La fiche de lecture complète de l’ouvrage Atlande sur l’Amérique latine. La fiche est très dense et est donc découpée en plusieurs parties. 

Ici se trouvent l’introduction et la partie « Thèmes »

La partie « Repères » se trouve ICI.

INJUSTICES SOCIALES ET INJUSTICES SPATIALES

Les pays d’Amérique latine, dans leur majorité, appartiennent au groupe des pays à revenu intermédiaire (selon les chiffres de la Banque Mondiale en 2020). Trois seulement sont dits à haut revenu (Chili, Panama et Uruguay) et cinq sont classés à revenu faible (Bolivie, Haïti, Salvador, Honduras et Nicaragua). Outre les inégalités entre les pays, il faut noter les violentes inégalités internes aux pays, comme le montrent les villes avec leurs quartiers informels – favelas du Brésil, ranchos de Caracas, vilas miserias de Buenos Aires, barriadas du Pérou – jouxtant parfois les beaux quartiers. Dans les campagnes également de nombreux paysans sans terre cherchent quotidiennement des moyens de survie.
Pour analyser ces configurations géographiques, sera ici mobilisé le concept de justice spatiale. Il soulève deux interrogations : ces inégalités sont-elles des injustices, et, si oui, en quoi ces injustices peuvent-elles être qualifiées de spatiales ? Est injuste une situation où les plus pauvres sont négligés alors que l’amélioration de leur sort devrait être un objectif prioritaire. La seconde question interroge l’attribut « spatial » accolé à la notion. La justice spatiale fait référence au rôle que le territoire joue dans la production de ces injustices, dans leur maintien souvent et dans leur aggravation parfois. Le terme désigne donc davantage que la simple distribution géographique d’une injustice. Il devient pertinent lorsque l’organisation de l’espace agit sur les conditions de vie des populations et constitue un enjeu dans l’interaction sociale. Il s’agit donc d’étudier la composante spatiale des injustices sociales dans une démarche géographique, cad socio-spatiale.

L’AMERIQUE LATINE, UNE CONSTRUCTION TERRITORIALE FAITE POUR SERVIR L’INJUSTICE SOCIALE

L’organisation du territoire mise en place par la colonisation lui a largement survécu et n’a été vraiment remise en question qu’au Brésil. Lors des indépendances, acquises pour l’essentiel au début du 19è, ce furent les élites de la période coloniale, propriétaires fonciers de bourgeois commerçants qui prirent le pouvoir. Le maintien de l’ordre social alla de pair avec la permanence des structures spatiales : les hiérarchies, les inégalités et les injustices ont été maintenues.
Le fait majeur du dispositif était la distance à la côte, et plus précisément la distance au port d’exportation. Sa forme élémentaire est la région productrice directement branchée sur les infrastructures portuaires, comme au Brésil avec la région du cacao et son port Ilheus, ou, en Amérique centrale avec les enclaves bananières des compagnies étrangères. Il est des formes plus élaborées. Ainsi, le Pérou présente-t-il d’abord une grande capitale, Lima, au bord du Pacifique, puis un littoral – la Costa – ouvert aux échanges avec l’étranger, ensuite un arrière-pays andin – la Sierra – moins productif et plus traditionnel dans son économie comme dans ses usages sociaux et, enfin, une forêt amazonienne – la Selva – encore largement inexplorée. Chaque pays a ses particularités, mais le caractère extraverti du territoire exprime partout la dépendance économique. Dans le Nordeste du Brésil : les ports de Recife et de Salvador de Bahia, la zone dite de la Mata en monoculture de canne à sucre, plus loin l’Agreste et sa polyculture vivrière, et enfin, plus loin encore, l’élevage bovin extensif dans le Sertão semi-aride. Au Venezuela, avant que l’extraction du pétrole et du minerai de fer ne vienne changer la donne : les plantations de la zone littorale, les cultures vivrières de la montagne andine, l’élevage extensif des Llanos et enfin l’immense forêt peu intégrée à l’espace économique. Dans ce cas, la capitale n’a pas été installée sur la côte, mais, soulignant la nécessité d’une liaison avec l’extérieur, La Guaira est en quelque sorte le port de Caracas. De même, São Paulo, la capitale économique du Brésil d’aujourd’hui, a-t-il besoin du port de Santos et, au Chili, la capitale Santiago fonctionne-t-elle avec l’ouverture sur l’océan que lui offre Valparaiso. Au Mexique où les Espagnols avaient choisi de construire leur capitale sur les ruines de l’ancienne Technotitlan, la route Mexico – Veracruz a très tôt été un axe structurant du pays. En Équateur, le port de Guayaquil est plus important sur le plan économique que la capitale Quito ; comme le Pérou, ce pays présente une structure ternaire, avec les terres basses du Guayas et leurs plantations, les cordillères andines moins ouvertes sur l’extérieur, la forêt amazonienne enfin avec ses fronts pionniers. En Argentine, les habitants de Buenos Aires sont les Porteños, les gens du port, ce qui rappelle que la capitale est d’abord un port. Certaines frontières ou limites administratives ont une signification identique quand, partant d’une façade littorale (ainsi en est-il des Guyanes), elles délimitent les espaces conquis ou à conquérir, et à insérer dans le commerce international.

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