Etre touriste, c’est habiter le territoire des autres et venir dans un lieu avec un projet fondé sur des pratiques. Dès lors, faire du tourisme c’est fréquenter des lieux et les transformer par notre présence. Et sans doute le tourisme est l’activité humaine qui a transformé et créé le plus grand nombre de lieux devant l’industrie, à l’échelle du Monde et sur le temps long.
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Par leurs formes urbanistiques et aussi architecturales, les lieux touristiques interpellent. De nombreuses tentatives ont été proposées pour les appréhender et rendre compte de leur identité et de leurs spécificités [LOZATO-GIOTARD, 1987 et 1990 ; CAZES, 1992 ; DEWAILLY et FLAMENT, 1993]. Aujourd’hui, il est possible de proposer une typologie géographique des lieux qui soit une alternative à la « vocation », à « l’attraction » ou aux seules « ressources naturelles » pour expliquer l’existence et la localisation de telle ou telle destination, sa forme et son fonctionnement.
Enfin, un lieu touristique n’est pas figé mais évolue au fil du temps. Le changement de forme produisant parfois des changements dans la nature même du lieu. Cela conduit à montrer la remarquable performance des destinations à durer, ce qui interroge la pertinence de certains modèles [BUTLER, 1980 et 2006 ; CHADEFAUD, 1987 ; MIOSSEC, 1977 ; PLOG, 1974 et 2001]. Car la plupart des lieux touristiques sont des lieux urbains et des systèmes spatiaux et sociaux ouverts. Dès lors, ils peuvent capter l’innovation et s’adapter assez facilement aux changements.
I – Logiques d’apparition et caractéristiques des lieux touristiques
Avant de proposer une typologie des lieux touristiques, il convient d’en identifier la genèse. Comment un lieu devient-il touristique ? Deux logiques spatiales ont été identifiées : soit un établissement humain préexistait au tourisme sous la forme d’un village ou d’une ville, grande ou pettte ; soit le lieu a été créé par le tourisme. Rien de tangible n’existait avant, aucun établissement humain ne s’étant développé préalablement. Cette double logique a été identifiée par Daniel Clary en 1977, quand il évoquait à propos du littoral normand : « Le tourisme ne peut y prendre place qu’à 2 conditions. Ou il utilise les points d’appui urbains en profitant de leurs relations avec l’intérieur, et de leurs structures d’accueil […] Ou bien, deuxième possibilité, le tourisme profite de quelques zones de faiblesse, mal tenues, presque inutilisées : l’entre Dives et l’Orne, le débouché de certaines vallées et valleuses cauchoises. L’espace investi par les touristes n’était pas utile (le bord de mer n’est guère favorable à l’agriculture par exemple) » [CLARY, 1977].
Ainsi, il n’y aurait pas de « vocation » mais une « subversion » du lieu au sens de « bouleversement, renversement de l’ordre établi » [MIT, 2002] ou une création. Car ce sont des productions sociales et spatiales nourries des imaginaires, des attentes et des besoins des populations et leur localisation dépend à la fois des qualités intrinsèques du lieu, de la posture des sociétés locales à l’égard du tourisme et des projets des touristes. Toutes les plages et toutes les vallées montagnardes sont potentiellement touristiques car ce sont des ressources touristiques indéniables. Pourtant tel n’est pas le cas.
Ainsi le lieu touristique naît d’un double arbitrage : l’un relève des touristes qui vont distinguer, dans l’ensemble des propositions spatiales, les endroits qui leur conviennent. Cette distinction peut dépendre de connaissances acquises, d’une habitude à fréquenter des lieux proches et au moment idoine, décaler le regard pour aller vers tel littoral ou telle vallée ou de l’émergence d’un projet. L’autre est un arbitrage au sein de la société locale. Cette idée de l’accueil est au cœur du système touristique car sans cela, les touristes ne viennent pas ou ne reviennent pas. Il y a donc un choix fait par les habitants et/ou les responsables politiques locaux à recevoir sur leur territoire des personnes différentes dans leurs pratiques. Comme le proposait R. KNAFOU, il n’y a pas de développement touristique possible sans l’accord tacite ou réel de la société locale ou d’une partie d’entre elle [KNAFOU, 1992].
1) Investir, divertir et créer un lieu
Cette question se pose tout particulièrement quand les touristes arrivent dans un lieu déjà constitué. Ils représentent une population nouvelle à celle déjà présente. Deux raisons peuvent expliquer l’émergence du tourisme.
D’une part, il se développe au moment d’une crise des activités traditionnelles et la société locale peut alors le considérer comme un nouveau moteur de la dynamique économique et sociale locale. Ainsi, contrairement à de nombreux discours, le tourisme ne détruit pas une activité pré-existante florissante mais vient atténuer les soubresauts d’un secteur économique en difficulté qui, peut-être, à terme disparaîtra. Dans ce cas, l’arrivée du tourisme relève d’un choix des élites de la société locale et d’un arbitrage entre plusieurs projets de société.
Sur le littoral normand, par exemple, l’effondrement de l’artisanat textile, la déroute de la pêche et l’intérêt moindre pour ramasser le varech face à l’émergence des engrais chimiques a conduit au développement touristique au 19ème [CLARY, 1977]. De même, il s’est développé sur Costa Brava à un moment où l’activité d’exploitation du liège connaissait de grandes difficultés [BARBAZA, 1966], tout comme le recul de la ressource halieutique constaté dès 1952 conduisit le maire de Benidorm à proposer le Plan Général de 1956 pour faire du tourisme la clé de voûte du développement local, alors que cette activité était déjà présente depuis la fin du 19ème. Au Népal, l’exiguïté de l’espace cultivable, la fermeture de la frontière avec le Tibet qui était une route de commerce très importante ont contraint la société locale de la vallée du Khumbu à faire le choix du tourisme pour éviter l’émigration, une fois les limites des progrès techniques agricoles atteintes [SACAREAU, 1997]. Les fluctuations de l’industrie sucrière ont été le ferment d’une reconversion vers le tourisme de l’île Maurice [PEBARTHE-DESIRE, 2000 ; GREGOIRE, 2008].
D’autre part, l’investissement des lieux par le tourisme peut assurer une diversification des activités économiques. Pour les grandes villes, cela ne remet pas en cause l’organisation de l’espace urbain. Ainsi, aux villes-étapes du Grand Tour comme Paris ou Genève sont venues s’ajouter les villes disposant d’un patrimoine et/ou d’1 modernité urbaine comme New-York ou Barcelone dès la fin du 19ème. Aujourd’hui, le même mouvement existe et la mise en tourisme de nouveaux pays débute généralement par leurs capitales politiques, économiques et/ou historiques. Ainsi en a-t-il été de la Chine, avec Beijing, Shanghai au cœur des voyages touristiques étrangers ou nationaux. Dans ces villes, le tourisme s’intègre pleinement à l’existant, et tous les projets peuvent servir les habitants permanents, les visiteurs et les touristes.
Pour certaines villes plus petites, le tourisme est devenu, dès le Grand Tour, l’activité dominante. Les villes de Toscane sont de celle-ci, et plus tard d’autres villes ont été redécouvertes par les voyageurs du 19ème comme Bruges, Venise ou Tolède. Ici la présence du tourisme est forte et supplante très largement les autres activités. On dénombre 25 millions de touristes à Venise pour 55 000 habitants. Les projets urbains sont pleinement tournés vers cette activité qui devient souvent une mono-activité. Ici, l’effondrement du tourisme signifierait une crise majeure pour le lieu. Pourtant, la fréquentation actuelle pose problème aux habitants et aux autorités locales et des stratégies de décroissance touristique sont évoquées.
Pour d’autres villes encore, les logiques d’organisation ne seront pas les mêmes. Car le développement du tourisme conduit à la construction de nouveaux quartiers à côté de l’ancienne ville. Ainsi s’est constitué à partir de 1837 un nouveau quartier le long de la route de France à Nice intégrant le Chemin des Anglais. Cela a constitué la base de la « station touristique ». De même à Majorque, le quartier de Terreno édifié au pied du Château de Bellver dans la Baie de Palma devint le quartier touristique de la capitale avec le 20ème. Toutefois, l’une et l’autre ville ne connurent pas la même destinée. Nice devint une station touristique très importante dès les années 1870/80. Depuis, elle a évolué vers une ville touristique alors que Palma est devenue une ville touristique sans que ses autres activités ne soient muselées ou disparaissent. Denia (Costa Blanca, Espagne), Essaouira (Maroc) ou Hammamet-Nabeul (Tunisie) sont d’autres exemples…
Pour les villages, la même logique s’observe : celle d’1 développement urbain dans la continuité du village. Ainsi en est-il du projet de Luchon proposé dès 1754, du quartier de la Forêt à St-Gervais les Bains à la fin du 19ème, de Trouville dont le quartier touristique se développe sur la commune voisine d’Hennequeville ou encore de Benidorm à partir de 1956 de part et d’autre du village de pêcheur situé à la jonction de la plage du Levant et du Ponant. Dans tous ces cas, le plan général du « quartier » touristique répond à des logiques précises et différentes des plans préexistants. Il s’organise selon d’autres principes où la vue sur mer, sur montagne comme l’accès à la plage font force de loi, se distinguant des logiques proprement urbaines où dominait la proximité de la cathédrale, du château ou de la place du marché voire du port commercial.
Ensuite, les lieux touristiques peuvent être créés sur « les zones de faiblesses » décrites par D. CLARY. Ce sont souvent des marécages, des landes peu utiles ou utilisées où les lieux touristiques vont croître à distance des établissements humains. Cette logique répond à deux nouveautés : Une croissance du nombre de touristes qui signifie que les lieux existants ne peuvent suffire ; le goût des touristes pour la modernité urbaine et la capacité des sociétés européennes à produire de tels lieux. Sur les côtes françaises, on trouve Cabourg en 1855, Deauville en 1856 et La Baule plus tard. En 1933, la diffusion du surf depuis Hawaï a permis de voir surgir le district de Surfers Paradise au Sud de Brisbane, sur un littoral totalement dépourvu d’activités. En montagne, il faut attendre les années 50, et Courchevel en France, pour observer création ex nihilo de lieux touristiques hors des villages traditionnels, d’abord dans des pâturages puis, dès les années 60, dans la partie haute de la montagne (environ 2 000m), produisant un modèle de « stations intégrées » [KNAFOU, 1978]. Le bouleversement touristique des « zones de faiblesse » connaîtra une nouvelle étape de développement quand certains Etats projetteront des aménagements d’1 ampleur telle qu’ils transfigureront les littoraux et les montagnes concernés. Ainsi, la mission « Racine » investit un espace littoral connu pour ses marais et ses moustiques dans les années 60 comme le CIP de Cancùn et ses lagunes une décennie plus tard…
Ici la présence du tourisme marque l’espace de manière particulière. Le lieu touristique ne se greffe pas sur l’établissement préexistant : il y a une vraie discontinuité spatiale fondatrice. Ainsi, sur côte aquitaine, de Soulac à Lacanau-Plage, la dune sépare le village de la station et aucune continuité urbaine n’est venue transformer cette situation. On trouve le même dispositif en Espagne sur la Costa Blanca avec le village de Moncofa et Playa de Moncofa. De même, les domaines thermaux s’implantent parfois loin des chefs-lieux comme St-Gervais-les-Bains mais aussi certaines stations de ski comme La Plagne localisée à 15km de Macôt.
