Depuis longtemps, les populations se déplacent et voyagent. Le touriste est un voyageur mais il est différent de ceux qui l’ont précédé et le tourisme est une mobilité originale et spécifique. Dès lors, il faut saisir la dimension géographique du tourisme et des loisirs pour en proposer une définition montrant les implications spatiales fortes pour les lieux fréquentés et les sociétés concernées. Car, au-delà des définitions officielles des organismes internationaux dont l’utilité est réelle mais relative, il est possible de proposer une définition scientifique du phénomène.

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Ce travail est essentiel car il permet de différencier le tourisme et les loisirs des autres mobilités humaines dans un monde caractérisé par une forte croissance du déplacement des individus.

I – Un voyage spécifique

Diplomates et hommes de lettres, voyageurs de commerce et colporteurs, aventuriers et expéditionnaires mais aussi pèlerins parcourent le monde depuis des siècles. Mais jusqu’à la fin du 18ème siècle, pas de touristes; ce mot n’existe pas. Il apparaît en 1800 en anglais, en 1803 en français et 1875 en allemand. Aujourd’hui encore, ce mot n’existe pas dans certaines langues et est apparu récemment en mandarin. Son apparition pour désigner un voyageur nouveau est un indicateur fort. Le mot «tourisme» apparaît après 1811 en anglais et 1841 en français quand les mots apparaissent cela signifie que la pratique existe et qu’elle est suffisamment développée et originale pour nécessiter un néologisme. Pourtant, s’il est inventé, le tourisme est un voyage qui s’inscrit en filiation avec le Grand Tour et les mobilités de «santé» vers les villes d’eaux.

1) Un nouveau rapport au Monde

Grand Tour = pratique ancienne, apparu dès la fin du 16ème siècle, mais c’est «au cours du 18ème siècle que le terme «Grand Tour» en vient à désigner de façon stable une ample pérégrination de plusieurs années qui conduit le voyageur à travers une grande partie du continent européen, sans pour autant la réduire à un modèle rigide et unifié» [BOUTIER, 2004].

Voyage éducatif réservé aux jeunes hommes de la noblesse européenne et de la gentry anglaise qui voyageaient pendant plusieurs années pour apprendre le monde, ils se rendaient dans différents pays, mais tous aboutissaient sur la péninsule italienne, surtout au Nord (Vénétie et Toscane) jusqu’à Rome et Naples mais parfois aussi en Grèce.

Le passage du «Grand Tour» au «voyage touristique» s’observe dans l’évolution des centres d’intérêts. Comme le montre le travail de John TOWNER (1985) qui a dépouillé 107 récits de voyage entre 1547 et 1840, les thèmes abordés se spécifient avec le 19ème siècle. D’une approche encyclopédiste du monde où se mêlent «religion et politique», «sciences», «société», «classiques et antiquités», «art et architecture», «fortification», «commerce» et «paysage»; il devient plus thématique et centré sur 3 éléments: le «paysage», l’« art et architecture » et les «classiques et antiquités». En cela, il fonde ce que les professionnels du tourisme appellent notamment aujourd’hui le «tourisme culturel». Un 4ème élément vient compléter l’identité de cette mobilité: la «société». Par là, il faut comprendre la volonté de voir, regarder les habitants vivre dans leur pays mais aussi les rencontrer et construire une sociabilité avec ceux disposés à le faire (autres voyageurs et/ou habitants). La rencontre n’est pas une obligation mais une possibilité [CERIANI et al, 2005]. Ce dernier élément est fondamental dans la matrice du tourisme car elle indique que voyager consiste à découvrir les monuments et paysages d’un pays mais c’est tout autant s’intéresser aux modes de vie des habitants, aux ambiances… Ainsi, la Chine est prisée pour sa Grande Muraille et la Cité interdite, elle l’est aussi pour les Chinois dans les rues, l’ambiance urbaine et campagnarde… De même, que serait l’Espagne sans ses «plazas mayores» et son Alhambra ou ses Picos de Europa mais aussi sans ses bars à tapas, ses fêtes villageoises et sa movida?

Le Grand Tour devient un voyage thématique au 19ème siècle. STENDHAL ancra cette nouveauté dans ses Mémoires d’un touriste (1838). Les villes deviennent le centre d’attention de ces «premiers touristes» qui, dans le même temps, admirent les «paysages», tous les paysages. Deux seront particulièrement distingués : montagne et bords de mer. En effet, les montagnes avec la vallée de Chamonix et le mont Maudit (devenu depuis le Mont Blanc) sont repérés par les scientifiques depuis Genève, étape du Grand Tour [JOUTARD, 1986 ; DEBARBIEUX, 1995 et 1997] et la plage, dès la fin du 17ème siècle, devient un motif artistique. De nouveaux lieux émergent, sources d’intérêt scientifique et d’inspiration artistique. Aux paysages grecs ou italiens s’ajoutent ceux des «territoires du vide» : la plage et la montagne, emplies alors de nouvelles valeurs [CORBIN, 1988 ; DUHAMEL, 2007].

A la manœuvre, les élites scientifiques, artistiques et culturelles, politiques et économiques. Leur rôle respectif n’est pas forcément le même, mais elles constituent une classe qui forge un nouveau rapport au Monde. Dans une Europe où dominait l’esprit des Lumières, la compréhension de la formation du Monde comme la connaissance de la Nature orientait les biologistes, botanistes comme les médecins vers les montagnes et littoraux, avec dans leur sillage, artistes et écrivains.

Pour les uns, il s’agit d’accéder aux points hauts de la montagne pour l’observer, la dessiner, la décrire. L’enjeu est de dresser des cartes plus précises comme d’identifier des voies de communication plus performantes pour traverser les Alpes. Cet esprit de conquête est relaté dans des récits tels que Les premières ascensions au Mont Blanc (1774-1787) d’Horace-Bénédict de Saussure. Les artistes sont aussi des acteurs importants de ce changement de regard illustré par les scènes de la peinture hollandaise du Siècle d’Or (milieu 17ème) [KNAFOU, 2000]. S’élabore alors le paysage romantique dont l’influence sur le rapport touristique des individus au Monde est toujours d’actualité. Les élites scientifiques, intellectuelles et artistiques sont à la manœuvre ici, et le voyage qu’ils conçoivent se distinguent des précédents avec cette idée de LINNERHIELM proposé en 1787: «I travel to see not to study» [cité par LOFGREN, 1999]. Ils seront largement relayés par les élites politiques comme les rois/reines d’Europe qui adhèreront à ce nouveau regard sur le monde.

Pour les autres, le progrès scientifique porte sur l’amélioration de la santé, et l’émergence de la médecine moderne signifie que celle-ci ne relève pas du miracle comme ce fut le cas, le plus souvent, dans les villes d’eau jusqu’au 18ème siècle. Ainsi, l’observation de certaines situations et les déductions qui en sont faites permettent de dire que « es habitants des lieux élevés, respirant ordinairement un air + froid et […] + condensé, qu’il ne le serait sans ce froid, et cet air ainsi disposé empêchant le relâchement des fibres, ces habitants sont assez souvent + vigoureux et plus agissants que ceux de la plaine» (BERTRAND, 1754, Essai sur les usages des montagnes). Des constats sont faits aussi sur la non-diffusion de telle ou telle épidémie à telle ou telle vallée. Et lors d’étape, certains «grands touristes» constatèrent qu’à Nice, «on y jouit, pour ainsi dire, en hiver d’un printemps perpétuel [ajoutant que] un valétudinaire qui a besoin de respirer un air pur et sec, et de se tenir en exercice, trouvera à Nice pendant l’hiver tout ce qui lui est nécessaire» (Sulzer G, Viaggo da Berlino a Nizza e ritorno [1775], cité par C. Amoretti, Milano, 1838).

Pour la mer, la pratique du bain est ancienne et Dieppe est, depuis longtemps, célèbre pour soigner la rage [RAUCH, 1988]. Avec le 18ème siècle, «ce sont les bienfaits non plus mythiques mais physiques qui sont glorifiés […]. On attribue à l’eau de mer, à la cure prise sur le rivage, à la présence auprès d’éléments (aériens et aquatiques) que combine le séjour à la mer, une somme de bienfaits. […] Là où la violence et la mort était à conjurer par une cérémonie et son rite, la prescription médicale cherche dorénavant à fonder l’action du bain sur les savantes analyses de la mer. Pas de vertus secrètes à déceler, mais des propriétés à découvrir dont l’utilité s’impose à la lumière d’une démonstration» [ibid.]. Il en sera de même plus tard pour le soleil. Eau, air mais aussi ensoleillement constituent les fondements d’une pratique thérapeutique qui révolutionne le «prendre les eaux» des siècles passés. Le miracle et le sacré cèdent la place à la santé, et la source miraculeuse devient la source thermale ou le bain de mer.

Les mêmes lieux sont identifiés et fréquentés pour des raisons variées. Genève est une étape sur la route du Grand Tour et depuis la ville, le Mont Blanc est identifié comme une montagne pouvant répondre aux enjeux scientifiques de l’observation, car enneigé toute l’année. Une fois arrivée dans la vallée de Chamonix, un paysage de glacières se déversant dans la vallée s’offre aux artistes, aux romantiques, aux voyageurs qui, dès le 18èmesiècle, y accèdent, mouvement amplifié par les échos de la 1ère ascension du Mont Blanc (1786). Non loin de là, la Cascade du Bonnant, d’abord fréquentée comme expression des «merveilles de la Nature», verra l’établissement thermal de Saint Gervais ouvrir au début du 19ème siècle quand l’analyse de l’Académie de Médecine conféra des qualités à l’eau de la source pour les problèmes de la peau. De même, en 1836, Lord BROUGHAM se rendait en Italie quand il dut rebrousser chemin peu avant Nice pour cause d’épidémie de choléra. Le premier village traversé pour passer la nuit sera Cannes. L’année suivante, il commença la construction de sa demeure et contribuera avec d’autres Anglais, au lancement touristique de ce village [BOTTARO, 2014]. Littoraux du Sud de l’Angleterre, du Nord de la France comme ceux de la Mer du Nord et la Baltique furent bientôt concernés. Cela fut le fait de médecins qui construisirent une thérapeutique fondée sur le «froid» et le mouvement de la mer comme le célèbre Dr Russel qui inventa la plage à Brighton en associant réussite du traitement et utilisation du bord de la mer [STOCK, 2001].

