Le sujet d’agrégation externe 2025 s’intitule « Vivre à la campagne en France ». Il débute en 1815, après la chute de Napoléon Ier. Si l’approche désormais classique (et, il faut le dire, pesante) des sujets d’agrégation semble se limiter à l’espace français, le sujet s’ouvre cependant sur une crise climatique et ses conséquences agricoles pour lesquelles ni Napoléon, ni Louis XVIII, ne peuvent être tenus pour responsables. Afin de comprendre les difficultés environnementales que subissent les habitants des campagnes françaises jusqu’en 1818, notamment dans les Alpes, il faut élever le regard et tourner nos yeux vers un autre monde : celui des volcans de la Ceinture de Feu, et plus précisément, vers deux volcans de l’archipel indonésien, dont les éruptions destructrices en 1809 et 1815 ont provoqué une catastrophe planétaire. Ce lien entre volcanisme tropical et bouleversement climatique mondial a été mis en évidence en 2014 par l’historien américain Gillen d’Arcy Wood dans Tambora : the eruption that changed the world (traduit en français en sous le titre : L’année sans été. Tambora, 1816. Le volcan qui a changé le cours de l’histoire, La Découverte, 2016).

1) Des campagnes européennes qui souffrent d’un climat de fin du monde

Dans le chapitre 3 de La révolution inachevée (Belin, 2010), Sylvie Aprile peint de façon lacunaire la situation des campagnes françaises après la chute du Premier Empire : « Les années 1815-1848 sont une période de progrès agricoles lents et inégaux selon les régions mais réels. La Restauration est marquée par la croissance agricole, malgré deux périodes de difficultés. En 1816-1817, de mauvaises récoltes et les réquisitions des armées d’occupation provoquent encore une disette dans plusieurs régions de France ».
Les propos sont très vagues et indifférents. Il est utile de les comparer à des témoignages historiques plus descriptifs de la situation des campagnes à la même époque. En 1816, par exemple, Mary et Percy Shelley se trouvent en Suisse, sur les bords du Lac Léman. Au début du mois de juin, ils découvrent avec stupeur des tempêtes formidables de vent et de pluie, une tempête de neige en juin et un froid exceptionnel pour la saison ; les villageois du voisinage se plaignent du retard du printemps. Ils savent déjà que les récoltes seront mauvaises.
Au même moment, lord Byron compose un passage sublime du célèbre Pèlerinage de Child Harold qui décrit une nuit tumultueuse et une terrible tempête sur le lac Léman le 13 juin 1816 : le poète y célèbre alors le pouvoir destructeur des éléments naturels. Quelques jours après l’orage diluvien, dans la nuit du 18 juin 1816, c’est ce « climat de fin du monde » qui inspire à Mary Shelley son célèbre Frankenstein.
Deux ans plus tard, en 1818, les Shelley, mais aussi les frères Raffles, qui traversent la France et la Suisse, notent que les céréales pourrissaient dans des champs détrempés par la pluie, que les vignerons font des vendanges désastreuses, que le prix des céréales est multiplié par 2 ou par 3 et que les routes sont parcourues par de nombreux mendiants, en particulier des enfants.
Ce que semblent ignorer ces observateurs, c’est que cette crise agricole qui frappe les campagnes françaises en 1816 et 1817 s’inscrit dans une autre séquence : celle d’un refroidissement du climat planétaire et d’un changement climatique global entre 1809 et 1818. Les années 1810 ont été les plus froides des années froides.
Plusieurs sources témoignent de ce changement inattendu : elles n’ont pas toujours été comprises par les observateurs.
Ainsi, les peintures à l’huile de Caspar David Friedrich telles que Deux hommes au bord de la mer (1817), Femme devant le coucher de soleil (1818), Deux hommes contemplant la lune (1819-1820), Lever de lune sur la mer (1821), Le rêveur (1840), mettent en évidence un ciel jaune éclatant qui fait penser à la contemplation romantique du lever ou du coucher du soleil. Mais la couleur jaunie du ciel n’est pas qu’une interprétation fantasmée du peintre de la nature mythique : pendant plusieurs semaines au cours de l’année 1816, le ciel a vraiment eu cette couleur sans discontinuer ! Une sorte de brouillard, un voile de poussière, masquait le soleil et en tamisait la lumière.

2) La cause de ce refroidissement climatique : une éruption volcanique en Indonésie

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Ainsi, le désastre climatique et agricole des premières années de la Restauration témoigne de la nécessité d’insérer l’histoire des campagnes dans une histoire globale. Les effets du dérèglement climatique lié au volcanisme sont évidents depuis des millénaires, même s’il a fallu attendre le développement des technologies de recherche et l’écriture agréable à lire de l’ouvrage de Gillen d’Arcy Wood pour apprécier cette relation invisible. Cet exemple montre que même un sujet d’agrégation a priori proprement français gagnerait beaucoup à sortir enfin de ses cadres nationaux traditionnels.