2) Conséquences sociales et spatiales du développement touristique des lieux
La diversion ou la création des lieux n’ont pas les mêmes conséquences, et elles opposent les villes aux autres espaces dans la mesure où, historiquement, les premières ont l’habitude de recevoir des voyageurs. Toutefois, les touristes étant de nouveaux voyageurs, ils modifieront certains quartiers.
Là où se trouvent des monuments, des musées comme points de distraction, le tourisme transforme considérablement les villes et cela peut impliquer le recul du nombre d’habitants. A Paris, les Champs-Elysées, la rue de Rivoli ou encore la Butte Montmartre comme le quartier des Abbesses rendent compte de la situation contemporaine. Cette touristification de l’espace relève d’un jeu d’acteurs, de concurrence entre les activités, de lassitude de certains à maintenir leurs activités ou leur résidence ici ou là. Dans un tel contexte, beaucoup de conditions sont réunies actuellement pour que de plus en plus de quartiers centraux deviennent des espaces dédiés au tourisme et aux loisirs. Aujourd’hui des tensions vives existent entre la présence et les pratiques touristiques et les exigences légitimes des résidents. Pour ces derniers, cela nourrit le sentiment d’être dépossédé de son espace de vie.
Hors de la ville, le touriste pouvait apparaître comme le premier « étranger » accueilli même si beaucoup de petites villes ou de villages, surtout dans les montagnes, voyaient des pèlerins ou des colporteurs séjourner sur place, le temps d’une étape. Avec le développement touristique, plusieurs conséquences peuvent être observées.
Tout d’abord, il ne fait pas « table rase du passé » et ne détruit pas les activités économiques et culturelles traditionnelles. Pour les premières, leur disparition tient plutôt à une crise du secteur lui-même et le tourisme constitue plutôt un nouveau débouché. En Tunisie, la poterie de Djerba a disparu mais celle de Nabeul est florissante et présente dans tout le pays car elle est devenue le cadeau à rapporter de son voyage. A Manacor (Majorque), l’activité traditionnelle de fabrication de meubles en bois a connu un renouveau quand les premiers hôtels se développèrent dans les années 50. Il fallait les équiper. Mais cela ne dura qu’un temps.
D’un point de vue culturel, de nombreux exemples montrent que la présence des touristes permit parfois la survivance d’us et coutumes qui n’intéressaient plus les locaux, souvent les plus jeunes. Ils furent mis en spectacle et proposés aux touristes permettant d’attirer l’attention sur la richesse de la société visitée. Plus tard, ils furent réappropriés par les habitants. Telle fut le cas des danses traditionnelles majorquines [MULET, 1945].
La relation entre le tourisme et la culture locale peut se jouer autrement. A Bali, les pratiques touristiques cohabitent très souvent avec les usages religieux ou festifs locaux, en partageant les mêmes endroits et temporalités car les lieux cérémoniels balinais et touristiques se superposent parfois [PICKEL-CHEVALIER, VIOLIER, PARANTIKA et SARTIKA, 2017]. Dès lors, la présence touristique ancienne interroge depuis longtemps la société locale sur son identité balinaise et sa perpétuation : la « balinité ». Cette « dialogique » a contribué à définir cette culture locale dans un processus subtil et complexe [PICARD, 1992, 2010 et 2017]. Ainsi, certaines danses peuvent relever de rituels religieux (ce qui ne veut pas dire que les touristes ne peuvent les voir, car les cérémonies sont ouvertes mais elles ne sont pas un spectacle) alors que d’autres sont désormais des représentations artistiques organisées pour des spectateurs dans les hauts lieux touristiques voire dans des hôtels ou restaurants. Ces représentations s’inspirent le plus souvent des danses religieuses mais ne sont pourvues d’aucune spiritualité pour Balinais. Elles peuvent donc être proposées aux touristes [PICARD et BASSET, 1999].
La différence est souvent difficile à percevoir pour le touriste et les non-spécialistes. A l’inverse, certains rituels sont considérés comme des éléments du patrimoine de la culture balinaise alors qu’elles ont été « importées » : « l’exemple le plus célèbre est celui de la Kecak dance, aujourd’hui présentée dans de nombreux sites touristiques comme la mise en scène d’un rituel de transe balinais, alors qu’il fut initialement conçu en 1930 par l’artiste allemand Walter Spies, s’inspirant du traditionnel Ramayana, pour les besoins d’un film » [PICKEL-CHEVALIER et VIOLIER, 2017].
Les conséquences de la mise en tourisme s’observent aussi à un autre niveau. Même si, le plus souvent, le nom historique du lieu est retenu pour désigner la destination comme St-Jean-de-Monts, Nice ou Cannes voire Chamonix, le développement touristique peut signifier l’évolution de la toponymie locale. Le plus souvent un terme est ajouté au nom ancien. Cela peut être « plage » (Gruissan-Plage), « beach » (Miami Beach) ou « playa » (Playa del Arenal à Majorque) mais aussi « océan » (Lacanau-Océan) et « cap » (St-Jean Cap-Ferrat) en bord de mer ; en montagne, les altitudes sont un moyen souvent utilisé. Une pratique ou un équipement peuvent être mobilisés : ce sera le « bain » (Néris-les-Bains) ou les « thermes » mais aussi le « surf » comme Surfers Paradise. Dans d’autres cas, un terme d’usage local est réutilisé comme « la bôle », accumulation de sable pour devenir ensuite La Baule. Un « lieu-dit » peut aussi expliquer le nom de La Grande Motte, appellation d’une ferme localisée près de la station éponyme. Avec la fin du 19ème apparurent les appellations régionales : le Côte d’Azur en 1887 mais aussi la Côte d’Albâtre ou la Côte d’Emeraude. Plus tard, on eut la Gold Coast en Australie à la fin des années 1940 et plus récemment la Riviera Maya de Cancùn à Tulum.
Cette évolution de la toponymie ne concerne pas seulement les lieux de séjour mais aussi les paysages environnants. Souvent, les autochtones n’avaient dévolue aucun nom à certaines montagnes ou littoraux et les touristes s’en chargèrent à mesure que s’opéraient la conquête des sommets et l’élaboration de la cartographie des massifs. Certains sont fameux et le processus est connu. Ce n’est qu’au 19ème siècle que la première carte définitive de la Suisse fut tracée. Celle-ci comprenait bien entendu le nom des montagnes. Pour les connaître, les cartographes de l’époque demandèrent leur avis aux populations locales, notamment aux bergers, aux chasseurs et aux guides. C’est aux explorateurs et autres experts qu’il appartint ensuite de combler les lacunes.
L’arrivée de touristes produit aussi de fortes évolutions pouvant conduire à une intervention sociale et spatiale localement. L’inversion sociale signifie que la hiérarchie entre les groupes sociaux est modifiée voire bouleversée. Plusieurs exemples peuvent être proposés. Dans la vallée du Montjoie (Haute-Savoie), l’émigration est une tradition qui fut saisonnière pendant longtemps avant de devenir plus pérenne avec le 19ème siècle. Elle pouvait durer 10 à 12 ans. Dans la vallée restaient les propriétaires terriens alors que les autres membres de la fratrie migraient et faisaient fructifier un pécule donné lors du partage des terres. Cette émigration fut longtemps à destination du Sud de l’Allemagne avant de devenir parisienne dans les années 1850 et les métiers effectués étaient clairement identifiés : domestiques, commissaires aux Halles et Salle des ventes. Ces émigrés gardaient un lien avec la vallée. Devenu touristique dès 1806 avec la construction d’un établissement thermal privé dans le vallon du Fayet, le bourg de St-Gervais-les-Bains se constituera en station touristique aux lendemains de la catastrophe des bains de 1892, date à laquelle la rupture d’une poche glacière avait détruit l’établissement. Il est reconstruit plus loin dans le vallon alors que le plateau qui le surplombe va devenir le centre de l’activité touristique. Entre 1890 et 1910, le nombre de constructions passe de 27 hôtels et villas à 150 dont « 70% du parc est possédé par des familles st-gervolaines ayant émigré ou issues de l’émigration » [BRUSTON et al, 1998]. Ayant quitté la vallée par obligation souvent, ces émigrés et leurs descendants deviennent les « bourgeyons », surnom employé encore par les agriculteurs dans les années 90 [MATTEUDI, 1993] qui, à cette époque, ont perdu leur pouvoir économique et social.
Ailleurs, le renversement de l’ordre social se joue à une autre échelle. Au Népal, les sherpas ont pu investir dans le tourisme du fait d’une comptatibilité entre leur calendrier agricole et la saison des expéditions et du trekking [SACAREAU, 1997 ; DUHAMEL et SACAREAU, 1998]. Ces hautes montagnes au système agro-sylvo-pastorale difficile et limité ont été progressivement remplacées par 1 espace touristique évitant l’émigration des plus jeunes et un certain enrichissement des populations [NEPAL, 2002 et 2005 ; SACAREAU, 2009]. La place des sherpas dans la société en a été bouleversée : depuis, certains se sont formés dans les Alpes, d’autres vivent à Katmandou où ils possèdent des agences de trekking et leurs enfants ou petits-enfants partent étudier aux EU [SACAREAU, 2018].
Les mêmes logiques d’émigration, de formation et de retour au village se retrouvent aussi avec l’exemple de Don Filomeno dans le village de Yokdzonot (Yucatan). Père d’un enfant à 23 ans, le travail de la milpa ne suffisait pas à nourrir sa famille. Alors il partit travailler dans un hôtel à Isla Mujeres et revenait une fois tous les 1 ou 2 mois. Il eut beaucoup de mobilités professionnelles, toujours dans le tourisme, à Cancùn, à Akumal ou à Pisté, plus proche de son village. Renvoyé, il partit travailler à Celestun et en 2004, suite à des problèmes de santé, il revint au village et contribua, dès 2006, au développement du cénote et participa à la fondation du groupe de travail Kich Zaaz Koolen Ha (Eau cristalline) en 2012 [JOUAULT, 2016]. Il en est devenu l’une des personnalités illustrant ici comme précédemment les logiques d’empowerment des populations mobiles [CALVES, 2009]. Ce processus leur permet d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision mais aussi plus d’influence sur leur environnement et leur vie.
A cette inversion sociale s’ajoute une inversion spatiale : c’est à dire que l’espace marginal dans un système pré-touristique devient central avec l’avènement du tourisme. Ainsi, à St-Gervais-les-Bains, le développement du tourisme provoqua l’installation définitive de la population des villages d’altitude comme Bionnassay, dans le bourg dévolu jusque-là aux seules fonctions administratives et de marché. Dès lors, posséder des terrains près du bourg devint intéressant car s’y édifièrent hôtels et villas, alors que longtemps seules valaient les terres d’alpages. A Ibiza, les cadets de famille possédaient les terres incultivables du bord de mer, les poussant à émigrer souvent. Le fort développement touristique de l’île dès les années 50 provoqua de véritables bouleversements : cela a favorisé la vente des terres littorales d’autant plus facilement qu’elle leur permettait de rembourser leurs dettes. Ce processus fut long, mais à Calvià (Majorque), la création d’urbanisations littorales a fait diminuer de la moitié de la part des propriétés de plus de 1 000ha en un siècle.
Un autre effet est la transformation du statut des lieux. On peut en identifier deux modalités. Tout d’abord, dans le Khumbu (Népal) déjà évoqué, l’un des impacts forts du tourisme sur l’espace a été la reconquête des sites d’altitude occupés de façon temporaire jusqu’à l’arrivée des touristes. En effet, dédiés à la seule activité pastorale, certains hameaux n’étaient fréquentés que pendant les périodes de l’estive. Le développement du trekking a entrainé la création de lodges, au départ dans les parties basses de la vallée et progressivement vers des lieux d’habitations temporaires en lieux d’habitation permanents pour les sherpas [SACAREAU, 1997], car la présence de touristes une partie de l’année et les activités pastorales pendant une autre période ont alors justifié le maintien de population à demeure.