Le tourisme apparaît alors comme un voyage d’un genre nouveau qui croise le «sight» (c’est à dire le regard sur) [URY, 1990 ; HANCOCK, 2003, URY et LARSEN, 2001] et la santé [DUHAMEL, 2007]. Grand Tour et pratiques thérapeutiques constituent les fondements du phénomène car elles interagissent au sein d’un même voyage et d’un même lieu: dans le cadre du «Grand Tour», on peut se rendre à Chamonix mais l’ascensionnisme et l’excursionnisme s’accompagnent d’une cure d’aire, inévitablement. Séjourner à Brighton, Dieppe, c’est faire sa cure mais aussi admirer les paysages et découvrir les environs par des excursions. Pour Nice, c’est une étape sur la route du Grand Tour permettant la cure d’air et les visites.

2) Condition nécessaire mais non suffisante le temps libéré du travail et des congés payés

Si les aristocrates disposaient de leur temps et pouvaient régler leur présence ou absence en tel ou tel lieu selon leurs propres prérogatives, ce n’est pas le cas des autres groupes sociaux. Et lorsqu’ils seront rejoints par les industriels de la bourgeoisie du milieu du 19ème siècle, ceux-là auront aussi une certaine liberté d’action sur leur déplacement quitte, pour les chefs de famille, à installer leur famille dans un lieu touristique et ne les voir que le week-end grâce aux trains de plaisir.

Une condition nécessaire mais non suffisante pour que le tourisme tienne la place qu’il occupe aujourd’hui est l’apparition d’un nouveau mode de vie pour les salariés, où le temps libre/temps libéré du travail progresse suffisamment pour permettre des pratiques de loisirs à certains moments de la semaine, et que la promulgation des congés payés autorise des départs en vacances. Selon les travaux du sociologue Jean VIARD (2000), en France au 19ème siècle, un ouvrier/paysan avait une espérance de vie de 500.000 heures (57 ans en moyenne) et travaillait 200.000 heures. Comme il dormait 40% de sa vie, le travail représentait 70% de sa vie éveillée et il lui restait 100.000h de temps libre/liberté de travail. La vie est le travail et le travail est la vie, comme l’illustrent parfaitement les romans français du 19è siècle, avec l’exemple de Germinal de ZOLA (1885). Cette situation fut largement modifiée par les luttes sociales qui animèrent l’histoire de France entre 1848 et 1936. En 1848, la journée passe de 12h de travail à 10h, sans dimanche férié légal pour beaucoup. Le dimanche devient définitivement férié en 1906 et le samedi après-midi est accordé aux femmes dans les années 1920 pour préparer le dimanche de leur mari. Les conflits de 1936 débouchent sur les accords suivants: journée de 8heures, semaine de 5 jours et 2 semaines de congés payés annuels (bien après d’autres pays européens).

FOCUS : Il était une fois les congés payés.

«Avant 1936, le principe des congés payés en France était très limité alors que plusieurs pays les avaient déjà instaurés: 1905 en Allemagne, depuis 1910 en Autriche-Hongrie et dans les pays scandinaves, début des années 20 en Tchécoslovaquie, Pologne, Luxembourg puis avant la guerre en Grèce, Roumanie, Espagne, Portugal ainsi qu’au Chili, Mexique, Brésil.

En France, les congés payés restent alors cantonnés à quelques secteurs, malgré diverses tentatives législatives en 1928, 1931 et 1932 pour les généraliser, régulièrement retoquées par Sénat. Qui sont ces quelques privilégiés ? Les fonctionnaires de l’Etat, d’abord, qui bénéficient depuis un décret impérial du 9 novembre1853 de Napoléon III de 15 jours de congés payés. En 1900, les salariés du tout jeune métro parisien obtiennent 10 jours de congés payés. En 1905, c’est au tour des salariés des entreprises électriques de se voir gratifier de 10 jours (et même 12 à compter de 1907). En 1906, les salariés des usines à gaz rejoignent les rangs et en 1913 les employés de bureau et de commerce obtiennent une semaine. Après la guerre, le mouvement continue avec la Société des transports en commun de la région parisienne (ancêtre de la RATP) qui accorde 21 jours de congés payés à ses salariés.

Beaucoup d’entreprises vivant de la commande publique donc. Mais quelques secteurs du privé pur vont aussi octroyer des congés payés à leur personnel. Il en va ainsi de la couture où conventions collectives accordent aux ouvrières 1 à 2 semaines de congés en fonction de l’ancienneté. Idem dans la fourrure. Puis en 1929, un accord permet aux ouvriers du livre de bénéficier de 6 jours.

[…]

Davantage préoccupée par la durée de la journée de travail, et profondément attachée à la « valeur du travail», la CGT n’a inscrit qu’en 1926 le droit aux congés payés dans son programme. Mais si cette revendication était réelle, ce n’était pas celle qui était le plus mis en avant lors des mouvements de grève ou dans des négociations avec le patronat. Les congés payés n’étaient même pas prévus dans le programme de gouvernement du Front Populaire rédigé en janvier 1936. Même si la SFIO (socialiste) en défendait le principe, ce qui n’était pas le cas du… Parti communiste. »

Source: d’après Jean-Christophe CHANUT, La Tribune, 31 juillet 2013

L’Idée même des congés payés est révolutionnaire et moderne, car cela signifie qu’un ouvrier/salarié est autorisé à partir, puis à revenir pour retrouver son emploi. Face aux pratiques ancestrales, cela exprime un changement radical et profond qui n’a pas été du goût de tout le monde. Ainsi «dans les milieux populaires, où l’on ne connaissait, pour rester chez soi, que le chômage ou la maladie, l’arrivée des congés payés a d’abord inquiété. Cela ne correspondait pas au modèle mental.» [VIARD, 2014]. De plus, le «vacancier» perçoit un salaire équivalent à celui des mois travaillés.

En 1950, la durée de vie moyenne est de 68 ans. 90.000 heures de vie ont été gagnées en un siècle et le temps de travail est de 120.000 heures, soit 40% de moins qu’au siècle précédent. On commence à travailler à 14 ans et la retraite vient d’être votée. En 1956, 3 semaines de congés sont accordées qui passeront à 4 en 1968. 30% de la vie éveillée est consacrée au travail. En 2002, nous vivons 700.000h en moyenne (80ans). Avec les 35 hueres, les 5 semaines de congés payés (1981) et les annuités de cotisations pour la retraite, nous travaillons 67.000h pour y avoir le droit. C’est seulement 16% de notre vie éveillée. Le temps libre est passé de 100.000 à 400.000 heures dont ¼ est consacré à regarder la TV, en moyenne. D’ici à 2030, le temps de travail dans notre vie devrait se situer autour de 8% [VIARD, 2000].

Cette pratique du congé payé se mondialise. Ainsi 5 à 6 jours sont accordés aux Philippines et Thaïlande, et cela atteint, voire dépasse les 10 jours en Chine (10 jours), Indonésie et Inde (12 jours) comme au Vietnam, à Hong Kong et Singapour (14 jours). Dans d’autres pays, le nombre de jours dépend de l’ancienneté dans l’entreprise comme en Pologne: 26 jours après 10 ans mais 20 jours avant. Cela existe aussi en Bolivie, Argentine, à Hong Kong et au Japon. Une dernière particularité tient au nombre de journées de congés payés qui varie selon l’âge de l’employé: de 20 à 30 jours en Grèce. Pourtant, dans certains pays industrialisés comme le Canada ou les Etats-Unis, l’accès aux congés payés ne va pas de soi: «les Américains prennent si peu de vacances qu’a été attribué à leur pays le titre de «no-vacation nation»: le pays sans vacances. Branche par branche, entreprise par entreprise, les employeurs accordent des jours de congés aux salariés. Mais aucune loi ne les y oblige ni ne garantit le droit aux congés payés. Selon le Bureau des statistiques du travail, ¼ des Américains, soit 28 millions de personnes, ne bénéficient pas de congés payés» (Le Monde du 27 juillet 2013). Ces situations permettent de comprendre les modalités, les saisonnalités comme la durée des séjours touristiques.

A ces congés payés s’ajoutent les jours fériés qui dressent un autre tableau très complémentaire du précédent. En effet, les pays du Monde connaissent des situations très différentes puisqu’un bon 1/3 n’en disposent pas (ou informations pas disponibles) et la situation est assez contrastée entre les pays. Le Mexique (7 jours), les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Hongrie (8 jours) comme la Serbie (9 jours) sont au bas du tableau alors que la Thaïlande, la Corée du Sud et le Liban sont à 16 jours et Inde comme Colombie à 18 jours (MERCER, 2014).

Tout cela montre que le temps de vie se divise progressivement en 2 moments: le temps de travail et le temps hors travail, c’est à dire de récréation. Il vaut pour tous les salariés mais aussi pour les actifs indépendants qui, eux, structurent leur temps libre en fonction de leur engagement et de leur charge de travail.

