprises de transport, lobbys variés, etc.). »
Ex : les zones d’intégration frontalière (ZIF) andines. Les grandes banques s’y voient en effet confier un rôle essentiel, celui de la sélection des projets frontaliers, étape préalable au financement des initiatives devant rapprocher les territoires. Les bailleurs les plus présents se trouvent être la Banque mondiale, mais aussi toutes les grandes institutions continentales et régionales : BID (Banque interaméricaine de développement, dont le siège est à Washington), CAF (Corporación Andina de Fomento) et FONPLATA (Fondo Financiero para el Desarrollo de la Cuenca del Plata).
La géographe Chiara propose en 2014 la notion de borderscapes, mot anglais inspiré de landscape ou paysage : contient la contradiction entre une géographie construite sur l’analyse des territoires et celle qui lui préférerait une analyse des réseaux.
PROPOSITIONS FINALES : OUVRIR LA TERRE, REPENSER LE MONDE
Les frontières dessinent une géographie complexe de l’autorité et renouvellent profondément notre rapport au politique.
C’est la frontière qui fait l’identité, et pas le contraire
La frontière est un lieu constitutif de notre équilibre psychologique, en ce qu’elle nous rassure par son existence tout en nous offrant la possibilité de la franchir.
Selon le géographe Jean Gottmann, les frontières représentent des lignes d’équilibres pour les États, matérialisant pour eux un compromis entre deux nécessités, la recherche de la sécurité d’une part, l’accès aux opportunités et aux ressources d’autre part
Les frontières jouent plutôt un rôle de différenciation que de séparation à proprement parler.
L’évolution récente des affrontements armés au XXIe siècle, qui voit les guerres civiles l’emporter de très loin sur les conflits entre pays, révèle la difficulté croissante, à cette échelle aussi, de distinguer l’intérieur de l’extérieur de manière binaire.