Si le tourisme est une activité fondée sur le mouvement des populations, il apparaît aussi comme une activité peuplante. En effet, accueillir des touristes est source d’emplois et conduit à l’arrivée de nouvelles populations résidentes car les seuls habitants présents ne suffisent pas toujours à répondre aux besoins. Ainsi, 100 personnes habitaient Deauville en 1861. 1 000 personnes en 1871 et même 2 000 en 1881 et 3 000 en 1906. A Cancùn, elles étaient moins de 100 000 en 1980, 400 000 en 2000 et 600 000 aujourd’hui. A Nice, l’approche sur le temps longs montre une logique exponentielle jusqu’en 1975.
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3) Touristicité et urbanité versus centralité
Malgré toutes ces caractéristiques et en dépit de certains travaux [MIT, 2002 et2011 ; NARATH et STOCK, 2013 ; COEFFE, 2018], il n’est pas encore habituel de lier développement touristique et développement urbain. Pourtant le lien est consubstantiel [STOCK et LUCAS, 2013 ; DUHAMEL, 2014]. Si la ville est fille de la politique et du commerce, elle l’est tout autant du tourisme pour au moins deux raisons : le touriste est un urbain et les lieux touristiques sont devenus le plus souvent des espaces urbains et pour certains, même, des villes. La devise d’Arcachon en 1860 induisait cette logique : « heri solitudo, hodie vicus, cras civitas », c’est à dire « hier un désert, aujourd’hui un bourg, demain une ville ». Comment le tourisme pose-t-il la question de l’urbanité des lieux ?
De manière générale, le tourisme ne crée pas la ville [DUHAMEL, 2014]. Toutefois des exceptions existent dans l’histoire comme Las Vegas ou plus récemment Dubaï, même si le tourisme n’y est qu’une composante d’un projet urbain qui croise événementiel, shopping, affaires… En revanche, le tourisme impulse de l’urbanité (« couplage de la densité et de la diversité des objets de société dans l’espace » [LUSSAULT, 2003]) dans les lieux qui en sont dépourvus ou contribue à la renforcer.
Le tourisme investit des villes dont il amplifie l’urbanité en démultipliant leur fréquentation et leurs services. Pour l’enjeu économique, même les urbains croisent aujourd’hui le tourisme et la culture pour répondre aux attentes des populations et à la renommés des destinations qui entendent rester « dans l’air du temps ». Cette urbanité métropolitaine alimentée par le tourisme s’observent par deux éléments. D’une part s’autonomisent des quartiers entiers où le tourisme est localement très puissant. Il compose un des éléments du Central Tourist District [DUHAMEL et KNAFOU, 2007]. D’autre part, garder son rang de capitales et de grandes villes passe aussi par le tourisme. Une bataille existe pour rester en tête des classements et des fréquentations. Pour les villes intermédiaires à fort renom touristique, cette activité leur confère un statut sans rapport avec leur place dans les hiérarchies urbaine. Venise, Bruges, Florence, Tolède ou encore Nice et Cannes sont connues du monde entier alors qu’elles ne dépassent pas 400 000 habitants [LAPAN, 2011 ; PEBARTHE-DESIRE, 2013].
Pour les lieux créés par le tourisme, la venue des touristes implique la densité et la diversité des bâtis, des équipements, des personnes et des services, leur conférant ainsi tous les attributs de la ville. Ces lieux ont été construits selon les règles urbanistiques et architecturales en vigueur dans les villes à l’époque de leur création. Cette urbanité se retrouve aussi dans la construction des hébergements. Hôtels, villas, maisons et immeubles sont des édifices proprement urbains en total décalage avec l’architecture vernaculaire. Dans cet ensemble, les Grands Hôtels se construisirent au même moment dans les stations et dans les villes [DUHAMEL, 2007]. Plus tard, La Plagne, Flaine, Les Menuires, Superdévoluy ou Avoriaz seront pensées et réalisées comme des villes construites en haute altitude [KNAFOU, 1978], et la station espagnole de Benidorm (Costa Blanca) poussa la logique jusqu’à n’être constituée que de gratte-ciel. Aujourd’hui surnommée « Beniyork » par les Espagnols, elle devance Madrid et Barcelone en nombre d’immeubles de plus de 100m (26 contre 13 et 7).
Mais les lieux touristiques créés ont aussi leurs spécificités en termes d’équipements. L’établissement thermal et le casino sont les plus caractéristiques tant ils évoquent l’activité touristique du 19ème. Après 1950, ce sera plutôt le port de plaisance ou les remontées mécaniques. Ces éléments se combinent dans l’espace et se localisent près pour constituer le centre actif du lieu : le « cœur de la station » fonctionne comme un centre-ville. La promenade ou les espaces publics pour la déambulation viennent compléter ce dispositif. Cet aménagement est présent partout dans le Monde : d’Atlantic City à Agadir où elle fut aménagée en 2007, quelques décennies après le lancement de la destination. Là où elle manque comme à Cancùn, l’espace de sociabilité et de la rencontre urbaine est défaillant, ce qui confère souvent au lieu l’image d’1 espace dédié aux seuls touristes sans prise en compte des habitants. Car la promenade est un endroit où tout le monde peut venir et cohabiter. Enfin, une dernière caractéristique du lieu touristique créé est l’importance du « végétal » c’est à dire des parcs et jardins.
FOCUS : « La symbolique de l’oasis de nature ».
« Sur ce thème, le cas de Pau frise la caricature. A la sortie de la gare, l’hivernant emprunte le petit funiculaire qui escalade, à travers une végétation de « palmeraie », le rebord de terrasse du boulevard des Pyrénées. Cette vision onirique est l’œuvre de l’archi-paysagiste palois Larmanou qui, à la fin du 19ème, au moment des grands travaux urbains agit pour que l’on plante, sur ces pentes exposées en plein midi, des « Chamoerops » destinés à devenir « plus beaux que les palmiers de Nice, qui sont généralement échevelés par le vent ». Ajoutés au florilège des autres plantes exotiques déjà présentes à Pau (…), ils seront comme « un sourire de bienvenue », « une réclame permanente en faveur de notre climat ». La ville gagnera un « aspect riant » et « la 1ère impression sera celle d’un climat méridional, d’une ville chaude ». On retrouve trace de ces idées et de leurs concrétisations dans les rapports de la « Commission des travaux publics ». Ainsi, en mars 1898, Larmanou demande au conseil municipal « les fonds nécessaires pour procéder sans retard – en raison de l’époque favorable – à la replantation de 72 plants ». Les essences énumérées, résineuses pour la plupart, manifestent la recherche d’un certain exotisme ».
Source : M. CHADEFAUD, 1988, p.822, cité par DUHAMEL, 2003
A cela s’ajoute que les lieux touristiques créés bénéficièrent précocement d’innovations que des villes plus importantes connurent bien après, la diffusion semblant ne pas totalement respecter la hiérarchie urbaine ou l’effet de proximité. « Ainsi, St-Gervais-les-Bains a eu le téléphone et l’électricité avant Nîmes. Le même processus s’observe ailleurs dans le monde comme à Djerba où le tourisme provoqua l’installation de l’électricité dès 1959 [MIOSSEC, 1996] » [DUHAMEL, 2003]. On dit même que la première ampoule électrique brilla dans la salle à manger du Kulm Hôtel de Saint-Moritz en 1878 ou que l’arrivée de la « cuisine américaine » en France eut lieu dans les premiers appartements construits sur le front de mer de St-Jean-de-Monts dans les années 50. Cela peut être l’effet des touristes qui souhaitent disposer des mêmes aménités dans leur lieu de séjour que dans leur ville de résidence, ou de l’ingéniosité des acteurs locaux du développement qui captent immédiatement l’innovation pour la proposer aux clients et gagner en fréquentation et notoriété. Il y a donc un transfert d’urbanité et une diffusion de l’innovation par la « touristification ».
Enfin, la densité et la diversité s’observent par les populations et les services proposés dans ces lieux touristiques selon le pic de fréquentation. Ainsi, les habitants de Soulac passent de 2 600habitants à 50 000 en pleine saison, de 7 000 à 70 000 à Palavas-les-Flots, de 8 500 à 120 000 à St-Jean-de-Monts, et de 17 000 à 45 000 à Sanary. Si les Français sont majoritaires, tous ces lieux sont caractérisés aussi par la présence de nationalités différentes (généralement européennes), créant, le temps de la saison, une ambiance internationale. Cette présence explique donc la densité et la diversité des services offerts, sans commune mesure avec la population résidente permanente. Si Benidorm est une commune de 70 000 habitants, les services sont là pour répondre à une population touristique qui atteint 1,5 million pendant été. Cela explique la présence de 12 000 bars et restaurants auxquels s’ajoutent + de 800 commerces.
L’ensemble de ces indicateurs confère aux lieux touristiques une urbanité indéniable mais pose, pour les géographes, la question de leur centralité. En effet, celle-ci repose sur deux éléments : la population résidente permanente et la zone d’influence du lieu central. Or, les lieux touristiques ont une population fluctuante. Ils sont marqués par la saisonnalité. Et les lieux touristiques créés possèdent une zone d’influence dont le fonctionnement diffère des lieux centraux : dans un premier temps, ce ne sont pas les habitants des campagnes proches ou des environs qui utilisent les services mais des populations venues directement des villes voisines ou des capitales plus lointaines. C’est une aire d’influence qui se construit en discontinuité spatiale. Cette question alimente la réflexion depuis longtemps. Ainsi, Walter CHRISTALLER [1955, 1964] évoquait les lieux touristiques comme des « lieux périphériques » alors que PAESLER [1984] considérait que les lieux touristiques constituaient un « nouveau type de lieux centraux d’1 niveau hiérarchique bas ou moyen ». La réflexion est toujours présente et des analyses ont été proposées [MIT, 2011 ; COEFFE, 2017 ; STOCK et al, 2017] dont on retrouvera quelques éléments dans la dynamique des lieux touristiques.
Fort de ces analyses, on peut alors s’intéresser à ces lieux dont la multiplicité des configurations se synthétise en quelques formes élémentaires.
II – Typologie des lieux touristiques
Concevoir une typologie des lieux touristiques en mobilisant les critères biophysiques ou strictement paysagers (littoral, montagne, campagne, ville) a été abandonné depuis longtemps, « car la présence d’1 littoral rocheux puis sableux, d’une pente enneigée ou non sont des conditions nécessaires (mais non suffisante) à la production d’1 lieu touristique, […] toutes les pentes neigeuses comme toutes les plages sableuses n’ont pas été aménagées en lieu touristique. Et souvent, ce ne sont pas les plages ou les pentes les plus avantageuses qui ont été mis en valeur. Donc il faut laisser au milieu physique sa place : un élément explicatif dans un dispositif d’ensemble » [DUHAMEL, 2003].
1) Identification des types
La typologie que nous proposons s’inscrit dans le cadre de la réflexion produite par l’Equipe MIT depuis 1997 et retient 3 critères : la présence ou l’absence d’hébergement, la présence ou l’absence de population résidente permanente et la densité et la diversité des services urbains. Cela permet alors de proposer 4 types de lieux touristiques élémentaires : le site, le comptoir, la station et la ville touristique.
