Cette fiche de lecture sur les campagnes françaises et la vie politique ne se limite pas à l’article de Jean Vigreux. Elle est complétée par des compte-rendus des travaux d’autres historiens et historiennes qui ont travaillé sur la politisation du monde rural au XIXe siècle.

Avec le développement du libéralisme politique dès 1830, puis l’affirmation des idéaux républicains à partir de 1848, on assiste à une intégration plus large des campagnes à la vie politique. Généralement, on admet que l’on assiste à la « descente de la politique » vers la paysannerie (Maurice Agulhon). Ce phénomène s’exprime par un élargissement du corps électoral qui intègre de plus en plus des citoyens issus des couches populaires et qui participe à l’intégration nationale et à l’acculturation républicaine. La création du suffrage universel et la pratique du vote, y compris dans les campagnes, sont au cœur de ce processus.

Jean Vigreux se pose cette question: est-ce que la politique se résume à la participation électorale ? N’y a-t-il pas d’autres formes d’expressions politiques ?

La politisation du monde rural : des processus variés

L’entrée en politique : les débats sur le cas français

Une question majeure : quand les paysans entrent-ils en politique ? On connait la phrase de Karl Marx sur l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte. Le vote de décembre 1848 est « la première manifestation des ruraux en politique » (Alain Corbin).

Jean Vigreux développe trois réponses différences, qui correspondent à trois moments, qui renvoient aussi à trois écoles historiques.

La première se situe dans la lignée de Georges Lefebvre et d’Albert Soboul

Elle considère que l’élément fondateur est la Révolution française. Anatoli Ado, qui a revisité ce chantier en insistant sur les sept jacqueries paysannes au cours du temps révolutionnaire (1789-1794), souligne que les paysans prennent en charge collectivement les affaires publiques, ce qui débouche sur la politique, donc sur la citoyenneté : les révoltes se politisent de plus en plus, passant de luttes de subsistances à des conflits politiques. Michel Vovelle et Melvin Edelstein ont également porté leur regard sur la place des paysans dans la Révolution ; ils soulignent bien leur apprentissage de la politique via le vote et l’élection. Michel Vovelle distingue des ères géographiques et sociales variées : la « France du silence » ; la « France de la parole » ; la « France conservatrice » ; et la « France jacobine ». La Révolution française est ainsi perçue comme un événement fondateur, structurant, qui inscrit les paysans dans une dynamique durable.

La deuxième interprétation considère que la IIe République permet l’apprentissage de la vie politique avec le suffrage universel

Ainsi Maurice Agulhon propose-t-il une période allant de 1848 à 1851, incluant le vote démocrate socialiste en 1849, mais aussi la résistance au coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte 7. Il faut souligner le fait que le suffrage universel donne une place considérable aux paysans, et plus largement aux ruraux, qui ont entre leurs mains le destin national. C’est bien le nombre qui pèse. Un jeu d’aller-retour doit alors être pris en considération, à savoir comment les paysans s’appro- prient leur droit de citoyen et comment le(s) pouvoir(s) répond(ent) à leurs attentes.

Le dernier moment est celui mis en évidence par l’historien américain Eugen Weber, qui pense que la paysannerie dans son ensemble est entrée tardivement en politique : entre 1870 et 1914

Il explique l’intégration progressive des paysans à la  Nation. Ce monde paysan est pour lui archaïque, voire « sauvage », et les intérêts locaux des villages n’entrent pas dans la politisation : selon l’auteur, la poli- tique paysanne est directement liée aux soucis matériels et aux problèmes locaux se manifestant à travers l’affrontement d’hommes du cru. Pour lui, il y a une politisation républicaine en « trompe l’œil »  Cette thèse a été fortement contestée par l’historiographie française, en particulier par Maurice Agulhon et Philippe Vigier, d’autant que le cadre géographique de l’auteur privilégie une France rurale au sud d’une ligne Saint-Malo/Genève où les régions de montagnes occupent une place importante.

La politisation est un processus long et cumulatif

Le tout s’inscrivant dans un jeu d’échelles : hameau, commune, département, et Nation, il s’agit d’appréhender le temps long de l’acculturation politique.

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