3) Etre touriste, c’est se déplacer

Ce critère du temps du travail explique les loisirs et les vacances mais ne suffit pas à produire le tourisme. En effet, nous disposons de temps libéré du travail à différents moments: à la fin d’une journée, pendant le week-end et pendant les congés payés. Pourtant, le tourisme ne s’applique pas aux pratiques exercées à chacune de ces périodes. En fin de journée, il s’agit d’un hobby/loisir effectué aussi le week-end. Tout se passe chez nous ou à proximité, dans des distances courtes et limitées à quelques heures. Selon une enquête Ipsos de 2017, les 6 premières pratiques de loisirs des Français se passent à la maison: écouter de la musique (87%), regarder TV (83%), lire journal/magazine (79%)… Alors que d’autres se passent à proximité du domicile: voir des amis (81%), aller au cinéma (63%), sortie culturelle (58%) ou shopping (51%). En revanche, le week-end peut être le temps du tourisme (court séjour) ainsi que les congés payés (longs séjours). Dans ce cas, la rupture est nette puisqu’au moins une nuitée se déroule hors du domicile dans un lieu à distance de chez soi.

Aujourd’hui, l’OMT intègre cet élément dans sa définition du tourisme en parlant d’une mobilité «en dehors de son environnement habituel» [OMT, 2010]. Par «environnement habituel», on entend le lieu fréquenté tous les jours, lieux du quotidien, ceux dans lesquels s’inscrit une routine. Eurostat reprend cette idée en disant que «l’environnement habituel (est) la zone géographique, pas forcément contigüe, dans lequel une personne vaque à sa routine de la vie normale et est déterminée sur la base des critères suivants : le franchissement des frontières administratives ou la distance du lieu de résidence habituelle, la durée de la visite, la fréquence de la visite, le but de la visite.» [EUROSTAT, 2014]. Cela constitue l’espace/temps des loisirs. A l’inverse, l’espace et le temps du tourisme sont ceux situés hors du quotidien [KNAFOU et al., 1997].

Cette idée induit que le tourisme constitue une rupture dans la vie quotidienne, un moment de vie à part. Ici, le déplacement n’est pas réductible au transport même s’il est utilisé. Se déplacer s’entend au sens étymologique du terme: un changement de place et, par extension, le changement de notre place dans le Monde, un changement d’habiter c’est à dire un changement de la «spatialité des acteurs individuels» [LEVY et LUSSAULT, 2003]. C’est « aire une expérience, celle du Monde, autrement dit une expérience de soi et des autres qui passe par ses lieux et ses territoires» [LAZZAROTTI, 2006 et 2012]. Nous sortons de la routine pour vivre une déroutinisation [ELIAS et DUNNING, 1994]. « L’idée centrale des auteurs est que les sociétés contemporaines ont séparé la vie en 2 sphères : l’une où s’exprime un contrôle puissant des émotions et des pulsions, une sphère « routinisante » ; l’autre où s’exprime les pulsions et les émotions sans « choquer » le sens des civilités, les règles sociales. Celles-ci contiennent les activités « dé-routinisantes » voire « dé-contrôlantes » par rapport aux activités qui nécessitent un « auto-contentement », un « auto-contrôle » fort » [Equipe MIT, 2002].

Là où nous allons, nous ne sommes pas dans notre quotidien mais dans l’espace de vie des autres. Dès lors, notre regard sur les personnes rencontrées et lieux fréquentés/traversés changent. Ce changement n’est pas seulement spatial, il engage le corps, l’esprit, les émotions [COEFFE et al., 2016]. Contrairement à beaucoup de discours, le touriste n’est pas un « zappeur » des lieux, passant de l’un à l’autre de manière interchangeable. Il les investit et les habite pleinement mais autrement que les résidents permanents. Car là, il n’en dispose que de manière temporaire. Il s’agit d’une nouvelle manière d’habiter le Monde [STOCK, 2006 ; LAZZAROTTI, 2006, 2012, 2014 ; COEFFE, 2017].

II – Tourisme et loisirs : enjeux et définition

Habiter touristiquement le Monde signifie partir à la recherche d’altérité exprimée par le différentiel entre lieux de départ et d’arrivée. Ce voyage permet des apprentissages qui renforcent nos compétences spatiales, sociales et culturelles. S’il n’est pas le seul voyage à le permettre, il est le voyage le plus pratiqué par le plus de personnes au Monde depuis longtemps. Cette accumulation de pratiques et des lieux conduisent à un changement profond des sociétés qui le pratiquent comme des espaces/sociétés hôtes. Cela lui confère une place spécifique. Le tourisme est sans doute la plus grande expérimentation de la rencontre entre les personnes, entre les personnes et les lieux, dans un contexte pacifique et pacifié, même si cela est loin d’être dénué de tensions et de conflits. Il convient alors d’évoquer ici le sens et l’identité de ce voyage comme ses modalités.

1) Le tourisme comme recherche d’un différentiel pour expérimenter une altérité

Dans le déplacement touristique, il y a une recherche de différentiel entre le lieu de départ et celui d’arrivée. Voilà ce qui motive le déplacement. Là où je vais, ce n’est pas comme chez moi. Ce différentiel peut être compris comme un ensemble de différences interagissantes entre elles et provoquant le choix d’une destination. Ici peuvent jouer tout ce qui relève des images et de l’imaginaire [AMIROU, 1995 ; STASZACK, 2003 et 2012 ; GRAVARI-BARBAS et GRABURN, 2012 et 2016], des discours, envies, fantasmes précipités dans un lieu. Et ce différentiel n’est pas proportionnel à la distance. En effet, chacun, selon son histoire, ses peurs, ses mobilités, ses besoins, sa famille dispose d’une appréhension personnelle de ce différentiel. Certaines personnes connaîtront l’expérience recherchée en ne quittant pas leur région/pays, présentant à leurs yeux suffisamment de différences alors que d’autres ne seront contentés qu’à l’autre bout du monde. Ainsi, 4 à 5% des Français, Espagnols et Portugais ne voyagent qu’à l’étranger contre 30% des britanniques et 40% des Danois. Et le différentiel recherché peut évoluer au cours de la vie par l’apprentissage touristique ou d’une année sur l’autre ou d’un voyage à l’autre selon les envies et les expériences.

La confrontation à l’altérité commence avec le départ. Les préparatifs comme le voyage sont déjà 2 moments forts où les peurs sont nombreuses, les tensions parfois vives et les inquiétudes variées. Nous ne sommes pas tous identiques face à cette mobilité choisie qu’est le tourisme. Une fois sur place, tout ce qui faisait rêver devient réalité et possible difficulté. La confrontation à l’altérité que produit le tourisme relève alors de plusieurs logiques.

Il y a tout d’abord les caractéristiques même du lieu où nous arrivons: pays, villes ou stations avec son paysage, son climat, ses températures, sa faune et sa flore. Et l’impression suscitée par une photo est très différente de l’expérimentation du lieu où la chaleur /froid mais aussi les odeurs donnent vie à l’image et deviennent expérience, oscillant entre grand bonheur et forte déception. Puis il y a les humains que nous croisons. On retrouve ici critère de la « société » évoqué dans le Grand Tour. Cette confrontation avec la société locale composée d’habitants, de touristes et de toute population de passage dans le lieu est un élément fort du voyage. Même si souvent relégué après les paysages et les monuments dans les discours, mais reste central. Et la rencontre n’est pas obligatoire mais reste une possibilité.

Une 3ème confrontation à l’altérité est celle du groupe (famille/amis) avec lequel nous voyageons même si 25% des Français déclarent voyager seuls [MICHAUX, 2017]. Ces déplacements touristiques vers des lieux du hors-quotidien sont aussi le temps de la découverte des gens qui nous entourent au quotidien. Elles peuvent être surprenantes dans tous les sens du terme et combien se sont séparés suite à un voyage touristique. D’autres s’y rencontrent. Ainsi, dans une étude réalisée par des chercheurs de l’INED, près de 10% des Français interrogés ont connu leur 1er partenaire sexuel sur un lieu de vacances et 5% leur 1er conjoint entre 1960 et 2006, soit le 4ème et le 8ème lieux de rencontre possibles sur les 14 proposés [BOZON et RAULT, 2012].

Enfin, la dernière personne à laquelle nous pouvons être confrontés pendant un déplacement touristique, c’est nous-mêmes : agréablement surpris de ne pas avoir peur pour telle ou telle chose, nous pouvons être déçus à d’autres moments ou complètement accablés.

Pour atténuer cette altérité et favoriser la découverte du Monde dans des conditions acceptables ou supportables pour chacun, le marché touristique a inventé 3 outils qui peuvent apparaître comme de véritables « sas » dans des lieux où le différentiel entre lieu de vie et lieu touristique pourrait être trop fort.

Historiquement un 1er élément fonde, en quelque sorte, le marché touristique : l’invention du métier de tour-opérateur au milieu du 19ème siècle par Th. COOK. Ce menuisier militant dans une ligue de tempérance a organisé un voyage pour les membres de l’association où il prend en charge l’achat des billets de trains et l’organisation du déjeuner. Ce 1er voyage a lieu en 1841 et il permet à 500 personnes d’aller à Leicester à Loughborough, distante de 20km de leur lieu de vie. Fort de cette expérience, il la réitère en amplifiant son savoir-faire naissant. Pour la 1ère Exposition Universelle organisée à Londres en 1851, il permettra à 150 000 personnes de se rendre et de séjourner dans la capitale britannique. Cela joue pleinement en faveur de l’accès au voyage d’un plus grand nombre. Et si les tarifs peuvent être attrayants, l’apport est surtout dans l’organisation du transport, du séjour et même des excursions. Le « coupon d’hôtel » en 1868 et l’ancêtre du chèque de voyage en 1874 signifient aussi que l’on voyage avec moins de numéraire. Ces documents s’ils sont volés/perdus, seront remplacés grâce au réseau d’agences de voyages Cook en Europe continentale et ailleurs.