Photocopie tableau p.184
Cette première étape peut être complétée si l’on ajoute les éléments propres à chaque type selon ses logiques de mise en tourisme, ses caractéristiques spatiales, les pratiques touristiques dominantes et ou coexistantes, son fonctionnement comme la place actuelle du tourisme dans le fonctionnement du lieu.
Photocopies tableaux p.185 à 187
2) Les sites touristiques
Le site = lieu inventé par le tourisme. D’une certaine manière, il existe depuis toujours ou depuis longtemps et fait partie de l’environnement des sociétés humaines. L’invention du site touristique s’élabore avec la double dynamique scientifique et esthétique du Grand Tour alimentée aussi par la Philosophie des Lumières et le courant romantique. Dès lors, 2 familles de sites peuvent être distinguées : les sites naturels au sens d’éléments du paysage façonnés ou non par les sociétés humaines (le bord de mer et la montagne comme la campagne sont concernés, ici, même si le lien avec le tourisme distinguera grandement les deux premiers) ; et les sites culturels qui correspondent aux édifices et constructions, témoignages des sociétés humaines passées. Un site touristique est un monument de nature ou de culture [LAZZAROTTI, 2011], un paysage identifié comme digne d’intérêt et porteur de qualité pour la société qui l’identifie comme tel. Cela contribue à le distinguer et lui confère une valeur esthétique, historique et/ou symbolique. Plusieurs caractéristiques complètent son analyse.
Tous les sites touristiques n’occupent pas la même place et n’ont pas la même renommée. Certains sont universels et connus de tous comme le Mont-Blanc, les Pyramides de Guizeh ou la Grande Muraille de Chine ; d’autres ont une visibilité plus réduite mais internationale, comme le cirque de Navacelles (Hérault) ou le château de Brissac-Quincé (Maine et Loire) fréquentés par des Européens ; d’autres enfin seront connus seulement par des nationaux voire des habitants / touristes de l’environnement proche comme les cheminées aux fées de St-Gervais-les-Bains.
Cette hiérarchie entre les sites s’exprime à travers les labels dont ils sont bénéficiaires. Ainsi, le classement au titre du « patrimoine mondial de l’humanité » est considéré comme le plus universel et croise le « naturel », le « culturel » et le « mixte ». A une autre échelle, chaque Etat produit ses classements. En France, on recense + de 44 000 édifices classés ou inscrits au titre de « Monuments historiques » ; le programme Pueblos Magicos lancé en 2001 au Mexique regroupe 111 villages aujourd’hui ou encore le National Historic Landmark aux Etats-Unis. Il s’agit ici « de lieux historiques importants au niveau national désignés par le ministère de l’Intérieur parce qu’ils possèdent une valeur et une qualité exceptionnelles pour illustrer ou interpréter le patrimoine des Etats-Unis. Aujourd’hui ce sont plus de 25 000 lieux historiques qui bénéficient de cette distinction » (www.nps.gouv). Parfois certaines municipalités proposent leur propre classement qui exprime une politique urbaine de patrimonialisation, comme Shanghai avec les maisons des anciennes concessions européennes proches du Bund labellisées depuis 1994 Heritage Architecture. Bien évidemment, la plupart des sites touristiques n’ont pas de label en dépit d’une réelle fréquentation.
Les sites sont des lieux touristiques fondés sur la visite, la découverte et la déambulation. Ce sont des lieux de passage. La durée de visite évolue entre quelques dizaine de minutes et la journée pour les plus importants comme le Mont-Saint-Michel ou Versailles, la grande demi-journée aux Chutes du Niagara ou la Grande Muraille de Chine. Parfois aussi, la présence est prolongée par la réalisation d’autres pratiques comme la baignade au Pont du Gard. Toutefois, certaines règles viennent encadrer la pratique du fait de l’ouverture/fermeture qui les caractérise. Car même si la déambulation est libre, l’accès au site touristique est souvent conditionné à des horaires selon la saison touristique, même si certains monuments peuvent être visités toute l’année. L’amplitude de l’ouverture est très représentative de l’importance du lieu et rend compte de sa renommée.
Ainsi, la comparaison des horaires de visite du Château du Plessis-Bourré et du Château de Chenonceau est éclairante. L’un est une résidence privée dont seul le rez-de-chaussée est ouvert au public. Il est fermé de novembre à avril pour les touristes individuels. L’évolution des horaires est calée sur le rythme des saisons touristiques à la différence de Chenonceau ouvert à l’année de manière assez équivalente, le gain se faisant sur la fin de la journée à la belle saison. Pour les sites naturels, on peut généralement les voir toute l’année, de jour. Ce sont des sites ouverts : les Cévennes, les panoramas dans la montagne… Mais certains ayant bénéficié d’une opération de réaménagement sont devenus des sites payants. Si l’on peut accéder librement aux sentiers de la Pointe du Raz, il faut payer 4€ pour les motos, 6,5€ pour les voitures et 15€ pour les cars et les caravanes.
Sur place, peu d’hébergements sont banalisés. Par exemple, seulement 9 hôtels avec 45 chambres (90 places), 8 restaurants avec 600 couverts et 25 commerces pour 3 millions de visiteurs au Mont Saint Michel. Il fonctionne comme une étape dans un circuit ou une excursion depuis des destinations touristiques proches ou plus lointaines comme Paris. Des hébergements marchands sont localisés à proximité sur le lieu-dit de la Caserne où se trouvent 7 hôtels et 2 chambres d’hôtes.
Enfin, les sites articulent les pratiques de loisirs et de tourisme, du fait de l’origine des visiteurs et des rythmes de fréquentation. Ainsi, ¼ des visiteurs du Château de Fontainebleau sont des Franciliens qui viennent davantage le dimanche. En 2015, 16% des 2 millions de visiteurs de la Dune du Pilat étaient des résidents et 30% habitaient en Aquitaine. La logique de loisirs s’exprime aussi, en partie, par la revisite : 57% étaient déjà venus et 25% plus de 5 fois, illustrant sans doute le rôle des habitants dans la médiatisation des lieux : faire visiter les sites à nos proches/amis/famille en vacances dans la région. Une politique tarifaire est généralement élaborée à destination des habitants pour la découverte de certains sites. Ainsi, les tarifs du parking de la Pointe du Raz sont adaptés : un abonnement annuel de 10€ pour les motos et de 15€ pour les voitures. Et parfois la gratuité est de mise, telle que la visite du château d’Angers lorsqu’1 habitant est détenteur de la carte Atout ou pour l’habitant de Tarascon en présentant un justificatif de domicile.
3) Les comptoirs touristiques
Le comptoir est le lieu créé par le tourisme qui fonde son existence sur la volonté de fabriquer un lieu en rupture avec l’environnement immédiat jugé trop exotique ou trop emprunt d’altérité. Ainsi s’explique la construction de comptoirs dans la montagne dès le 19ème siècle sous la forme d’établissements thermaux et à partir des années 50 sur le bord de mer [MIT, 2005]. Personne ne vit dans un comptoir, et les seules personnes présentes de manière permanente sont les actifs, le temps de la saison. Parfois isolé, il s’agit d’un lieu clos de murs où ne pénètrent que les personnes autorisées. Il est caractérisé par la pratique du séjour où l’on vient pour le soin, le repos et la sociabilité mais aussi les activités sportives offertes (mais souvent peu pratiquées). Ainsi les comptoirs peuvent être des établissements thermaux, des centres de thalasso ou des villages-clubs qui constellent le monde. Quand il s’agit de parc à thème, l’objectif est de « jouer ».
La construction de ce type de lieu repose généralement sur un investissement s’associant à un promoteur quand les deux ne sont pas les mêmes. Les comptoirs sont généralement associés à des marques qui les commercialisent tels que Club Méd, Marmara, Center Parcs ou Disney, dont le rayonnement peut être national voire mondial. L’hébergement est entièrement banalisé et constitué d’hôtels le plus souvent situés à l’intérieur du comptoir (village-club) ou à l’extérieur (Parc Disney). A l’intérieur s’expérimente une autre manière de vivre faisant du comptoir une « bulle hors du monde ». Pour les villages-clubs, l’argent peut être prohibé et remplacé par des tickets « palmiers » ou des colliers-bars. Pour Center Parcs ou les parcs à thème, on vit au rythme de la pratique dominante même en plein hiver (baignade en eau chaude dans un décor tropical) et du thème (personnages de Disney). Ce « hors du monde » est un choix des touristes. Il participe de l’attrait du lieu.
Plusieurs familles de comptoirs existent : marinas, villages-clubs et hôtels-clubs, parcs à thème et structures « indoor ». Certaines marinas peuvent fonctionner comme des comptoirs ainsi que l’illustre la cité lacustre de Port-Grimaud conçue par l’architecte Spoerry en 1966 sur l’emplacement d’un marais. Ce lieu ne ressemble en rien aux stations les plus proches (St Tropez et Ste-Maxime) et rappelle plutôt Port-Camargue. L’idée est d’associer l’habitat et la plaisance, dans une ambiance de village provençal. Il fonctionne subtilement sur l’ouverture et la fermeture : les visiteurs peuvent y accéder à pied seulement, et toute une réglementation interdit les jeux de ballons, les tenues incorrectes… alors que les résidents y accèdent en voiture. Des portes avec barrières et vigiles en contrôlent l’accès. A Port-Camargue, l’accès à la marina est libre sans contrôle mais les quais à bateaux devant les maisons et immeubles sont privatifs à l’exception du port principal. Il en est de même à Empuria Brava (Costa Brava) où l’accès aux bateaux est réservé. Ils forment un modèle hybride qui rapproche ces deux cas d’une station.
Présents dans la montagne au 19ème puis sur les bords de mer dans les années 50 avec le Club Med [MIT, 2005], hôtels-clubs/villages-clubs sont la famille de comptoir la plus répandue au Monde. On en construit surtout dans des destinations qui présentent de très forts différentiels avec le pays d’origine des touristes et/ou comme produit souhaitant capter l’ensemble des dépenses des touristes. Ainsi le Baha Mar Casino et Spa sur l’île de New Providence (Bahamas) financé par la China Exim Bank et dont la construction est assurée par la China Construction of America : d’un budget de 3,5 milliards de $ « ce Casino Resort des Bahamas, le plus vaste que la Caraïbe ait jamais connu, devrait revivifier le tourisme et l’économie nationale mais également aider la Chine à étendre son influence économique et politique sur la Caraïbe et l’Amérique latine » (site Internet Forbes). Il regroupe 2 200 chambres et 240 résidences privées. Son Casino représente près de 10 000m² et 1 000 machines à sous et 150 tables de jeu. Son spa représente 2 800m². A l’opposé, le Club Marmara de Bonaca (Croatie) propose 236 chambres, une piscine et un ensemble d’activités sportives (dont spa).
Le modèle est standardisé dans le Monde et les différences se nichent dans l’architecture, les objets, la décoration ou l’ambiance qui indiquent la région du Monde dans laquelle il se situe. Dans de nombreux cas, une privatisation du bord de mer s’opère et le rend peu accessible à la population locale, ce qui provoque des tensions dans l’usage et la fréquentation de la plage [RIEUCAU et ODIARA, 2014] ou les lagons [BLONDY, 2013]. Mais la plage privée peut être mobilisée comme un « point fort » de l’établissement.
