Nicholas Canny est le spécialiste de l’histoire de l’Irlande. Cet article, quoiqu’ancien (1973) donne un aperçu de l’état d’esprit des colons anglais en Irlande depuis le XVIe siècle quand ils créent leurs « plantations« . D’abord, les anglais n’étaient pas sûrs d’eux et se sont donné beaucoup de mal pour démontrer l’infériorité des autres, afin de justifier leurs agressions. Leur expérience en Irlande leur a aussi permis d’établir l’idée de processus de développement, conduisant à l’idée d’évolution culturelle, qui leur fournit une forme de respectabilité morale pour coloniser.
La conquête de l’Irlande commence sous les Normands aux XIIe-XIIIe siècles. Cependant, à la fin de la période médiévale, les anglais n’ont plus le contrôle effectif du territoire. A la fin du XVe siècle, ce sont donc des juridictions irlandaises indépendantes qui couvrent la plupart des territoires de l’île. Sous Elisabeth I (1558-1603), les tentatives pour renforcer l’autorité anglaise conduisent à la naissance d’un projet de conquête, puis de colonisation. Celle-ci est contemporaine des premiers contacts des Anglais avec l’Amérique du Nord et les Indiens d’Amérique. Ainsi, la conquête de l’Irlande sous Elisabeth doit être envisagée dans le contexte plus large de l’expansion Européenne. David B. Quinn, par exemple, a souligné la connexion entre la colonisation Anglaise en Irlande, et celle du Nouveau Monde. Cependant, aucun historien n’a traité des questions éthiques et légales soulevées par la colonisation en Irlande, ni des moyens utilisés pour y répondre, afin de satisfaire la conscience des agresseurs.
Cet article a pour objectif de s’attaquer à cette problématique et de montrer comment la justification de cette colonisation a influencé les attitudes anglaises vis-à-vis des Irlandais Gaéliques, puis par extensions vis-à-vis de la population indigène d’Amérique et des esclaves importés là-bas. Il sera aussi démontré que ces anglais du XVIe siècle ont réfléchi au problème irlandais de manière « séculière » et qu’à travers leurs pensées sur les conditions sociales des Irlandais, ils ont élaboré un concept d’évolution culturelle.
1. Quel traitement réserver aux Irlandais natifs (gaéliques) ?
1565-76, sous les Tudors les débuts de la colonisation: à partir de 1565, il y a une volonté affirmée du gouvernement anglais de soumettre toute l’Irlande et d’établir des colonies dans les zones gaéliques du pays. Les tentatives de colonisation en Irlande sont financées de manière privée, les « colons » étant membres de la bourgeoisie et des derniers nés de l’aristocratie, plutôt que des soldats payés par le gouvernement.
Le meneur de la colonisation était Sir Henry Sidney, lord lieutenant d’Irlande (lord deputy of Ireland) à partir de 1565. Le gouvernement anglais a fortement soutenu ses entreprises de colonisation, ainsi que celles de son beau-frère, le comte de Leicester, mais aussi celles de Sir William Cecil et de Sir Thomas Smith, qui ont tous trois financé la colonisation et eu une influence importante.
b) Principaux acteurs et étapes de la colonisation
La première phase (1565-66)
Consiste à coloniser la partie de l’Ulster à l’Est de la rivière Bann. Les protagonistes de cette conquête sont issus de la bourgeoisie du Sud Ouest de l’Angleterre. Ex : Sir Humphrey Gilbert. En 1567, leur objectif change pour les régions côtières du Sud Ouest, sous la direction de Sir Warham St. Leger of Kent, ami proche de Sidney. Cela attire d’autres bourgeois, sous l’influence de Sidney, Cecil ou Leicester, par exemple Sir Peter Carew.
L’origine des colons se diversifie après 1568
Cecil est appelé en renfort pour aider l’expédition de Munster, et on organise une nouvelle campagne pour le Nord Est en 1572 (Smith). En 1573, Walter Devereux, 1er comte d’Essex, organise une expédition pour établir des titres dans le Nord Est de l’Ulster non réclamé par Smith. Il reçoit le soutien de la Reine, du Conseil Privé et les premiers temps, attire de nombreux fils de l’aristocratie. Cependant, le manque d’argent et l’épuisement conduisent à l’abandon de cette expédition en 1576, tournant une page de la colonisation en Irlande. Cette campagne est restée associée à Essex, Carew, Gilbert, Sir John Norris et Edward Barkley. Ces mêmes noms reviennent dans les tentatives suivantes de colonisations. La majorité venaient du Sud Ouest anglais et sont ensuite impliqués dans les entreprises de colonisation du Nouveau Monde. Ils tiennent une place importante dans les visées expansionnistes anglaises du XVIIe.
Les lieux choisis par Sidney pour la colonisation étaient le Nord Est de l’Ulster et le Sud Ouest du Munster, longtemps considérés par le gouvernement pour être stratégiquement dangereux. Le Nord Est de l’Ulster à cause des implantations écossaises, et le SO du Munster à cause de l’arrivée de bateaux espagnols. Sidney se sert de cela comme arguments de colonisation, bien que cela ait aussi un impact sur les populations indigènes. Sa décisions est en partie liée au fait que ces régions sont peuplées de Gaéliques, et non de « Old English » (anglo-saxons descendants des conquérants anglo-normands). Sidney considère en effet que les Irlandais Gaéliques ne sont pas fiables et qu’on ne peut les soumettre que par la force. Alors que les Anglo-saxons (Old English), peuvent être civilisés par la persuasion.
Ainsi, Sidney justifie la colonisation par des raisons stratégiques, mais cela ne permet de justifier comment la couronne pourrait établir des titres légaux sur ces terres, ni comment les populations indigènes pourraient être déplacées de leurs terres afin de faire place aux Anglais.
2. Justifier la colonisation
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