Au même moment, sont inventés les grands hôtels touristiques qui sont des établissements dédiés à l’accueil des touristes. Si le confort, l’intimité, la sociabilité caractérisent cette innovation, la création d’hôtels est l’évènement majeur qui permet aux voyageurs d’hier de retrouver des conditions de séjour proches de leur lieu de vie voire meilleures parfois [TISSOT, 2007]. Cela se traduit aujourd’hui par diffusion d’une hôtellerie internationale qui garantit aux clients qui le souhaite et qui en ont besoin pour « se tenir dans un lieu » d’un niveau de confort identique à leur pays.

Plus récemment, la « global food » a contribué aussi à atténuer cette altérité, en permettant aux touristes étrangers de ne pas disposer seulement de la nourriture locale, voire de n’y goûter qu’à travers le filtre d’une réinterprétation.

2) Le tourisme comme apprentissage

Cette manière d’expérimenter le Monde dans son altérité dépend aussi de l’apprentissage que nous avons eu du voyage et du tourisme, car « on ne nait pas touriste, on le devient » [EQUIPE MIT, 2002] que l’on soit adulte ou enfant [BROUGERE, 2012 et 2014].

Pour les enfants, la première manière d’apprendre s’élabore dans le cadre familial où nous dépendons des pratiques mises en œuvre par nos parents. Cela détermine certaines connaissances et postures et pour certains aller à l’étranger, prendre l’avion va de soi là où d’autres ne le feront qu’ados/adultes ou jamais. Plus simplement, cela peut être aussi l’accès à une forme d’autonomie, de maîtrise de l’espace autorisée par les parents le temps des vacances. Ainsi, une enquête menée en France dans quelques campings a montré que les enfants peuvent circuler seuls à vélo et passer la journée avec leurs camarades sans voir leurs parents sauf pour déjeuner…

Ce 1er cadre éducatif au voyage se double de tout ce que peut proposer un Etat à sa jeunesse à travers voyages scolaires/colonies de vacances. Ces dispositifs sont très importants pour appréhender la vie en communauté hors du cercle familial. Des caravanes scolaires apparaissent dès les années 1860 dans les Alpes [RAUCH, 1988] relayées ensuite par le développement des colonies de vacances : 20 000 vacanciers en 1905, 100 000 en 1913 puis 220 000 en 1938 en été et entre 10 et 12% d’une classe d’âge dans les années 1950. Ce fut un moment d’apprentissage fort du tourisme pour cette jeunesse qui vint ensuite amplifier les flux touristiques, d’autant que des séjours à l’étranger sont apparus dès 1978 [GEVENARD et MENARD, 2013]. Aujourd’hui encore, et en dépit de fortes évolutions, colonies de vacances ont concerné + d’1 million d’enfants en France en 2016 (rapport de l’Assemblée Nationale). Proches mais différentes, séjours linguistiques à l’étranger ou en Erasmus depuis 1987 pour étudiants Européens de l’enseignement supérieur sont d’autres moments d’expérience de l’altérité avec des implications touristiques évidentes car les uns comme les autres permettent aux ados/étudiants de découvrir le pays choisi.

Pour les adultes, expérimenter le Monde commence par savoir prendre certains moyens de transport peu ou pas connus. Cela reste une actualité tant pour pays anciennement touristique que pour nouveau. Ainsi, quelques passagers envoient toujours des messages sur le site de la SNCF-voyage pour savoir comment prendre le train. En Chine, un article du Figaro (février 215) évoque l’inexpérience des touristes Chinois. Ainsi un passager avait ouvert l’issue de secours d’un avion pour « prendre un peu d’air frais ». La compagnie aérienne a renoncé à toute poursuite judiciaire en apprenant qu’il s’agissait de son 1er voyage en avion.

Ensuite, le guide touristique, ouvrage inventé dans les années 1840 en Europe est un autre outil pour apprendre des lieux [CHABOT et al, 2000 ; TISSOT, 2000]. Il propose suffisamment d’informations fiables pour anticiper l’arrivée dans la destination. Il donne aussi toute une série de conseils pratiques et d’avis qui sont autant de clés de lecture pour le lecteur. Sur place, le guide devient un autre relais possible dans l’accès aux lieux car il est à l’interface entre la société touristique et la société locale, situation dont il joue souvent et abuse parfais mais reste d’une grande utilité.

Enfin, le tour-opérateur évoqué pour l’aide à l’altérité, joue aussi un rôle crucial dans l’apprentissage du voyage dans la mesure où il permet de sortir de son quotidien pour visiter des régions éloignées. Recours aux voyages organisés concernent 25% des Européens en moyenne [Enquête Ipsos-Baromètre, 2015] avec forte spécificité des Français (seulement 14%) relativement aux Allemands et Britanniques (34% et 37%). Son intérêt réside aussi dans l’évolution qu’il peut parfois provoquer. Ainsi, le recours à un « voyage tout compris » peut être une 1ère étape dans la découverte d’un pays. Si celui-ci se déroule bien et que le touriste souhaite revenir, il pourra alors acheter des prestations séparées pour se construire un voyage « sur mesure » selon ses souhaits. Et progressivement ; cette « autonomisation » du touriste face au marché peut s’accentuer avec simple achat d’un billet d’avion puis, sur place, recours aux prestataires locaux [Equipe MIT, 2002].

Ce qui sera acquis dans cette expérience sera transposable ailleurs et pour tout ou partie. Le tourisme est 1 moment qui permet d’acquérir des compétences [CERIANI et al., 2004] et d’alimenter un capital touristique [GUIBERT, 2017] venant enrichir le capital des individus [LEVY, 2003] : « Le tourisme est un processus d’apprentissage, et la plupart des gens deviennent eux-mêmes des consommateurs plus compétents et plus sophistiqués avec les années » [LOFGREN, 1999]. Tout cela milite en faveur d’une possible dynamique des pratiques touristiques et des destinations associées. Dès lors, contrairement au modèle de PLOG, tous les touristes ne peuvent être classés dans la catégorie des « allocentriques », des « psychocentriques » [PLOG, 1975 et 2011]. Il est vrai que beaucoup de touristes partent souvent en vacances dans leur pays, dans la même région et parfois dans la même station. Dès lors, ils seraient « psychocentriques ». Mais cela ne tient pas compte des autres mobilités du quotidien dont les professionnelles qui, si elles sont nombreuses, peuvent conduire à une volonté de « ne pas bouger » pendant congés [BERROIR et al, 2011]. Toutefois, une partie des touristes passent d’une catégorie à l’autre selon les âges de la vie, le moment de l’année et les destinations choisies…. Chacun peut vouloir un séjour au Club Med à Djerba à un moment donné et l’année suivante partir en autonomie à la découverte du Yucatan ou rester dans son pays. L’approche monolithique de la population touristique est une impasse qui ne permet pas d’en saisir les complexités comme les dynamiques. Ainsi Eurostat nous explique que 20% des Européens de l’Union Européenne ont voyagé dans leur pays et à l’étranger en 2015 : 20% des Français, 35% des Néerlandais et Autrichiens, 43% des Irlandais et 55% des Britanniques, + fort niveau.

Tout cela constitue des types et des générations de touristes avec leurs similitudes et leurs différences. Ainsi, sur le temps long, O. LOFGREN écrit : « 2 siècles de vacances illustrent les tensions entre continuité et discontinuité, entre des standardisation à un certain niveau et des diversifications à d’autres. […] De telles transformations nous montrent non seulement combien certaines formes de tourisme endurent un processus d’usure culturelle, devenant archaïque et ennuyeuse, mais aussi comment chaque génération trouve ses nouvelles utopies et paysages de vacances. […] Dans ce processus, les gens réagissent face aux pratiques des générations précédentes » [1999]. A l’échelle du Monde, de fortes différences s’observent aussi entre pays néo-touristiques et pays anciennement transformés : « Ainsi Portugais ou Marocains vont communément en pique-nique, font du canot sur les rivières et se regroupent en famille élargie sur place pour y passer la journée dans les années 50. Un tel décalage traduit une bonne partie de la diffusion des pratiques » [Equipe MIT, 2002].

3) Habiter les lieux et le Monde en touriste

Ainsi, l’expérience touristique du Monde est proprement géographique, car il s’agit de quitter son lieu de vie pour habiter ailleurs, temporairement en se confrontant à des espaces différents. Il s’agit d’une mobilité choisie [STOCK et DUHAMEL, 2005]. Elle se différencie de la migration où chaque individu entend vivre longtemps ou à jamais là où il arrive.

L’effet du tourisme sur le lieu est considérable quelque soit son nombre. Le tourisme est de masse car son effet est massif dès les premiers touristes accueillis [DEPREST, 1997]. Car cet habiter temporaire montre des spécificités. Tout d’abord, les touristes sont urbains qui fréquentent d’autres lieux plus ou moins urbains. Ses attentes et attitudes peuvent se révéler très variées mais souvent il y a le souhait de retrouver sur place tout ou partie de ce qui constitue son quotidien. Dès lors, la société locale en est radicalement transformée, surtout si elle entend conduire un développement touristique de son territoire. Des logements spécifiques sont ainsi conçus pour accueillir les touristes selon les règles/principes urbanistiques et architecturaux différent de l’habitat traditionnel. Le rythme de vie des touristes est en décalage avec celui des habitants (cf « grasse matinée », soirées festives…). Vêtements et postures/attitudes diffèrent et la « tenue du touriste » est vite identifiée dans l’espace public. Dans certains lieux, cela peut poser problème surtout quand on se trouve dans des contextes culturels où la dénudation du corps, autre caractéristique du touriste, n’est pas tolérée.