Le fonctionnement de ce type de comptoir est totalement dépendant de la saison touristique selon les régions du Monde. Les Club Med des Caraïbes ou d’Indonésie (Bali) sont ouverts toute l’année alors que celui de Cargèse (Corse) est fermé du 18 septembre au 9 juin ou celui de Cap Skirring (Sénégal) du 13 juin au 28 octobre 2017 (site Club Med). A la montagne, les hôtels-clubs ou les villages-clubs des grands tour-opérateurs fonctionnent comme un hôtel au sein d’une station. A la fois communs et différents, les îles-hôtels constituent une dernière déclinaison de cette famille de comptoirs.
Une autre famille fonde son activité sur les pratiques de jeux touristiques. 2 types peuvent être distingués : ceux qui relèvent du simulacre avec les parcs à thème, et ceux qui relèvent de l’exercice physique avec les piscines à vagues ou autre « rivière sauvage » comme dans les parcs Center Parcs. Si des différences existent, des proximités sont identifiables. Les uns comme les autres se localisent généralement aux portes des villes, tels Disneyland au Sud/Ouest de Los Angeles ou Disneyland Paris dans le secteur IV de Marne-la-Vallée. Les Center Parcs se situent à l’écart des zones métropolitaines mais restent très accessibles depuis Paris ou l’axe rhénan. Le Futuroscope comme le Puy du Fou jouent autrement sur leur localisation. Accessible depuis Paris en 1h40 de TGV pour le 1er, le 2ème est desservi en navette directe depuis la gare d’Angers (1h30 3 fois par jour et sur réservation). 20 dessertes aériennes sont évoquées sur le site du parc (France, Espagne, Angleterre et Italie) et l’aéroport de Nantes se situe à 1heure. Mais l’un comme l’autre bénéficient de la proximité de littoraux touristiques densément fréquentés pendant l’été : le littoral vendéen voire les îles atlantiques.
Eux aussi fonctionnent comme des bulles. Entrer dans un parc à thème, c’est accepter d’entrer dans un monde particulier, qu’il soit évocateur de Disney, Astérix, du monde technologique ou de l’histoire de France. Car l’extérieur du parc n’est jamais visible. On parle aujourd’hui d’une « expérience immersive » [COVA et COVA, 2006]. Dans les Center Parcs, le cœur de l’activité se situe dans la bulle tropicale en rupture avec les paysages solognots, normands ou autres. Les uns comme les autres offrent des logements entièrement banalisés : 7 hôtels Disney et 8 hôtels partenaires pour Disneyland Paris, des cottages pour Center Parcs et des activités de loisirs associés à cette bulle : shopping center pour l’un, piste cyclable, paintball… pour l’autre. L’accès est payant et peut se révéler fort coûteux. Ainsi, en 2017, pour entrer à Disneyland Paris, il fallait débourser entre 42 et 81€ par personne, le tarif le + élevé permettant l’accès aux 2 parcs sans restriction de dates. L’entrée du parc de Shanghai approche les 70€, plus cher qu’Hong Kong et Tokyo. C’est le prix de la nouveauté pour ce parc inauguré en juin 2016, mais le tarif devrait baisser ensuite vers 55€. Il se situe entre 23 et 38€ pour le Puy du Fou et de 34 à 49€ pour le Parc Astérix.
A la charnière entre le tourisme et les loisirs, les parcs animaliers fonctionnent aussi comme des comptoirs mais les hébergements ne se situent jamais ou rarement au sein de la structure. La visite dure assez longtemps pour rentabiliser le coût d’entrée mais aussi pour profiter des spectacles et des animations proposés. Ils constituent soit une offre urbaine touristique et de loisirs comme Bioparc de Valence, soit ils se situent près des grandes concentrations urbaines. Ainsi, les zoos de Beauval, La Flêche et Doué-la-Fontain sont au cœur d’1 triangle Bourges/ Le Mans / Cholet. Les parcs à thème comme Aqualuds illustrent aussi la relation étroite entre le tourisme et les loisirs, comme l’ambiguïté de leur usage. En effet, quand ils disposent d’hébergements, ils peuvent constituer une destination de courts séjours. Mais généralement, ils sont aussi un équipement de loisirs pour les résidents proches. Ainsi le SeaGaia Ocean Dome (1993) à Miyazaki (Kyushu) est un équipement qui complète l’offre de la station, très fréquentée par les 350 000 habitants de la ville. Il est en de même pour Tropical Islands, situé à 1heure au Sud de Berlin, qui constitue un but d’excursion à la journée ou un lieu de séjour.
4) Les stations touristiques
La Station est un type de lieu touristique qui s’est historiquement constitué en 2 temps. Dans un premier développement du tourisme, elle a tout d’abord pris forme d’un quartier comme l’a montré Nice ; puis elle est devenue un projet créé ex nihilo sans lien avec aucun établissement humain pré-existant. Dans les 2 cas, il s’agit d’une station par les caractéristiques et le fonctionnement.
A la différence du comptoir, la station est par définition un système ouvert : pas de clôture, tout le monde peut y accéder à tout moment de l’année, même si la basse saison signifie la fermeture de nombreux établissements. Fondée sur le séjour, la pratique du repos ou le « jeu sportif » peut en être la pratique dominante, mais le passage n’est pas exclu : quel que soit l’endroit où l’on séjourne, on visite toujours les stations alentours, car elles présentent des attraits avec ses services, ses animations voire ses monuments et dès lors alimentent des pratiques de découvertes à partir de son lieu de séjour touristique.
De nombreux acteurs privés et publics contribuent à son fonctionnement et s’y localisent des TPE, PME mais aussi parfois de grands groupes hôteliers ou de loisirs joints à une présence publique qui, selon la place et le rôle dans le dispositif touristique, peut mobiliser l’échelon national voire international. Parfois, l’Etat peut être le fer de lance dans la réalisation de stations comme la mission Racine en Languedoc-Roussillon ou les stations intégrées dans les Alpes mais aussi les Centres Intégralement Planifiés (CIP) au Mexique. Les exemples de création de station par un seul individu appartiennent à l’histoire : le Duc de Morny pour Deauville, l’impératrice Eugénie pour Biarritz ou la famille royale espagnole pour St-Sébastien.
Selon les stations, la capacité d’accueil varie de quelques centaines de lits marchands à des dizaines de milliers : 500 lits à Veules-les-Roses, plus de 8 000 à Carnac jusqu’à 10 000 pour Chamonix et 34 000 pour Agde. A cela s’ajoutent de très nombreux résidences secondaires qui constituent souvent l’essentiel de l’hébergement : 479 résidences secondaires (2 400 lits), 3 hébergements banalisés et 304 résidences principales à Veules-les-Roses, 6 000 à Carnac pour 2 200 à Carnac. Chamonix regroupe 9 400 résidences secondaires et Agde dépasse 33 000 pour 13 000 pour résidences principales. Cela montre que le volume de lits touristiques comme la répartition entre les hébergements marchands et non-marchands offrent toutes les combinaisons possibles. Enfin, les stations se définissent par une réelle saisonnalité. Selon les hémisphères, la haute saison ne sera pas la même : en Europe, l’été reste le moment fort du bord de mer et la pratique du ski fait de l’hiver la saison la plus importante économiquement, même si la montagne accueille plus de monde l’été. Elle s’exprime aussi par les services ouverts et fermés selon les périodes. Pourtant, depuis les années 1980, elle tend à s’atténuer suite à une désynchronisation des vacances alimentée, entre autres, par les retraités mais aussi par une réflexion portée par les responsables des stations sur la dessaisonalisation des activités.
A la montagne, les premières stations sont construites selon les mêmes logiques que Nice avec des quartiers qui se développent le long d’une promenade qui joint le village ancien à l’établissement thermal comme Luchon ou le long d’un lac à St-Moritz ou à partir d’un bourg pour Chamonix. Le passage à l’hiver ne change pas vraiment la logique urbaine de la station, les nouveautés étant plutôt le chauffage des hôtels et l’installation progressive des téléphériques. La conquête des pentes a débuté, mais l’hébergement reste localisé dans le fond de vallée. Avec le ski, émergent, pour la première fois dans la montagne, des stations ex-nihilo, signe d’une plus grande maîtrise technique et d’une pacification intégrale de l’espace montagnard en passant d’une altitude assez basse comme le sera Courchevel à la partie haute de la montagne avec les stations intégrées. Jusqu’aux années 70, celle-ci sont de vrais comptoirs touristiques. Depuis, elles fonctionnent comme des stations [KNAFOU, 1978]. Le développement de Valmorel en 1976 initiera une nouvelle manière de concevoir les stations de ski : l’altitude plus basse pour une saison d’été, les immeubles à l’aspect de gros chalets et la création d’espaces de sociabilité avec une « place de village ». Depuis, beaucoup de destinations ont repris cette logique comme Les Arcs 1950, inaugurés en décembre 2007.
L’organisation de la station répond aux pratiques et aux usages sociaux de cet espace, mais toutes disposent d’un « cœur de station ». Ainsi les premières stations disposent d’une promenade devenant l’espace curatif et social et constituant l’axe le long duquel s’est développé le front de mer. Puis, elle est devenue et l’axe de circulation et de stationnement. Depuis les années 80, elle a été souvent réaménagée et repensée comme un espace de sociabilité urbaine avec une plus grande végétalisation, une plus large déambulation avec des places et des jeux d’enfants réduisant d’autant la présence des automobiles comme à Santa Ponsa et Palma Nova (Majorque) ou à Nice. Sur le front de mer se localisent les immeubles les plus prestigieux et il est rare d’y trouver encore des villas, à l’exception des stations ayant été moins soumises au marché entre 1950 et 1980 (exemples : Houlgate ou Trouville). Le port du Crouesty, la Grande Motte, marina d’Agadir ou Puerto Banus ont été, elles, conçues et réalisées pour permettre la pratique du nautisme et accessoirement de la baignade, les plages n’étant pas le cœur du projet. La sociabilité se situe alors aux abords du port.
Dans les stations, les stations-villes forment un sous-ensemble particulier que l’on trouve actuellement seulement en bord de mer. Il s’agit de lieux dont la construction conçoit de manière séparée l’espace dévolu aux touristes et celui consacré aux habitants. Cette logique s’opère de deux manières. Historiquement, c’est le choix des touristes de développer leurs activités aux portes de la ville comme à Nice ou St-Malo quand l’interdiction de construire autour des enceintes fut levée au début du 19ème. Dunkerque et Malo-les-Bains en sont un autre exemple. Actuellement, Denia (Costa Blanca) relève des mêmes logiques : cette destination est constituée d’une ville (haut lieu de l’histoire espagne avec sa forteresse arabe) et d’une station développée au nord le long de la plage de manière ininterrompue pendant plusieurs km. Ici, la partie « station » est le lieu de pratiques et de séjours mais la véritable animation se situe en ville, même si de petits centres commerciaux jalonnent la route traversant les lotissements touristiques. En journée, la ville fonctionne comme toutes les villes et le soir seulement l’accès des automobiles sur la Carrer Marquès del Campo est interdit pour la rendre piétonnière et favoriser sa fréquentation touristique.
