Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, la mondialisation n’a pas fait disparaître les frontières. Au contraire, le « rideau de fer » a été remplacé par des « frontières de fer ». Stéphane Rosière propose ici une lecture politique des frontières contemporaines.

INTRODUCTION

Thème de l’ouvrage : les dispositifs physiques, administratifs et idéologiques actuellement construit aux frontières internationales : les lignes séparatrices entre les territoires des Etats
Michel FOUCAULT (1997) ; Dispositifs : « ensemble hétérogène constitué de discours, d’institutions, d’aménagement architecturaux, de règles et de lois »

Gabriel POPESCU (2012) : « les frontières des Etats sont des délimitations politico- territoriales. territorialisées et symboliques, Elles marquent les limites d’espaces politiquement organisée et suggèrent leur cohésion »
Barrière (sens générique) : obstacle au passage. Suivant les cas, elle peut être clôture, mur, palissade, barrière administrative ou toute forme ponctuelle prise par le dispositif d’ensemble
• Sujet de l’étude : les barrières frontalières souvent appelées « mur » qui sont érigées un peu partout dans le monde
Ces barrières : le plus souvent récentes
-témoignent du raidissement du monde contemporain en termes de perception des frontières : plus envisagées en tant qu’opportunités mais en tant que menace et zone de danger

De quels maux ces barrières frontalières sont -elles les symptômes ? Comment à une vision ouverte et positive des frontières (Max ; chute du mur de Berlin) a succédé une ère de soupçon de la peur et des violences symbolisées par la multiplication de ces murs ?

Le processus contemporain d’accroissement des contrôles aux frontières a été qualifié de rebordering (ANDREAS et SNYDER, 2000, The Wall around the West : State Borders ant Immigration Controles in North America and Europe)
Le rebordering : un retour de la frontière que l’on croyait effacer entre autres par l’échange et la et la mondialisation ; se manifeste par une volonté de contrôle accru de la part des Etats

Wendy BROWN, politologue (2009) : « les murs actuels marquent moins la résurgence […] de la souveraineté de l’Etat-Nation qu’ils ne sont des icônes de son érosion » : Les États face à l’accroissement, entre autre, des flux transfrontaliers construisent des murs en réaction à leur perte de contrôle et de souveraineté
On est plutôt devant un processus de cloisonnement plutôt qu’un processus de fermeture ; en effet, si la fermeture vise à interdire les flux ; le cloisonnement vise à les diriger par la contrainte pour mieux les contrôler c’est le rôle du checkpoint.
Le cloisonnement frontalier est coercitif : il est médiatisé en Amérique du Nord depuis les attentats du 11 septembre 2001 et en Europe depuis la crise migratoire de 2015
Cette politique de cloisonnement est ancienne : avec choc pétrolier de 1973, la crise économique remet en cause l’ouverture des frontières face ou flux humains (la circulation)

La tendance à la fermeture des frontières face aux flux migratoires dans les États les plus riches n’a fait que se confirmer depuis cette période

Le mirage du monde ouvert après la chute du rideau de fer ( 1989) et la disparition de l’Union soviétique ( 1991) ne fut qu’une parenthèse
Dès 1994, l’Espagne (UE) met en place une clôture aux frontières de ses Presidios africains de Ceuta et Melilla
Le 11 sept 2001 renforce la dynamique