Etre touriste = habiter un lieu habité. Cette co-présence et cette co-habitation sont possibles car le habitants ont accepté d’accueillir chez eux des personnes venues d’ailleurs. Il est rare de voir imposer le tourisme à une société locale dans des régimes démocratiques. Dans le cas contraire, de nombreux moyens existent alors de les débouter : mal les accueillir, ne pas répondre à leurs questions voire s’en prendre à eux… Cela reste minoritaire. Cette co-présence touristes/habitants permet de possibles rencontres. Mais elle n’est pas si simple et des tensions peuvent naître. Les plus fortes sont apparues récemment suite au développement de plateformes telles Airbnb. Sinon, ce sont les attitudes jugées irrespectueuses qui sont vilipendées. Par ailleurs, au sein des habitants des sociétés locales, des heurts peuvent surgir selon la conduite à tenir face au tourisme ou son mode de développement.

De +, les lieux touristique peuvent occuper une place spécifique dans nos existences. En effet, l’un d’entre eux peut devenir un lieu identitaire au sens où : « ils deviennent les référents pour l’identité » [STOCK, 2004]. A l’image des lieux de naissance ou des « origines », des lieux de vie ou professionnel, le lieu touristique peut constituer « une révélation » où se noue un lien spécifique. Et l’aspect temporaire n’ôte rien à l’efficience possible de la rencontre et de sa place dans l’existence de chacun car ils peuvent constituer «  les seuls lieux stables dans un univers marqué par une grande mobilité » [STOCK, 2006]. En effet, « dans des pays à histoire touristique longue, le lieu touristique et tout particulièrement certaines stations peuvent même devenir un lieu des origines où se trouve la maison de famille. Fréquentée depuis plusieurs générations, résidence permanente des grands-parents à la retraite, elle est devenue un lieu d’ancrage et identitaire pour une partie des descendants, et tout particulièrement des petits-enfants qui ont pu y passer la plupart de leurs vacances scolaires » [DUHAMEL, 2003].

Parallèlement, ces lieux nous habitent. Car « où que nous soyons, quoique nous vivions, nous portons en nous les lieux qui nous ont marqués. Et ceux-ci participent à la constitution de notre mode d’habiter » [DUHAMEL, 2003]. D’un point de vue strictement géographique, cette idée du lieu qui nous habite repose la double approche de la proximité et de l’éloignement comme le propose A.-F. HOYAUX : « Ainsi des éléments éloignés dans le temps et dans l’espace peuvent être présents à la conscience de l’être-au-monde et inscrire son mouvement, sa réflexion et ses actions dans l’ici et maintenant » [2003]. Alors, l’impatience d’y retourner est grande, et on s’informe grâce aux médias et à Internet. Une sorte « d’entre-deux » [DE TAPIA et MULLER, 2010] se met en place à l’image des émigrés. Pour les touristes, cela peut prendre la forme d’une « double résidence », être ici et ailleurs à des moments de l’année ou le séjour tous les week-ends et/ou tous les congés.

Dès lors, les lieux touristiques sont des lieux habités et qui nous « habitent » au sens imagé du terme. Mais ils constituent aussi des lieux partagés entre habitants et touristes d’ici et d’ailleurs. Car le tourisme, c’est permettre aux autres de venir habiter chez moi jusque dans ma propre maison et c’est l’autorisation d’aller habiter partout dans le Monde, chez eux.

4) Définir et distinguer le tourisme au sein d’un système de mobilités

A la lumière de ces analyses, il est alors possible de proposer une définition scientifique du tourisme qui permette d’en saisir l’identité, le sens et les enjeux. Pour ce faire, nous reprendrons plusieurs propositions élaborées ces dernières années par chercheurs en géographie. Elles montrent une forte cohérence et vont dans le même sens, celui d’une mobilité choisie, sensée et fondée sur un projet : la recréation par le déplacement.

Cette notion de recréation apparaît, pour R. KNAFOU et al (1997) comme pour l’équipe du MIT (2002), comme essentielle pour créer une distinction forte avec la «recréation », très utilisée dans les années 90 en France. Cette dernière avait un mérite : évoquer la part ludique du tourisme mais avait un défaut, oublier un pan entier de l’activité touristique, intégré dans le terme anglais de « recreation » : reconstitution du corps et de l’esprit. Car le tourisme, par le déplacement qu’il nécessite et la rupture qu’il introduit avec le quotidien permet cette recréation reconstituante et ludique. Cette réflexion prolonge celle de Jafa JAFARI qui indiquait aussi ce va-et-vient entre quotidien « destructeur » et hors-quotidien « recréateur » (1988) dans une perspective différente des thèses habituelles de la « fuite de la ville » mise en avant depuis longtemps.

Cette approche par la recréation montre le décalage qui s’opère entre définitions officielles et définitions scientifiques, lesquelles prouvent la dimension profondément géographique du tourisme et des pratiques touristiques. De plus, cela permet de voir les critères retenus comme le cadre du tourisme.

Si tout le monde s’accorde sur le tourisme comme situé hors de l’environnement habituel, l’ensemble des définitions évoque une mobilité touristique qui pourrait durer une année. Or qui dans le monde actuel peut s’absenter un an de son lieu de vie ? En effet, toutes les sociétés humaines sont structurées sur le temps de travail qui détermine le temps de congés, si l’on est salarié. Partir plus que ses congés payés, c’est obtenir l’autorisation de son entreprise/institution : c’est avoir économisé assez d’argent pour vivre cette période car le salaire n’est plus versé. Cela nécessite une organisation très au-delà des vacances d’été ou d’hiver. De plus, partir un an signifie que le visa obtenu n’est pas un visa « tourisme », lequel dure généralement 3 à 6 mois.

Sur la question des motivations, l’ensemble des propositions faites par les institutions officielles pose question. Pour l’OMT, « affaires et motifs professionnels », « traitement médical », « religion et pèlerinage » et « autre » interpellent comme « affaires » et/ou « autres fins personnelles » pour les Nations Unies, Eurostat et Insee. Ces définitions agrègent au tourisme des mobilités qui n’en sont pas. En effet, il n’existe pas de « tourisme d’affaires », de « tourisme de santé ou médical » comme de « tourisme religieux ». Ces appellations relèvent du « marché touristique » et de ses opérateurs qui usent de tous les subterfuges pour donner une tonalité touristique aux flyers et à la promotion faite à ses voyages.

FOCUS : Définitions officielles et scientifiques du tourisme.

« Le tourisme est défini comme l’ensemble des activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans des lieux situées en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires ou autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité » Source : OMT

« Le tourisme est une activité où le visiteur effectue un voyage vers une destination principale en dehors de son environnement habituel, pour moins d’1 an, à des fins principales sans être employé par une entité du pays ou du lieu visité » Source : ONU

« Le tourisme est une activité où des visiteurs se rendent à une destination principale en dehors de l’environnement habituel, pour moins d’1 an, à des fins principales, y compris les affaires, les loisirs ou d’autres fins personnelles, autres que d’être employés par une entité résidente dans le lieu à visiter » Source : Eurostat

« Le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au cours de leur voyage et séjours dans les lieux touristiques situés en dehors de l’environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l’exercice d’une activité rémunérée dans le lieu visité »

Source : Insee

 « (le loisir) au singulier (signifie) l’usage du temps laissé à l’appréciation de chacun, qui a pour effet de transformer une durée disponible en temps libre – temps affranchi des exigences du temps obligé et contraint. Au pluriel, ensemble des activités récréatives pouvant s’exercer à la fois dans l’espace local et le temps du quotidien et dans l’espace-temps du tourisme » Source : KNAFOU, 2003, in LEVY et LUSSAULT (dir.) Dico de la géo et de l’esp des Sociétés, Paris, Belin

« Le tourisme est un déplacement, c’est à dire un changement de place, un changement d’habiter : le touriste quitte temporairement son lieu de vie pour un ou des lieux situés hors de la sphère de sa vie quotidienne. Le déplacement opère une discontinuité qui permet un autre mode d’habiter » Source : KNAFOU et al, Espace géographique, 1997

« Le tourisme est un système d’acteurs, de pratiques et d’espaces qui participent de la « recréation » des individus par le déplacement et l’habiter temporaire hors des lieux du quotidien » Source : KNAFOU et STOCK, 2003, in LEVY et LUSSAULT (dir.), Dico de la géo et de l’espace des sociétés, Paris, Belin

A la différence du touriste, le voyageur d’affaires doit déposer un ordre de mission qui officialise son absence du lieu de travail et le couvrira en cas d’accident. Partir travailler ailleurs = ne pas choisir sa destination, ses compagnons et date comme durée de son déplacement, mais aussi ne pas l’organiser, ni le financer. L’objectif premier est travailler et pour beaucoup, le temps de loisirs peut être totalement inexistant car on recherche à rentabiliser son déplacement. Cette intensité du travail est telle que certains businessmen ne profitent pas de la destination et ne sortent même pas de leur hôtel. De même, partir pour se faire soigner à l’étranger n’est pas du tourisme car le voyage est déterminé par la disponibilité du médecin/hôpital et vous risquez de prendre des jours de congés pour vous rendre sur place. Même certains professionnels réagissent en indiquant qu’il ne s’agit pas de tourisme Medical Travel Quality Alliance affirme : « Medical tourists are not ordinary patients and they are not tousists ». Enfin, le pèlerinage n’est pas du tourisme car les lieux sont définis par la religion que nous pratiquons et l’intensité de notre vie religieuse. Sur place, la prière et le recueillement sont des pratiques essentielles (loin de ce que font les touristes habituellement).

Si chacune des mobilités analysées présente ses spécificités, des points de jonction s’opèrent avec le tourisme. Tout le monde prend des moyens de transport et séjourne dans des hébergements banalisés (hôtels). En cela, les voyageurs d’affaires, patients, pèlerins croisent et/ou côtoient des touristes. Cette coprésence n’en fait pas des touristes. Pourtant, dans certains cas, il peut y avoir une « séquence » touristique dans un voyage non touristique. Ainsi, dans le cadre de Congrès ou Convention, un prolongement est parfois proposé et comme ces évènements se tiennent souvent dans des destinations touristiques leur séjour professionnel devient un temps de vacances. Il en est de même pour les patients (cf « Scalpel Safari » en Afrique du Sud) et pèlerins.