Depuis les années 60, hors d’Europe, on identifie des projets qui conçoivent dès le départ une distinction entre station et ville. La station d’Agadir, par exemple, longe le bord de mer et la plage où sont présents tous les hébergements touristiques sous forme d’hôtels et d’hôtels de chaîne auxquels s’ajoutent restaurants et magasins comme lieux de divertissement des touristes. L’avenue Mohammed V en constitue la limite au-delà de laquelle se trouve la ville avec ses activités et ses habitants. Ceux-ci travaillent dans la station mais pas seulement. Car, avec 110 000 tonnes de poisson déchargées en 2013, Agadir est le troisième port de pêche du Maroc. Depuis l’édification de la promenade le long du littoral en 2007, le bord de mer avec les services proposés est aussi devenu l’espace de loisirs des Agadiriens qui fréquentent la plage, la promenade et parfois les restaurants, ce qui était moins le cas avant cet aménagement. Playa del Carmen comme Cancùn relèvent exactement des mêmes logiques : les villes pour travailleurs et les stations pour touristes sont spatialement différenciées. A la différence d’Agadir, les habitants travaillent dans la station mais ne la fréquentent pas. Chaque matin et chaque soir se déroule la mobilité des travailleurs, à pied (Playa) et bus (Cancùn). Quand on est dans cette ville aux portes de la station, le tourisme est inexistant, comme si une frontière étanche entre les deux entités existait.
5) Les villes touristiques
Par définition, la ville accueille des personnes venue d’ailleurs et cela la qualifie pleinement. Au 19ème, les touristes sont apparus comme de nouvelles populations, de nouveaux clients pour un lieu habitué à en accueillir … En dépit de son développement progressif et intense, le tourisme ne constitue aujourd’hui encore, qu’une activité parmi d’autres dans le fonctionnement de l’économie et des espaces urbains, même s’il est localement très puissant. A la différence du site, du comptoir et de la station, la disparition de l’activité touristique ne signifierait pas celle de la ville. Pourtant, aujourd’hui, les plus importantes d’entre elles ont pleinement misé sur ce phénomène qui, au-delà des retombées économiques, contribue à forger une renommée, une visibilité et une place dans les rangs mondiaux.
En ville, la plus répandue des pratiques est la découverte des grandes déambulations et de nombreuses visites. Aujourd’hui s’y ajoute le shopping qui, dans les grandes villes et pour certaines clientèles, est devenu un élément presque aussi important que la découverte. Selon l’importance et la diversité des lieux de visite et l’offre de shopping, une visite urbaine oscille entre quelques heures et une semaine voire 10 jours. On peut donc être de passage dans la ville ou en séjour. L’hébergement touristique a été presque exclusivement hôtelier, mais le développement récent des plateformes de location (cf Airbnb) est venu troubler très fortement les choses. D’autres formes de logements comme le couchsurfing a été aussi un élément nouveau d’accueil du touriste. Dans ce cas, un lit est prêté gratuitement, souvent un canapé.
La présence et le marquage spatiaux restent limités au centre-ville, près des monuments et des zones commerciales importantes comme sur certains boulevards et avenues. Dans les villes européennes, il s’agit généralement du centre-ville. A Marrakech, la quasi-totalité des sites d’intérêt se trouvent dans la médina à l’exception des jardins de l’Agdal et de la Menara. Ailleurs, il peut être plus dispersé, surtout dans les villes très vastes. Le recours aux transports en commun est plus systématique. A Mexico, quelques quartiers concentrent les lieux touristiques. Le centre-ville ou Zocalo, classé UNESCO en 1987, est le site le plus visité avec la Place de la Constitution devant la Cathédrale et près du Temple Mayor ; à l’ouest le Musée anthropologique et les parcs et Château de Chapultecec forment un autre ensemble jouxtant le quartier de la Condesa recommandé pour les sorties. Au sud, Coyoacan est proposé pour son ambiance et plus au Sud/Est, on trouve Xomchimilco, le Venise mexicain, aussi classé UNESCO en 1987. A Shanghai, la rue Nankin permet de relier le Parc du Peuple au Bund d’où l’on peut admirer Pudong. Ce dernier peut être visité mais il est surtout fréquenté pour accéder aux desks des 3 gratte-ciel qui dominent la ville : la Jin Mao, la Shanghai Financial Center et la Mirae Asset. Au Sud du centre-ville, la Yuyugarden ou le quartier de Xintiandi sont aussi très fréquentés par les touristes. De là, le métro vous emmène au site de l’Expo 2010.
Ainsi, à l’égal d’un CBD pour les affaires, on peut parler d’un Central Tourists District (CTD) pour le tourisme. Des expressions proches avaient déjà été proposées dans les années 70 [STANLEY et RICKERT, 1970] et elles ont été réalisées et enrichies récemment [DUHAMEL et KNAFOU, 2007] pour exprimer un espace urbain marqué par la présence des touristes. Le CTD se caractérise aussi par la concentration des monuments, musées et de tous les lieux de visite comme des nouvelles opérations urbaines plus que des hébergements présents dans toute la ville. Il se définit aussi par la visibilité des touristes dans l’espace public urbain à pied ou dans un bus touristique. Les boutiques de souvenirs à la présence très localisée sont aussi une clé de lecture. A Paris, « près du marché St-Pierre au pied de la Butte Montmartre ou de place du Tertre, la rue d’Arcole et du Cloître Notre Dame, la rue Rivoli entre le Louvre et le Palais Royal, sur les bords de Seine où les bouquinistes de la rive droite entre le Pont-Neuf et le Pont des Arts vendent moins de livres que de cartes postales » [DUHAMEL, 2003]. Au final, ce CTD peut être appréhendé de manière très fine par le déplacement des touristes envers les sites majeurs.
Dans les « villes touristiques », on peut distinguer les villes-étapes et les villes « touristifiées ». Les premières sont animées par une activité touristique partielle et limitée à l’hébergement : accueillir pour une nuit ou un temps court. Les lieux ouverts sont définis par un parc d’hébergement inégalement étendu et diversifié mais globalement banalisé. Elles sont situées sur des itinéraires très fréquentés tout au long de l’année ou plus particulièrement pendant les vacances. Alors, la localisation de la fonction touristique évolue du centre-ville ou de rue principale de la ville/village vers les points d’entrée ou de sortie du lieu, plus proches des voies express ou des rocades de contournement. A Tours, 35 établissements se situent aux portes de la ville contre 15 dans le centre. D’autres exemples sont très connus en France comme la vallée du Loing entre Nemours et Montargis ou Auxerre [DUHAMEL, 2003]. La fonction de ville/village étape est très répandue dans les pays où les autoroutes sont peu présentes, où les voitures sont globalement moins performantes que dans les pays occidentaux.
Les deuxièmes pourraient être qualifiées d’hypertouristiques, c’est à dire que toute l’activité du lieu est fondée sur le tourisme et, sans sa présence, la crise urbaine pourrait être majeure. Ces villes touristifiées sont généralement de taille moyenne ou intermédiaire dont tout ou une partie de l’espace est patrimonialisé. Ce sont des lieux de séjour ou de passage fondés sur la découverte. A la différence d’autres villes, pas de modernité urbaine contemporaine, pas de nouveaux projets : la ville semble figée depuis des siècles, ce qui explique son attrait. Bruges, Venise, Tolède sont des cas européens intéressants. A Bruges, tous les monuments sont regroupés au cœur de la vieille ville dans un périmètre de 1 200m sur 400m où se localisent aussi les 2/3 des hôtels. La place Markt et les rues alentours en constituent le cœur. A Venise, des points centraux apparaissent comme le Palais des Doges et Basilique St Marc ou le Pont Rialto et celui des Soupirs, même si on peut déambuler dans toute la ville.
A partir des années 70, des villages entiers sont devenus touristiques créant la catégorie des « villages touristifiés ». Souvent isolés, bâtis au Moyen Age, ayant peu d’édifices plus récents, ils ont acquis une renommée touristique nouvelle même si les guides touristiques les avaient identifiés ou si quelques classements avaient labellisé leurs monuments. Cordes, St-Cirq Lapopie, Eze-Village, Santillana (Cantabrie) appartiennent à ce type. D’une certaine façon, St Tropez est aussi dans cette catégorie tant le vieux village semble ne pas avoir changé depuis Dieu créa à la femme (1956). Mais l’objet de la pratique est ici la déambulation sur le vieux port et dans le village pour plus de 6 millions de personnes, tandis que le musée n’accueille que 25 000 personnes. Ces villages sont souvent caractérisés par une très nombreuse présence de galerie d’arts et le séjour direct de quelques célébrités. Les moins connus d’entre eux ont rejoint certains labels comme les « plus beaux villages de France » ou les « petite cités de caractère ».
III – Dynamiques et combinaisons spatiales des lieux touristiques
Une fois constitués, les lieux touristiques connaissent leur propre dynamique leur permettant d’évoluer et de se transformer. L’évolution des lieux touristiques peut se lire comme un développement de l’habitabilité et de l’urbanité des lieux. Car devenir un lieu touristique signifie que des habitants temporaires viennent séjourner, que des habitants permanents viennent s’installer et tout cela contribuera au renforcement permanent et continu de l’urbain [MIT, 2011]. Quelques travaux ont déjà réfléchi à cet « itinéraire » ou « développement » des lieux touristiques [MIT, 2002 ; DUHAMEL, 2003 ; DARBELLAY et al, 2011 ; VLES, 2015]. Ici il s’agit de proposer une lecture qui se nourrit de ces réflexions en identifiant deux grands processus.
1) Deux exemples de diversification interne
Le premier processus consiste pour les lieux touristiques divertis ou créés par le tourisme à s’adapter aux goûts, aux attentes et aux pratiques touristiques. Ils se renouvellent dans le tourisme qui reste le moteur de l’activité et du développement économique, social et spatial. Cela peut contribuer à un changement tel qu’il change de type de lieu.
Situées sur la frontière entre le Botswana, le Zimbabwe et la Zambie, les chutes Victoria sont classées UNESCO depuis 1989. Elles furent portées à la connaissance des Européens par Livingstone (1855). Les premiers développements du site s’opèrent au début du 20ème siècle lors de l’inauguration de la ligne ferroviaire Le Cap-Le Caire et l’achèvement du Pont des Chutes Victoria (1905). Il devint alors une étape pour les passagers suite à l’édification du Victoria Falls Hotel (1906).
A cette époque, il s’agit d’un site touristique dont le fonctionnement repose sur la découverte et la visite avec un hébergement dans le quartier de Victoria Falls au sud des Chutes. Au Nord, le village de Livingstone devient la capitale de la Rhodésie du Nord de 1911 à 1935. Mais elle profite peu du site car elle est distante de 10km. La région sera visitée par de nombreux Anglais pendant toute la colonisation (dont la famille royale). Lors de l’indépendance et des conflits qu’elle provoqua, le tourisme s’interrompit jusque dans les années 80 du côté zambien.
Dans les années 90, on comptait 300 000 visiteurs provoquant le développement de Victoria Falls et Livingstone est considérée alors comme une « station ». La construction de l’aéroport augmenta l’accessibilité à la ville zambienne et fut agrandi en 2014. Au même moment fut lancée la construction de l’aéroport de Victoria Falls, à 18km au sud de la ville. Nous disposons donc d’un espace touristique structuré en deux stations, mais frontalier, où les touristes peuvent acheter un visa à la frontière facilitant la circulation.
Au Zimbabwe, Victoria Falls dispose d’une trentaine d’hébergements (1 000 chambres et 1 800 lits). En Zambie, Livingstone compte près de 75 hébergements (12 000 chambres et 20 000 lits pour la province dont elle est le chef-lieu). 75% des clients sont étrangers, montrant un rayonnement international. Il s’agit d’hôtels et de lodges. Des établissements importants se sont installés entre 1990 et 2000 le long du Zambèze ; ces hôtels disposent d’équipements pour les réunions d’affaires et, depuis quelques années, des offres « mariages » sont proposées, diversifiant les produits d’appel. Ceux-ci fonctionnent comme des comptoirs par leur localisation en dehors des villes.