Plus des ¾ des barrières existantes ont été érigées au 21ème s
Une barrière frontalière est une construction mise en place le long ou à proximité d’une frontière internationale
Les éléments construits : le plus souvent des clôtures ou des grillages, parfois des éléments métalliques, plus rarement des murs de béton (plus coûteux) ou un mélange de ces éléments. Elles sont renforcées par des barbelés
Elles sont longées par une route de patrouille renforcée par les points de contrôle tour de contrôle avec gardien radar mais aussi des sites logistiques et des logements de garde-frontière ; elles sont ouvertes par des points de passage pédestre, routiers, ferroviaire, maritime ou aérien : ces passages : des checkpoints = point de passage frontalier (PPF) pour l’administration française ou ports of entry aux États-Unis
Si tous les PPF sont bien des checkpoints tous les checkpoints ne sont pas des PPF. Les frontières « opaques » dépourvues de points de passage sont rarissimes
L’objectif fondamental des barrières est de contraindre les flux à se soumettre au contrôle de l’Etat et donc à un refoulement éventuel
La barrière injecte donc clairement de la coercition dans la gestion de la mobilité que ce soit des échanges commerciaux ou de la mobilité
Les autorités publiques tendent aussi à militariser la surveillance de la frontière
La militarisation concerne la surveillance de la ligne frontière mais aussi des points de passage situés à l’intérieur du territoire : aéroports, gares internationales (POPESCU, 2010)
Le contrôle n’est pas circonscrit à la ligne frontalière : les PPF se sont multipliés ainsi que des contrôles policiers sur les territoires, exemple dans la zone Schengen le code frontières Schengen autorise les contrôles dans une zone de 20 km le long des frontières intérieures, autour des ports, aéroports ,gare ferroviaire, routière
De cette multiplication des points de passage et des lieux de contrôle sont nés les idées de « frontières mobiles » (AMILHAT-SZARY et GIRAUD, 2015 ) ou de « pixellisation des frontières » ( Bigo et Guild, 2005)
Le rebordering contemporain est exprimé par la multiplication des camps de rétention administrative
La barrière frontalière est un élément visible et symbolique du durcissement du régime migratoire, la partie émergée de système de contrôle complexe et proliférants ; plus visibles et plus médiatisées mais peu étudiées
Juste trois livres en français :Alexandra Novoseloff etFranck Neisse, 2007, Des murs entre les hommes ; Wendy Brown, 2009, Murs : les murs de séparation et le déclin de la souveraineté politique ; Frédéric Niel, 2011, Contre les murs
Elisabeth Vallet , 2014, Borders, Fences and Walls. State of insecurity, comptabilise les barrières frontalières
Si les Etats aiment communiquer à propos de la construction de « murs », ils sont plus évasifs en ce qui concerne l’étendue des dispositifs ou leur coût
La frontière internationale est un objet scientifique tardivement étudié par la géographie politique ou la géopolitique
1970’ : réhabilité comme objet d’étude (Paul Guichonnet et Claude Raffestin, 1974, Géographie des frontières)
Michel Foucher : référence en la matière
Croyance en un monde sans murs après la chute du mur : Kenichi Ohmae (Ancien directeur du cabinet de conseil McKinsey au Japon, The Borderless World : Power and Strategy in the interlinked Economy) , 1999 ; Mike Moore, directeur général de l’OMC, a World Without Walls :Freedom, Development, Free Trade and Global Governance, 2003
1990’ : objet ringardisé
Objet marginal : enveloppe extérieure de l’Etat
Etude de son effacement et des logiques transfrontalières : dans une perspective néolibérale
Années 2010 : réévaluation importance des frontières avec les attentats en Europe et la vague migratoire de 2015
Anne- Laure AMILHAT – SZARY : 2015, Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ? ; Bruno TERTRAIS et Delphine PAPIN, 2016, l’atlas des frontières, murs, conflits, migrations ; Olivier ZAJEC , les Frontières, des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui , 2017…
La frontière est redevenue centrale dans la gestion des flux et dans les rapports aux autres. C’est une matrice qui participe non seulement de la construction des territoires politiques mais de l’ordre politique en général
Les barrières frontalières sont fréquemment analysées comme une réponse à l’insécurité lié à une « société du risque « (Ulrich Beck, La Société du risque : sur la voie d’une autre modernité, 2001) ou une « modernité liquide » (Zygmunt Baumann , Liquid mondernity, 2000) un monde « fluide » qui s’oppose à toute velléité de contrôle
Wendy Brown (politiste) : tentative des Etats pour retrouver souveraineté remise en cause par mondialisation
Reece Jones et Corey Johnson(2016) redéploiement du pouvoir souverain des Etats plutôt que sa disparition
Stéphane Rosière : La frontière est un révélateur des tensions contemporaines ; les barrières frontalières expriment mieux ces tensions que la frontière en général
Au-delà des du cas des frontières la prolifération des murs dans les agglomérations urbaines exprime aussi cette tension contemporaine la construction des quartiers fermés est un phénomène ancien mets du désir de protection et de sécurité de la part de citadin aisé
Néologisme « Teichopolitique » [té-i-ko] : toute politique fondée sur la construction de murs ou de dispositifs de cloisonnement de l’espace
Paradoxale dans le mouvement de mondialisation qui produit de l’échange mais aussi du contrôle tous azimuts
La construction de murs devient un marché considérable qui mobilise les acteurs publics (Etat ,collectivité locale), les acteurs privés (entreprises), la société civile (association de citoyens), les acteurs informels (gangs, mafias..)
Dimension économique : « teichoéconomie »

Sommaire
1ère partie : géohistoire des barrières frontalières
2e partie : l’épanouissement contemporain des frontières barrières
3e partie : des barrières frontalières comme marché et comme espace létal

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