Ainsi, nous effectuons des mobilités quotidiennes pour travailler et assurer la bonne marche de notre foyer par des pratiques de chalandises variées. Moins régulière mais placée dans l’espace du quotidien, la pratique de loisirs signifie que nous ne quittons pas la sphère du quotidien. Bien sûr, aujourd’hui des exceptions existent par évolution des moyens de transports. TGV comme avion low cost permettent des voyages à la journée dans un rayon situé hors de notre environnement habituel. Depuis Paris, il est possible d’aller une journée à Londres, Bruxelles ou Amsterdam ; depuis Angers et se rendre à Disney-Paris ; depuis Bordeaux passer la journée à Madrid… Mais ce n’est pas la règle !

Le travail = pratique du quotidien pouvant s’inscrire dans des lieux du hors-quotidien. Il devient alors « rencontres d’affaires » [PEBARTHE-DESIRE, 2017] et concerne de très nombreuses destinations touristiques et urbaines dans le monde. Même s’il vient désaisonnaliser la fréquentation d’un lieu touristique, la population concernée comme équipements et pratiques diffèrent très nettement. Dès lors, le tourisme confirme son originalité en combinant les pratiques et les lieux hors-quotidien. En effet, pendant cette période, le temps de travail est inexistant mais les pratiques quotidiennes de chalandises demeurent. Toutefois, elles ne prennent pas le même sens et « faire ses courses » comme « cuisiner » peuvent revêtir un intérêt différent par rapport au quotidien (exemple : être un moment d’échanges dans une famille…). Enfin, pendant le temps du tourisme, le temps consacré aux loisirs est le plus important qui soit. Ainsi, le tourisme permet d’exercer toutes les activités de loisirs : certains sont les mêmes qu’à domicile, d’autres exploitent le lieu choisi pour en expérimenter de nouvelles.

III – La population des touristes

Si le tourisme semble constituer un « genre commun » [LUSSAULT, 2007] et si l’on peut dire que nous vivons une transition touristique avec l’avènement d’un monde touristique où de plus en plus d’habitants alimentent le phénomène, nous sommes loin d’être tous touristes, même si nous connaissons le tourisme, même si nous fréquentons des touristes.

1) Partants, néo-partants et non-partants

A l’échelle du monde, tout le monde ne part pas en vacances, même si les congés payés se généralisent. Et quand toutes les conditions semblent rassemblées : pays à l’économie développée, congés payés, classe moyenne, une part non-négligeable d’habitants restent chez eux pendant vacances. Ainsi les taux de départ varient très fortement, comme le montre l’exemple de l’Union Européenne, et les raisons de non-départs peuvent être variées.

En Europe, la situation est contrastée selon les Etats-membres avec des taux de départs de 20% pour Bulgarie et Roumanie jusqu’à + de 80% aux Pays-Bas et dans les pays du Nord. Le non-départ ne signifie pas que l’on ne part jamais, mais plutôt tous les 2 ou 3 ans. Plusieurs critères expliquent cela. Les raisons économiques tiennent une place dominante : 53% des personnes les convoquent mais « depuis 2011 (elles) semblent peser un peu moins fortement sur les intentions de départ : on décompte ainsi 18% des Français qui expliquent qu’ils ne pourront partir prochainement en vacances principalement par manque d’argent, c’est 2 points de moins qu’en 2011 et 7 points de moins qu’en 2010 » [CREDOC, 2015]. Ailleurs, elles restent déterminantes comme en Grèce ou Espagne. Ici, la crise de 2008 a eu d’importants effets. Mais l’état de la société peut aussi intervenir comme facteur explicatif avec un tourisme encore peu diffusé comme pratique.

D’autres raisons expliquent aussi cette situation : santé (20%), contraintes familiales ou de travail/études (14% et 18%) comme un désintérêt pour le voyage (18%) ou d’autres encore non détaillées comme inquiétudes en matière de sécurité. Ces dernières participent au frein du départ même si certaines études montrent qu’elles restent marginales (2% en France – CREDOC, 2015). De manière surprenante, le « choix de ne pas partir » est fort et devient même majoritaire à partir de 60 ans, ce qui peut expliquer que les 65 ans et plus sont plus de 50% à rester chez eux [Eurostat, 2015]. Enfin, dans de nombreux pays du monde, le niveau de développement économique et social explique le faible taux de départ, auquel il faut ajouter des problématiques sanitaires ou instabilités politiques. Tout cela n’autorise pas le développement touristique international et/ou national. Pour ce dernier, il faut aussi prendre en compte le regard critique porté par certains habitants sur le tourisme. Ainsi, au Mali, si quelqu’un voyage cela signifie que l’argent dépensé n’est pas dédié à la famille ou à ceux qui en ont besoin plaisir égoïste. Cette condamnation sociale forte joue pleinement son rôle et certains n’hésitent pas à se cacher pour voyager. [KEITA, 2016].

Les partants sont des populations bien identifiées : ce sont des urbains comme le montre l’évolution du taux de départ en vacances des Français depuis 1965. En effet, il est parfaitement corrélé à la taille de la commune dans laquelle chacun réside. Mais ce lien a fortement évolué au fil des décennies montrant une évolution du sens du mot « urbain ». En 1965, les communes rurales restaient très en décalage par rapport au reste de la société française. Il y avait le « monde des ruraux » non-touristique et le « monde des urbains » touristique, même pour les petites villes : 15 points de différence. Mis à part Paris et son agglomération à niveau stable et très élevé (75/85% de départs), les villes formaient un 3ème ensemble autour de la moyenne.

A partir de 1965, les écarts se sont progressivement réduits. En 1985, le taux de départ des communes rurales atteignait 40%, plus proche des autres villes où il oscille entre 51% et 64%. L’écart se réduit en 1994 et en 2014, les communes rurales ayant le même taux de départ que les villes : 70% contre 71 à 76%. Seules Paris et son agglomération sont à 85%. Comment expliquer cette évolution ?

Recul de la population agricole dans les communes rurales Depuis un certain nombre de ruraux partent en vacances (se faisant remplacer quand c’est possible)

Population de l’espace rural a profondément changé et est devenue « plurale » c’est à dire qu’elle accueille des populations non-agricoles [BENOIT et BENOIT, 1994]. Cela s’explique par l’installation de nouveaux habitants quittant les villes pour les campagnes environnantes dans un processus de périurbanisation voire de rurbanisation. Plusieurs évolutions rendent cela possible : 1 société de services qui permet une mobilité journalière pour aller travailler mais aussi le différentiel de prix du logement entre ville et campagne. La présence de ces « néo-ruraux » contribue à diffuser les modes de vie urbains et il n’est plus besoin d’habiter en ville pour être touristes. L’urbanité se construit aussi dans les campagnes par transfert de nouvelles pratiques, goûts et valeurs.

Ensuite, les catégories sociales sont aussi un vecteur de différenciation de la pratique. Ainsi, en 2016, l’intention de ne pas partir concerne 37% des ouvriers et 14% des cadres supérieurs comme 16% des professions intermédiaires. En revanche, employés et inactifs ont le même niveau de « non-départ » : 28% et 29%. La même situation existe partout où le tourisme s’est développé. Cela permet de renforcer l’argument économique comme cause de départ/non-départ, même si le niveau de non-départs pour catégories les mieux pourvues économiquement n’est pas négligeable : charge de travail et responsabilités sont autant de freins à la mobilité.

Un dernier critère important de cette différenciation est le nombre de voyages accomplis. Cela réduit d’autant la portée du départ en vacances et de la mobilité touristique. En France, le nombre annuel moyen de voyages est de 4,3 déplacements touristiques, 3,3 avec nuitées et 1 sans nuitée. A l’échelle mondiale, les 1,2 milliards de touristes internationaux seraient en réalité 250/300 millions d’individus si on applique ce critère du nombre de voyages/individu. Cette analyse montre les forts déséquilibres entre des personnes qui ne partent qu’1 seule fois et ceux qui partent plusieurs fois. Ainsi, la population touristique est un ensemble très hétérogène où toutes les combinaisons sont possibles. Et la diffusion de la pratique ne serait pas aussi forte que le laissent penser les « seuls » taux de départ.

Par ailleurs, ces mobilités peuvent évoluer selon les classes d’âge. Partout dans le monde, les actifs sont la grande majorité des partants avec leurs enfants. Seuls les jeunes actifs/jeunes diplômés sont en retrait. En effet, la fin du cycle des études se traduit par la recherche d’un emploi qui n’est pas associé à la prise de vacances immédiate tout comme la préparation d’un concours ou le déroulement d’un stage ajournent temporairement le temps des vacances. C’est aussi l’époque des « jobs d’été ».

Depuis les années 80, une nouvelle clientèle est apparue dans les pays occidentaux puis dans le monde entier : les seniors. Retraite = invention récente malgré quelques éléments préfiguratifs dès les 19ème avec, en France, pension de retraite versée aux fonctionnaires dès 1853. J. Jaurès fit voter la loi de la retraite ouvrière et paysanne en 1910 accordée dès 65 ans, elle s’abaisse à 60 ans en 1912 alors qu’elle était en vigueur en Allemagne depuis 1883 (à 70 ans). Mais législation que nous connaissons prend sa forme pleine et entière avec années 50. Dès lors, s’ouvre une nouvelle période à l’issue de la vie active, et la retraite devient le commencement d’une nouvelle période de la vie. Cette situation nouvelle rime aussi et progressivement avec des ressources financières suffisamment conséquentes pour envisager des pratiques de loisirs et tourisme. A l’âge de la retraite, le logement est payé, les enfants sont majeurs donc volant monétaire disponible. Ainsi, en France, « le niveau de vie des retraités est supérieur de 3 points à celui des actifs […] le patrimoine médian était supérieur à 16% à celui des actifs. Les retraités ont ainsi un patrimoine financier + élevé de 70% à celui des actifs et disposent de 20% de biens immobiliers en plus que leurs cadets » [Le Figaro du 3 juillet 2015]. A ce capital, économique s’ajoute un capital physique nouveau. L’espérance de vie n’a cessé de croître au fil des décennies depuis la 2ème moitié du 20ème siècle. On vit donc + longtemps et en meilleure santé permettant ainsi une mobilité prolongée.