Depuis le début du siècle, plusieurs évènements ont renouvelé la fréquentation et diversifié les attraits. Dès 2001 se tient le All Africa Golf Team Championship et en 2009 a été lancé le Vic Falls Carnival. Il est proposé par de nombreuses agences régionales et nationales au Zimbabwe, en Zambie, au Botswana et en Afrique du Sud.
Pour tous les visiteurs, Victoria Falls est devenu une destination riche en activités car la visite ne se limite pas aux seules Chutes, il y a des îles situées au fils du Zambèze ou encore de très nombreuses activités sportives comme le rafting dans les Gorges de Batoka, le surf, le survol aérien du site et les « croisières » sur le Zambèze. Avec les parcs du Zambezi National Park (573km²) et le Victoria Falls National Park (23km², 1972), il est possible de découvrir la faune et la flore. Depuis une dizaine d’années, cet espace touristique s’étire vers l’ouest sur la partie botswanienne du Zambèze où le Chobe National Park vante sa proximité aux Victoria Falls.
A St-Gervais-les-Bains, les évolutions sont telles qu’on peut considérer cet endroit comme un exemple de l’histoire touristique en montagne. Lors de la découverte de Chamonix, les gorges du Bonnant deviennent un site de visite, avant que le notaire Gontard, installé dans le bourg de St-Gervais, découvre des sources sur sa propriété [BRUSTON et al., 1992 et 1994]. Alors débute la période thermale de St Gervais avec l’édification d’un établissement. Il s’édifie sous la forme d’un comptoir. L’arrivée d’un nouveau propriétaire dans les années 1840 change la destinée du lieu. Par la volonté de n’accueillir que des curistes, il contribua au développement du plateau de St-Gervais par l’accueil des visiteurs bien-portants près du bourg. Les premiers hébergements touristiques apparurent et leur nombre augmenta modérément jusqu’à la catastrophe des bains en 1892.
En 15 ans, un quartier touristique se développa entre le bourg ancien et la nouvelle gare du tram du Mont Blanc inaugurée en 1909 et un champ de foire transformé en promenade [DEPREST, 1997]. La station touristique d’été est née alors que les gorges restaient un site d’excursion et de thermes, un comptoir pour le soin, après leur reconstruction. Les sports d’hiver se développent aussi au même moment que Megève et Chamonix. En 1953, l’arrivée d’un nouveau maire, président de la Fédération française de ski, provoque la construction d’un nouveau lieu : Le Bettex qui devient la station de ski de St-Gervais et partage son domaine skiable avec Megève. Aujourd’hui, St-Gervais dispose de 3 lieux touristiques sur sa commune.
Au Fayet et à proximité, la cascade (cf cheminées aux fées) sont des lieux d’excursions auxquels s’ajoute le tram du Mont-Blanc qui capte 1 clientèle touristique régionale pour accéder au nid d’Aigle (2 372m d’altitude). Spécialisé depuis longtemps dans les grands brûlés, l’établissement a été modernisé et a développé en 2011, un espace de bien-être et de forme. Une ligne de produits cosmétiques « St-Gervais » a été lancée (rachetée par L’Oréal en 2016). Au bourg de St-Gervais se trouve le centre de la station d’été et d’hiver avec l’ensemble des services attendus. Le Bettex reste la station de ski même si les hébergements banalisés sont limités. Entre le bourg et Bettex se trouve l’espace des résidences secondaires depuis le début du 20ème.
2) S’adapter pour durer
Pour les stations thermales situées dans les régions les moins favorisées en enneigement, le virage sportif de la montagne et surtout autour du ski a eu d’autres effets. Ici peut être daté le « décrochage » du Massif central sur la scène touristique nationale et internationale. Beacoup de stations thermales françaises ont vu un recul de leur activité touristique car leurs eaux n’avaient pas de qualité particulière. Certaines sont même sorties du tourisme comme Enghien. D’autres ont rénové leurs installations ou ont reconverti leurs établissements ; d’autres jouent la carte patrimoniale comme Vichy ou Evian [JAZE-CHAVROLIN, 2014]. D’autres enfin tentent de revenir au tourisme comme Cransac avec de grandes difficultés [DUHAMEL, 2003].
Ce double argumentaire peut être mobilisé pour la plupart des lieux devenus touristiques au 19ème pour des raisons thérapeutiques à la montagne. Fréquentées l’été, quelques-unes sont devenues des stations de sports d’hiver dès les années 1860, alors que d’autres conservent la stricte pratique thérapeutique. Pour les unes, la double saison s’instaure avec l’« ouverture » du lieu possible jusqu’à 10 mois. Pour les autres, une clientèle effectuant des cures remboursées par la sécurité sociale aux lendemains de la guerre n’associa pas ces destinations à la modernité, à la jeunesse et à l’animation.
Pour les littoraux, la logique est différente selon la localisation des stations nées avant les « 3 S ». Ici, on peut identifier 2 scénarios. D’une part, pour les stations littorales du Sud de Angleterre ou de la Manche, les destinées sont plus contrastées. Les lieux ne disparaissent pas mais la fréquentation ne sera plus la même et le sens des lieux évolue. D’une station touristique, le lieu devient plus un espace résidentiel et de loisirs avec un volet touristique où le marché n’a plus la même place. Parmi les stations de la Manche, certaines sont devenues des communautés touristiques [DUHAMEL, 2008]. Suite à la Deuxième Guerre mondiale et à l’avènement du « sol y playa », ces stations n’ont pas renoué avec la fréquentation d’avant. Cela tient à plusieurs éléments : le Grand Hôtel de front de mer, détruit pendant ou à cause de la guerre, n’a pas été reconstruit car la société touristique locale ne l’a pas souhaité ; et ce lieu n’intéressait plus le marché. Alors il a progressivement reculé jusqu’à disparaître au fil des décennies. Aujourd’hui, les Petites Dalles sur la Côte d’Albâtre (Nord de Rouen) sont 1 lieu touristique constitué exclusivement de résidences secondaires, le dernier hôtel ayant fermé en 2007. Les Grandes Dalles, Ault ou Cayeux peuvent être aussi évoquées. Pour les stations-villes du19ème siècle, l’histoire est un peu différente : « Malo-les-Bains, station lancée dans années 1860 se sépara de la commune de Rosendaël en 1891 pour être rattachée à Dunkerque en 1970. L’Estaque (Marseille) a progressivement été intégré au tissu urbain marseillais » [MIT, 2011]. Plus récemment, les évolutions de la ville de Palma ont radicalement changé dès le milieu des années 80 quand le quartier touristique se transforma : avec un recul de 10 000 lits, le quartier de Terreno « est devenu, dès la fin des années 1970, un quartier résidentiel de Palma, les hôtels ne se localisant plus qu’aux abords du paseo maritimo et accueillant plus des hommes d’affaires que des touristes » [DUHAMEL, 2003]. En 1969, y fut construit un Auditorium/Palais des Congrès pouvant accueillir 2 000 personnes et différents salons et expositions. Il a été totalement reconstruit et inauguré en 2017 et a accueilli, cette année-là, 174 évènements et plus de 30 000 personnes. Jouxtant El Terreno, « Palma Poniente conserva une fonction exclusivement touristique jusqu’aux années 1988-1990 où la crise de fréquentation de Majorque et les lois promulguées ensuite reconfigurèrent plu largement ce lieu. L’une de ces lois visait soit à moderniser hôtels les plus anciens, soit à les transformer en appartements. […] en 30 ans, Palma Poniente a perdu près de 70% de son hébergement » [DUHAMEL, 2003]. Ceci étant posé, on trouve sur la Manche de nombreuses stations encore touristiques et cela pour plusieurs raisons : le rôle important des résidences secondaires pour faire découvrir le lieu, le goût contemporain pour des côtes moins bétonnées et plus authentiques comme la Bretagne-Nord ou la Manche, par exemple. Se trouvent aussi des lieux emblématiques de l’histoire du tourisme où se combinent l’image d’une destination haut de gamme et patrimoniale, et la fréquentation assidue des Parisiens : Deauville ou le Touquet-Paris-Plage.
D’autre part, toutes les stations situées sur les littoraux tempérés ou chauds ont pu capter les pratiques associées aux 3 « S ». De l’Atlantique à la Méditerranée, elles ont changé de saison : de l’hiver à l’été, et de pratiques : de la cure d’air et du bain à la lame au « sol y playa ». On pense aux Sables d’Olonne, Arcachon ou Biarritz comme toutes les stations de la Côte d’Azur.
Enfin, une diversification des formes de pratiques touristiques ne provoque pas forcément le changement de type de lieu. Ici, 2 logiques peuvent être observées. Depuis les années 1980, les snowboards et mono-skis sont venus enrichir l’offre de ski. Sur le bord de mer, le nautisme, le surf puis le ski nautique, la planche à voile, le jet-ski mais aussi le longe-côte et le wakeboard comme le windsurf, le kitesurf et le paddle auxquels s’ajoute le coastering montrent la diversité des sports possibles. Certains peuvent exploiter les mers calmes sans trop de houle alors que les autres ont besoin de vagues et/ou de vent. Pour ces lieux, cela a deux conséquences : soit la possibilité de valoriser davantage « leur » mer et de multiplier les usages pour capter des clientèles différentes et plutôt jeunes ; soit de permettre à des lieux de devenir touristiques avec un usage nouvellement conçu. Ainsi, le kite-surf et le windsurf ont permis à la station de Gruissan-Plage de diversifier ses activités.
3) Diversification externe et accès au statut de ville
Si les lieux touristiques perdurent dans le tourisme, d’autres restent dynamiques aussi par le développement d’activités connexes et l’accueil de nouvelles populations temporaires. Ainsi, l’émergence de ces activités contribue à désaisonnaliser la fréquentation du lieu et à démultiplier les raisons d’y séjourner. Cette évolution participe au changement de type du lieu : une station peut devenir une station à fonctions urbaines.
Cannes est un cas exemplaire [DUHAMEL, 2003]. La station fondée par Lord Brougham suite à son séjour en 1834, et développée pendant longtemps par la communauté anglaise [BOTTARO, 2014], Cannes a entrepris une diversification de ses activités très précocement dans l’histoire avec la création du Festival international du Cinéma, envisagé dès 1939 suite à une première crise hôtelière. Relancé en 1946, le Festival est devenu un évènement mobilisant les médias et les stars du monde entier. Il a permis de maintenir puis de redévelopper l’hébergement haut de gamme et de luxe. A cela s’ajoute l’ensemble des activités d’affaires qu’a développé la ville dans la continuité du Festival. Les voyages d’affaires et les congrès sont une autre diversification. Tous les ans, 250 000 congressistes séjournent à Cannes, la deuxième ville française de salons professionnels internationaux et la deuxième destination d’affaires. Avec plus de 18 000 lits touristiques pour le séjour, Cannes est aussi un lieu de passage et d’excursions comme le prouve la fréquentation de la Croisette et son million de visiteurs. La population s’élève à 73 500 habitants avec une part significative de retraités (19%), mais les actifs s’y installent aussi via la migration professionnelle, le mouvement initié au moment de l’inauguration de la technopole Sophia- Antipolis (1973). Là encore Cannes fut pionnière.
Deauville connut les mêmes dynamiques. Depuis la relance de Michel d’Ornano en 1962, cette station est engagée puissamment dans l’économie évènementielle avec le lancement du Festival du film américain en 1975 mais aussi des évènements hippiques… Cela ne se traduit pas par 1 résidentialisation dans ce lieu touristique car la population diminue depuis 1975. Il est difficile de se loger et de vivre à Deauville, mais c’est le « royaume » de la résidence secondaire parisienne ou des courts séjours. Actuellement, le lieu continue de se développer malgré le peu d’espaces disponibles comme le montre l’opération de la presqu’île de la Touques. La mairie a aussi agi pour renouveler les pratiques touristiques et a obtenu une ZPPAUP en 2005 devenue AVAP en 2015, introduisant de manière officielle la découverte touristique de la station lancée par Duc de Morny : quand l’histoire du tourisme alimente l’actualité du lieu touristique.
La Grande Motte est un autre exemple de diversification. En effet, cette station de la mission Racine est devenue une commune indépendante en 1974 et connut une ouverture précoce d’un Palais des Congrès (1983). Le développement touristique régional et le rayonnement croissant de Montpellier ont contribué à en augmenter la population : de plus de 2 000 habitants en 1975 à 8 600 en 2014, tout en accueillant de très nombreux touristes avec près de 10 000 lits marchands et 80 000 lits en résidences secondaires. Les populations présentes sont donc diverses. D’une part, c’est une commune prisée pour la « migration de retraite » où les personnes âgées représente 48% des ménages, mais c’est aussi une commune qui attire de jeunes étudiants le temps de l’année universitaire, le prix de l’immobilier ayant considérablement augmenté. Sur le volet touristique, cette station née du modèle des 3 « S » a réussi à gagner une nouvelle image en obtenant le label « patrimoine du 20ème siècle » en 2010. Depuis des visites guidées sont proposées.
Acapulco a aussi connu une phase d’évolution touristique produisant une installation de population permanente qui permit d’accueillir d’autres activités pourvoyeuses de richesses et d’emplois [DUHAMEL, 2003]. Ainsi s’est développée une activité de colloques et de congrès dès 1973 avec l’inauguration du Centro International Acapulco qui a fermé en 2009 pour être intégralement rénové. Aux congrès s’ajoutent des festivals et des concerts. Toutes ces activités ont recours aux infrastructures et services mis en place pour le tourisme. A ce premier changement s’ajoute, depuis 1979, l’ouverture d’une université. Aujourd’hui, la ville dispose de 4 universités privées et 2 universités publiques comme de 4 universités en ligne.
4) Combinaisons des types de lieux
A une autre échelle d’approche et selon les évolutions des lieux-types, on peut identifier plusieurs combinaisons de lieux qui permettent de rendre compte de l’expression spatiale du tourisme.
Les itinéraires sont des voyages touristiques spécifiques fondés sur le déplacement de lieu en lieu. Ici, tous types de lieux touristiques peuvent être mobilisés, du site à la station et à la ville. Seuls les comptoirs comme les villages-clubs en sont plutôt exclus alors que l’on peut aller dans un parc à thème. L’itinéraire peut être mené de 2 manières selon les conditions de sécurité des espaces traversés. D’une part, quand on est dans un pays à haut niveau de sûreté des personnes et des biens, le déplacement individuel ou en famille avec son véhicule, en train ou en avion est possible au gré des opportunités ou des envies. Cela concerne globalement l’ensemble des pays européens ou nord-américains. Pour les autres pays, même si la sécurité existe, l’itinéraire n’est guère recommandé. Le recourt à un voyagiste ou un prestataire est souvent préféré pour assurer les acheminements, les séjours et les visites. Cette pratique appelée « circuit touristique » par les professionnels du tourisme est un moyen de découvrir un pays car il est fondé sur la découverte même si des moments de repos peuvent être proposés (par exemple, le séjour à Mombasa après un safari au Kenya).
Cette règle générale peut être nuancée pour certaines régions du monde. Ainsi, le Yucatan est connu pour sa pacification réussie à l’endroit de la mobilité des touristes, alors que cela apparaît plus incertain dans le reste du Mexique. Là, on peut louer sa voiture à Cancùn ou Mérida puis découvrir les villes littorales (Progresso) ou villages comme Celestun ou Rio Lagartos et leurs réserves de flamands roses, les cenotes près de la Riviera Maya mais aussi les sites de Chichen Itza ou d’Ek Balam et son village écotouristique. Ces expériences peuvent être aussi vécues dans le cadre d’un voyage organisé mais l’hébergement se fera en hôtel appartenant à des chaînes. En Chine, la découverte peut aussi être autonome si on prend des trains ou des bus, car la location d’automobile est interdite aux étrangers.
Ensuite, la logique de l’itinéraire se joue à toutes les échelles. Pour des Chinois partis à la découverte de l’Europe, elle signifie visiter 6 pays en 10 jours avec des itinéraires choisis précisément selon des attentes et des demandes. La même logique opère pour les Français qui peuvent découvrir plusieurs pays en 2 semaines ou 1 seul pendant plusieurs semaines. Certains espaces se prêtent à l’itinéraire touristique comme les Châteaux de la Loire ou la Toscane par l’existence d’1 chapelet de monuments/villes/villages à visiter. Les combinaisons sont infinies. Cette lecture par l’itinéraire et les « routes », si on reprend la terminologie des professionnels du tourisme, est aussi un moyen de comprendre comment s’élabore une logique de visites chez les touristes. Cela revient à poser la question de la région touristique, qui est une échelle très souvent galvaudée en géographie, mais qui prend maintenant une résonance nouvelle et intéressante par son approche sous l’angle des pratiques touristiques [PIRIOU, 2012 et 2016].
Les métropoles touristiques se caractérisent par une logique spécifique : les touristes viennent pour visiter la ville-centre mais leur présence sur place est l’occasion d’aller voir hors du Central Tourists District. Le cas de Paris est exemplaire. Le CDT se déploie sur l’axe de la Seine à proximité duquel se trouvent de nombreux lieux de visite avec quelques « extériorités » comme Montmartre, l’Etoile, La Villette ou Le Père Lachaise [DUHAMEL, 2003]. Les touristes à Paris se rendent aussi dans des lieux en continuité avec le centre-ville. Ainsi, la basilique St Denis ou le Stade de France comme La Défense sont accessibles rapidement en métro/RER. Un premier anneau de satellite du CDT est donc observable, et les visiteurs de ces lieux séjournent généralement à Paris. Un deuxième anneau se localise un peu plus loin avec des temps de parcours en RER ou en train plus longs : Versailles, Auvers/Oise, Giverny ou Fontainebleau sont très fréquentés par les touristes de Paris, mais d’autres peuvent s’y arrêter sur la « route des vacances ». Enfin, un troisième anneau correspond à des excursions à la journée depuis Paris. Ainsi Paris-City Vision offre 21 excursions hors de Paris. Si des régions proches sont proposées comme les plages du débarquement ou les champs de bataille de la Somme, le Mont Saint-Michel et les Châteaux de la Loire (4 excursions) sont aussi au catalogue. Pour la Bourgogne et ses vins (5 excursions) et la Provence (3 excursions), le voyage se déroule en TGV jusqu’à Dijon ou Beaune, Avignon, Aix et Marseille.
Les produits sont tout à fait adaptés aux clientèles internationales. Ainsi l’une d’entre elle est consacrée à la découverte des paysages de lavande et du musée de la lavande. Elle peut être effectuée en Anglais ou en Chinois pour cette clientèle asiatique inconditionnelle de cette plante (cf série chinoise Dream Link dont 30 épisodes montraient des paysages français). Enfin, 2 excursions permettent de découvrir Londres et Bruges en une journée depuis Paris. La métropole touristique est donc cette ville où les touristes séjournent mais profitent de leur présence pour rayonner selon la pratique classique des excursions. Ici il n’est pas question de séjourner ailleurs, le logement restant réservé pour l’intégralité du voyage sur Paris.
Les conurbations touristiques sont des ensembles urbains littoraux qui s’étendent sur plusieurs dizaines de km. Elles sont un enchaînement de stations, de villes-stations, de stations urbaines qui agrègent des sites et des comptoirs. Le tout produit un paysage densément construit, traversé et fréquenté par une population importante et prenant appui sur des agglomérations, métropoles ou grandes stations. Leur nom est marqué par une renommée mondiale comme la Côte d’Azur et la Floride ou internationale comme la Gold Coast, ou encore européenne comme la Costa del Sol. Ainsi la Floride s’étend sur plus de 100km. Miami a accueilli 15 millions de touristes en 2015 et le Palm Beach County 6,6 millions. Les 60km de la Côte d’Azur ont été fréquentés par 11 millions de touristes en 2016, assurant 70 millions de nuitées et 5,8 milliards de chiffre d’affaires. Le tourisme y emploie 75 000 personnes avec un parc de 150 000 lits marchands et 180 000 résidences secondaires. Costa del Sol accueille 12 millions de touristes en 2016, ce qui représente 28 millions de nuitées dans les hébergements légaux. Mais des conurbations de taille plus modestes existent aussi sur le littoral tunisien entre Nabeul et Hammamet. Sur 25 km sont identifiées plusieurs dizaines de comptoirs entre les 2 villes auxquels s’ajoutent toute une série d’immeubles d’appartements et hôtels.
Enfin des conurbations sont en formation. Le littoral languedocien s’apparente à cette dynamique. De même, la Riviera Maya s’étend sur 130km avec 3 stations inégalement développées qui structurent l’ensemble : Cancùn l’historique, Playa del Carmen l’Européenne et Tulum « the place to be ». On identifie + de 30 comptoirs touristiques « all inclusive » dont les 2/3 constituent un corridor presque ininterrompu au Sud de Cancùn. Le site archéologique de Tulum comme présence de nombreux cenotes en arrière de la côte complètent l’offre de la plage par la découverte, le sport et les parcs à thème. La Riviera Maya a accueilli presque 16 millions de touristes en 2016. Sur la Mer Rouge, en Egypte, le littoral autour d’Hourghada a aussi beaucoup évolué ces 30 dernières années : à partir de quelques hôtels et comptoirs s’est constitué un littoral accueillant de très nombreux hôtels-clubs, sans doute plusieurs centaines sur plus de 80km de manière quasi ininterrompue. Plus au Sud, ponctuellement, quelques établissements surgissent jusqu’au Wadi El-Gemal National Park à 2h de l’aéroport.
Au final, cette analyse a permis d’identifier les lieux touristiques par la proposition d’une « typologie générique et dynamique » [LAZZAROTTI, 2003] et de montrer que les lieux touristiques évoluent au gré de la dynamique des sociétés qui les entourent et/ou les fréquentent. Cette capacité d’adaptation est forte et explique leur pérennité. Finalement, on n’a pas ou peu identifié des destinations qui ont disparu [MIT, 2011] suite à trop peu de fréquentations ou du fait d’un épuisement de la ressource. Seuls ceux ayant un développement insuffisant n’ont pu résister à une crise de fréquentation et/ou à un renouvellement des pratiques.
De même, la logique d’ensemble montre que les lieux touristiques tendent vers plus d’urbanité suite à une urbanisation continue des destinations et à une diversification possibles des activités touristiques et/ou tertiaires. Cela renforce le lien entre le tourisme et la ville, le tourisme et l’urbanité [STOCK et LUCAS, 2013 ; DUHAMEL, 2014]. Et le temps long de l’histoire du tourisme nous permet d’identifier des villages/de petites villes devenus de petites villes ou des agglomérations, comme les littoraux touristiques transformés en conurbations touristiques.
Cette histoire des lieux touristiques et de leurs dynamiques n’est pas achevée, car les enjeux contemporains conduiront sans doute à les faire évoluer encore.