Tout cela conduit à une élévation du taux de départ en vacances pour les 60ans et +. Entre 1969 et 2004, il est passé de 32% à 63% pour les 60-64 ans ; de 30% à 67% pour les 65-69 ans et de 22% à 42% pour les 70 ans et +. Ce sont les 65 ans et + qui partent le + longtemps : 37 jours en moyenne (2004) contre 36 jours pour ensemble de la population française [Direction du tourisme, 2008]. En 1979, les Français âgés de 60 à 69 ans = 7% des nuitées de vacances et 13% en 2004. Ils en représentaient 1/3 10ans + tard. A l’échelle européenne, les 65 ans et + représentent 22% des partants, très au-dessus de leur part démographique dans la population (18%) [Eurostat, 2015].

Leur participation à l’activité touristique devrait se renforcer. Cette dynamique est confirmée par les études de l’OMT, puisque les retraités sont 200 millions de voyageurs internationaux aujourd’hui soit 20% du total et le rythme de croissance = 10%/an contre 4% en moyenne. Selon un rapport du Pt Européen, cette population fait plus de voyages que par le passé : + de 29% de voyages entre 2006 et 2011. De plus, leurs habitudes diffèrent des autres groupes d’âge : 70% voyagent uniquement à l’intérieur de leur pays et donnent la priorité à la sécurité et à la qualité des services ; ils voyagent hors saison et dépensent plus d’argent que par le passé : + 33% aux Etats-Unis entre 2006-2011. Ils font aussi des voyages plus longs que la moyenne : 11 nuitées contre 9,8 en général [Parlement européen, 2015]. Hors Europe, SCOTT et al signalent que générations actuelles de retraités aux Etats-Unis et Canada font des voyages, plus nombreux, plus longs et + diversifiés que par le passé. Cela reflète des revenus accrus, une meilleure santé et une vie + active [2009].

Enfin, une autre population est venue grossir les rangs des flux touristiques dans les dernières décennies du 20ème siècle : « les migrants retournant au pays » ou « les vacances au bled » [BIDET et WAGNER, 2002]. Cette catégorie non officielle de population touristique est difficilement catégorisable. En effet, il s’agit de personnes ayant quitté leur pays et qui décident d’y retourner à l’occasion des congés payés obtenus dans le pays d’accueil. Ce voyage n’a pas forcément lieu dès les 1ères années, le temps de constituer quelques ressources financières. La plupart du temps, ce sont leurs seules vacances de l’année. On les nomme généralement les Marocains Résidant à l’Etranger ou Maliens Résidant à l’Etranger… Ils viennent en famille avec leurs enfants nés dans le pays d’accueil et disposant aussi de la nationalité du pays de départ, pour certains. Ces populations sont identifiables pendant les vacances d’été soit sur les autoroutes par leur voiture chargée, soit dans les aéroports à la même période. Les statistiques sont peu disponilbes mais pour le Maghreb depuis l’Europe, ils seraient plusieurs millions (cf FOCUS).

Ce lien aux « origines » joue autrement avec des descendants de migrants irlandais qui reviennent au pays [LEGRAND, 2006] ou en Afrique avec le Bénin [WOROU, 2016] ou Mali [KEITA, 2016]. En Inde, la même logique s’observe aussi [GOREAU-PONCEAUD, 2010]. Ainsi s’est développée une pratique touristique appelée « tourisme des racines » ou « tourisme diasporique » par acteurs du marché.

FOCUS : Les vacances au bled.

« L’intensité de cette pratique est difficile à identifier précisément dans les chiffres des entrées aux frontières qui mêlent primo-migrants et descendants d’émigrés voyageant avec leurs papiers marocains ou algériens. Mais ces chiffres nous donnent une idée de l’importance toujours actuelle de ce phénomène : au Maroc, on a compté, en 2009, plus de 4 millions d’entrées de Marocains Résidant à l’Etranger, soit 47% du total des entrées touristiques ; quant au ministère du Tourisme algérien, il comptabilise 1,25 million d’entrées aux frontières du pays. Si pour le Maroc, où le secteur du tourisme est fortement développé, la dimension diasporique n’est pas immédiatement décelable dans l’importance quantitative du phénomène (les descendants d’immigrés peuvent partir au Maroc au même titre que n’importe quel touriste français, uniquement pour le loisir), pour l’Algérie – où le tourisme est très peu développé – le maintien des séjours réguliers par des descendants d’immigrés algériens apparaît plus facilement comme le signe d’un attachement particulier à la terre de leurs ancêtres »

Source : BIDET et WAGNER, 2012

2) Mettre en œuvre le projet touristique : conditions et déroulement

Si la mobilité touristique reste conditionnée à des éléments liés au pays de départ (congés payés, jours fériés, etc), d’autres proviennent des conditions dans lesquelles nous pouvons être accueillis. Ainsi la création de zones économiques de libre-échange a ses incidences concernant la mobilité des personnes et non pas seulement des marchandises. Depuis 2007, l’espace Schengen permet aux habitants des pays-membres de circuler librement dans l’espace délimité, sans contrainte ni contrôle aux frontières abaissant les frictions mobilitaires entre les destinations concernées. En 2015, Fédération des Associations de voyage de l’ASEAN demandait la disparition des visas pour les ressortissants des pays-membres comme celle des 10 autres pays, principale clientèle de la zone.

Car la disparition d’un visa entre 2 pays peut se révéler très profitable pour les destinations touristiques. Ainsi, lors de sa visite officielle en mai 2016, Mohammed VI a annoncé que les Chinois n’auraient plus besoin de visas pour visiter le Maroc. La conséquence fut immédiate puisque la fréquentation est passée de 600 touristes chinois entre janvier et mai 2016 à 4 000 pendant le 2ème trimestre et 7 000 pour décembre. Parallèlement, le Maroc a obtenu le prix « Best potential destination 2016 » décerné par Global Times (quotidien chinois très influent). Les Chinois sont présents dans toutes les villes impériales, aussi à Essaouira et Agadir où de nombreux marocains tentent de parler le mandarin. Les autorités marocaines espèrent attirer 100 000 Chinois en 2017 et 1 million d’ici 2030. Cette décision fait des émules puisque les Chinois sont exonérés de visa pour la Tunisie depuis février 2017. En Europe, depuis juin 2017, les Ukrainiens sont autorisés à entrer dans m’Espace Schengen, « en tout cas ceux disposant d’un passeport biométrique […] pour un séjour d’une durée de 90 jours sur toute période de 180 jours, sans droit de travailler ou résider dans la zone. L’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse sont également concernés, mais pas la Grande Bretagne ni l’Irlande » (Le Monde du 11 mai 2017).

Pourtant, l’accès au reste du Monde ne se joue pas de la même manière et l’écoumène touristique n’est pas également ouvert. Tout d’abord, on obtient généralement son visa avant de partir ou plus rarement en arrivant à l’aéroport en Colombie, Iran ou Vietnam. Ensuite, les temps de présence sur place sont variés : 30 jours pour Européens en Chine et 6 mois en Inde. D’autre part, certains pays sont clairement déconseillés/interdits aux touristes/voyageurs d’affaires du fait d’une situation sanitaire dangereuse comme en Afrique de l’Ouest au moment d’Ebola en 2014-2015 ou de conflits armés comme en Syrie, Afghanistan ou d’autres. Le site du Ministère des affaires étrangères français est très explicite sur ce sujet, même si parfois jugé inutilement alarmiste. Mais la prise de risque n’est pas de mise pour les autorités de chaque pays. Pourtant, cela ne limite pas certaines mobilités improbables, comme fréquenter des sites de guerre ou d’instabilité politique, pratique nommée « Dark tourism » [LENNON et FOLEY, 2000].

Voyager comme touriste nécessite de la préparation en amont, dont l’ampleur est souvent inversement proportionnelle à la répétition de la pratique et/ou l’habitude de fréquenter tel ou tel lieu. Aujourd’hui, le mode de préparation est dominé par Internet pour les 2/3 d’Européens selon l’Eurobaromètre, et 40% y achètent des prestations séparées (transport et hébergement) pour constituer leurs voyages. Les délais d’organisation varient assez nettement entre les clientèles qui paient leur réservation très tôt : 14% le font 6 mois avant le voyage et 32% entre 1 et 4 mois avant. Il convient de noter que 13% ne font aucune réservation. Les voyages s’effectuent à 53% en avion pour les Européens qui partent à l’étranger et 30% en voiture [Eurostat, 2015]. Dans leur pays respectif, la voiture et le train dominent. Les Français, par exemple, utilisent leur voiture ou un deux-roues à 81% loin devant le train (14%) et avion (2%) [Mémento du tourisme, 2016].

En Europe, le but du voyage est personnel à 90% et des logiques différentes s’observent selon la durée et la destination (nationale ou étrangère). Courts-séjours (1 à 3 nuits) sont l’occasion de voir famille et amis (44%) devant le tourisme (38%) alors que c’est l’inverse pour séjours de plus de 4 nuits : 63% font du tourisme et 27% rendent visite à la famille. A l’échelle de chaque pays, « visite aux parents et amis » comme « tourisme » sont égaux (42%) alors que l’étranger rime avec tourisme à 66% pour ressortissants de Union Européenne. La durée des séjours va du simple au double selon destination, national ou étranger : de 4 à 8 jours en moyenne, la semaine étant encore une temporalité forte dans la prise de vacances. Au final, tout cela génère des volumes de nuitées considérables : + d’un milliard en 2013. Là, 4 pays dominent : l’Allemagne (248 millions), la France (200 millions), le Royaume Uni (160 millions) et l’Espagne (136 millions) dont près de 60% sont réalisées dans le pays de résidence. Dans l’Union Européenne, quelques pays apparaissent comme pourvoyeurs de touristes à l’international tels les Belges, Allemands ou Britanniques qui passent + de la ½ de leurs nuitées à l’étranger [Eurostat, 2015].

Sur place, l’objectif du projet est multiple comme le montre la combinaison des pratiques : 45% des Européens veulent se reposer, 43% retrouver famille et amis, être ensemble et 41% découvrir et visiter. Loin derrière se trouvent le « sport » (16%), rester à la maison (14%), lire (13%) et faire de nouvelles rencontres amicales/amoureuses (9%). Des variations existent selon les nationalités : seuls les Autrichiens plébiscitent la découverte alors que les Italiens, Belges et Espagnols recherchent d’abord le repos. Français, Allemands, Etasuniens et Brésiliens valorisent les retrouvailles en famille entre parents et amis.

3) L’espace-temps du déplacement touristique

Selon le pays de l’Union Européenne, les logiques de destination sont contrastées entre des très centrées exclusivement sur territoire national, d’autres exclusivement tournées vers l’international et d’autres enfin dans une position mixte. A cette échelle, la ½ des voyages s’effectue seulement dans le pays, près de 20% seulement à l’international et au national. Là encore, la population touristique est diverse dans ses pratiques et montre qu’elle ne peut être enfermée dans des catégories comme celles proposées par PLOG. 11 pays sont dans la 1ère catégorie avec des Etats où le taux de départ est faible comme Bulgarie ou Roumanie, où les effets de la crise de 2008 ne sont pas dissipés. En France, cette fréquentation exclusive du pays par ses habitants semble assez traditionnelle et ancrée dans les mœurs, mais elle est loin d’être la seule. Hors Europe, 65% des Etasuniens et 47% des Brésiliens voyagent dans leur pays.

Au contraire, la ½ des pays sont dans une mixité des pratiques nationales et internationales ou tournés uniquement vers étranger. Dans le 1er cas, on trouve des pays du Nord de l’Europe et fréquentation stricte de l’étranger = apanage de quelques clientèles bien connues des professionnels et des spécialistes : Britanniques et Belges mais aussi ressortissants de territoire de taille limitée comme Danois, Chypriotes, Maltais ou Luxembourgeois.

D’une part, ce 1er constat peut être affiné en observant que les mobilités touristiques jouent de la proximité géographique et/ou culturelle avec les destinations choisies. Ainsi, le voyage touristique national se déroule souvent à l’échelle régionale, c’est à dire que la distance parcourue est limitée et varie selon la longueur des séjours. En France, différents cas de figures s’observent. Tous les habitants des régions visitent Paris pour de courts et longs séjours et le rayon de portée augmente avec la durée. L’hyperproximité vaut pour les courts séjours où la distance moyenne oscille entre 100 et 200 km autour de la région, les séjours privilégiant grandes régions touristiques proches du littoral méditerranéen ou atlantique, ou des Alpes, par exemple. Seuls les Franciliens rayonnent + largement voire nationalement. Cela constitue un élément central de la pratique touristique.

D’autre part, la 1ère nationalité de touristes étrangers provient généralement d’un pays limitrophe. Cela s’explique aussi pour un autre fait, combinatoire au 1er. Dans un même ensemble/région du Monde ayant en partage un certain nombre de pratiques/coutumes forts échanges touristique existent. Ainsi, les Espagnols dominent le marché international portugais suivis des Britanniques, Allemands et Français. En Pologne, les Allemands dominent. Ailleurs, Bangladeshis sont très présents en Inde, Mexicains aux Etats-Unis mais aussi les quatre 1ère nationalités présentes en Chine en 2006 sont Sud-Coréens, Vietnamiens, Japonais et Birmans. Ces logiques peuvent être facilitées voire imposées par l’existence d’un régime politique. Jusqu’à la chute du mur, les ressortissants de pays membres du Pacte de Varsovie circulaient dans cette entité ; seule la Yougoslavie de Tito avait une position intermédiaire an accueillant des Européens de toutes les parties du continent.

Si elle est économique, la mise en place de coopérations internationales comme ALENA, UE ou ASEAN et Mercosur contribuent aussi à structurer les mobilités et privilégie les ressortissants des Etats-membres par des facilités de visa par exemple. Enfin, une autre modalité de la proximité est liée à l’histoire et héritage de la colonisation. Les Français sont ainsi très représentés au Maroc et en Tunisie, comme les Anglais en Inde. De même, les Espagnols sont très présents dans les pays latino-américains.

Ces logiques = champs migratoires forgés au fil des décennies pour certains voire des siècles pour d’autres. Elles ont été reprises et valorisées par le marché touristique, trouvant sur place des personnes parlant la langue des anciens pays colonisateurs et connaissant la clientèle. Ces compétences ont donc été valorisées. De même, sur place, certains Européens ont décidé de rester après l’indépendance, enrichissant le panel d’acteurs touristiques possibles. Ainsi se sont aussi développés progressivement des espaces relationnels.

Outre ces caractéristiques, le choix de la destination reste conditionné par les recommandations des amis/relations/collègues pour 55% (2016) alors que 45% mentionnent les sites Internet considérable ! Ensuite, joue le rôle de prescripteur des tour-opérateurs/agences de voyage qui, selon les régions du monde, privilégient certains pays sur d’autres de par la proximité ancienne et renouvelée par le développement du tourisme. D’autres critères interviennent aussi comme le climat et les risques d’attentats pour au moins 40% des touristes Européens. Puis viennent le budget, les activités possibles, les risques sanitaires et risques d’attaques personnelles (entre 30 et 38%). Italiens, Espagnols, Etasuniens et Brésiliens mettent en avant le budget alors que les Français se décident sur le climat, Autrichiens et Allemands sur les activités de loisirs, les Belges recherchent avant tout la qualité des services/infrastructures.

Au sein des destinations, les Européens plébiscitent les bords de mer (65%) devant la montagne, campagne et ville à jeu égal entre 17% et 20%. Le voyage à l’étranger ne concerne que 17% des enquêtés pour l’été 2017. Etasuniens et Brésiliens = autre profil : bords de mer et villes sont dominants à + de 40%. Aux Etats-Unis, la campagne, la montagne et les séjours à l’étranger sont équivalents (entre 24 et 27%) alors que 30% des Brésiliens choisissent la campagne et voyagent à l’étranger loin devant la montagne à 18%.

Le moment du départ est aussi fonction de la saison, caractéristique essentielle du tourisme. La « saison touristique » est une invention du 19ème siècle quand les sociétés industrielles se sont affranchies progressivement des saisons naturelles grâce aux progrès techniques (électricité, chauffage, clim…). Elle devient le « la » de l’activité touristique avec périodes très bien identifiées : hiver sur Côte d’Azur mais été en montagne avant que la logique ne s’inverse ou se complète. Selon les hémisphères, les calendriers diffèrent : la haute saison en Europe est juillet/août, elle est plutôt déc/février en Australie pour profiter de la chaleur et du beau temps. A cela s’ajoute le rôle structurant des congés payés, congés scolaires comme des jours fériés dans la prise de vacances. Ainsi, en France, le mois de mai connu pour ses ponts permettant de courts-séjours et si l’on prend quelques jours de RTT, il est possible d’avoir une semaine de congés peu de temps avant l’été.

Dès lors, les mobilités touristiques se concentrent dans le temps. En Europe, ¼ des voyageurs se font en juillet/août mais 33% des nuitées [Eurostat, 2015]. Cette saisonnalité est + marquée pour les longs séjours. En France, 15% des voyages et 25% des nuitées se déroulent en août. Avec juillet, on atteint 25% et 37% montrant encore le poids de l’été même s’il a considérablement diminué. Les dynamiques récentes ont permis quelques évolutions sur les ailes de saison. Ainsi mai/juin représentent près de 20% des voyages et 15% des nuitées tout comme sept/oct. avec + de 15% des voyages et nuitées. En 1975, en France, les séjours avaient lieu de juin à sept. seulement et l’été représentait + de 80%. Une désaisonnalisation de la pratique s’est opérée récemment.

Au final, l’ensemble de ces développements montre à la fois spécificité de la mobilité touristique, ses caractéristiques comme ses enjeux. Et cela permet d’en proposer une définition scientifique claire qui ne réduit pas la portée du phénomène mais le précise et n’écrase pas la réalité diverse des mobilités. Dès lors, les mobilités touristiques sont un acte librement consenti, décidé et choisi par chaque individu qui arbitre selon ses envies, goûts et possibilités qui lui octroient ses conditions de vie matérielles. Il est source d’expériences par confrontation à l’altérité qu’elle procure. Il s’agit d’un projet fondé sur des pratiques qui s’exercent dans des lieux dédiés ou non et s’inscrivent dans l’espace-temps du hors quotidien des individus. L’enjeu du voyage touristique est la recréation au double sens du terme anglais : « reconstitution du corps et de l’esprit » et expérience ludique et/ou détente.

Comme les autres voyages, il engage des individus dans un déplacement qui implique l’habiter temporaire d’un ou plusieurs lieux pendant le séjour. Mais à la différence des autres voyageurs, le touriste porte sur les lieux un regard différent pour ne pas dire nouveau, du moins au début, qui a contribué à changer le sens et la valeur de ses lieux. Progressivement se sont co-construits des pratiques et ressources touristiques qui ont transformé les lieux et sociétés concernés.