Ces dernières années, la New Atlantic History s’est éloignée des approches structurantes développées par les fondateurs de cette discipline depuis les années 1970. L’effet du Cultural Turn est évident dans ces transformations. Sans forcément renoncer à une vision systémique du « monde atlantique », les historiens s’intéressent davantage aux formes de connexions, de transferts, d’hybridation, de rencontres et de croisements. Cette fiche décrit donc différentes approches contemporaines de l’Atlantic History: l’histoire entremêlée (Entangled History), le système atlantique, la micro-histoire atlantique (New Area Studies), la biographie des « passeurs » et des intermédiaires (tricksters, brokers, go-between).
L’Entangled History
L’Entangled History anglo-saxonne n’a pas d’équivalent dans la recherche française : ce sont en réalité plusieurs approches épistémologies qui doivent être combinées pour rendre compte de cette dernière. En anglais, l’Entangled History (ou « histoire entremêlée ») renvoie à au moins trois méthodologies différentes de l’historiographie française : l’histoire croisée/partagée, l’histoire transnationale et l’histoire connectée.
En France, l’histoire croisée invite à « historiciser l’exercice de la comparaison, en restituant la dynamique des circulations, des interactions, en faisant leur place aux modalités de co-construction possible des faits sociaux »1. D’après Sanjay Subrahmanyam, l’histoire connectée cherche elle aussi à dépasser les compartimentages des « histoires nationales » ou des « aires culturelles » qui rendent certains phénomènes globaux invisibles2. Elle s’attache aussi à restituer ses objets historiques dans leurs contextes et leurs liens trans-étatiques, inter-impériaux et trans-continentaux. Les historiens des cultures et des civilisations réfléchissent en termes de contacts et de circulations immatérielles : ils analysent les phénomènes d’acculturation, de métissages et d’hybridation3. Tout en recherchant les connexions et les emboîtements, ils sont attentifs aux contextes. Comme l’écrit Serge Gruzinski4, ces historiens doivent se transformer en électriciens capables de rétablir les connexions continentales et intercontinentales que les historiographies nationales ont débranché sur leurs propres frontières. Ils doivent rétablir le courant entre les aires géographiques en les reconnectant entre eux. L’histoire connectée fait donc un pas de côté pour regarder autrement, et repérer des connexions qui seraient passées inaperçues.
L’histoire connectée ou croisée s’inspire de l’histoire des transferts (Transfergeschichte) développée par Michel Espagne et Michael Werner5. Dans l’histoire des transferts, les chercheurs s’intéressent aux interactions et aux processus (en particulier culturels) de passage d’un pays à un autre. Dans l’histoire croisée/partagée, ils analysent les connections culturelles, politiques, sociales, entre des Etats-nations qui n’emploient pas toujours les mêmes concepts pour désigner le même objet. Puisque le thème central est celui des circulations, des réciprocités et des hybridations, l’histoire croisée est amenée à devenir une histoire connectée.
Dans l’introduction de Comparison and History : Europe in Cross-National Perspective, Deborah Cohen et Maura O’Connor redéfinissent la différence entre l’histoire comparée et l’histoire transnationale pour montrer que l’histoire connectée présente les avantages d’une combinaison efficace des deux premières approches. L’histoire comparée s’intéresse aux similitudes et aux différentes ; à propos du même phénomène, elle recherche ce qui peut produire la forme de la réponse dans chaque société. L’histoire transnationale, par contraste, poursuit le même objet par-delà les frontières des nations, pour s’intéresser aux influences réciproques. Si l’histoire comparée s’intéresse à deux nations distinctes, l’histoire transnationale s’intéresse au franchissement entre les deux.
Eliga Gould insiste sur la qualité des approches connectées ou entremêlées des empires espagnols et britanniques à l’époque moderne dans « Entangled Histories, Entangled Worlds : the English-Speaking Atlantic as a Spanish Periphery » (American Historical Review, 112, 2007, p. 764-786). Une histoire comparée des deux sociétés pose le problème des catégories qui fondent la comparaison : sont-elles espagnoles ou britanniques ? Une histoire entremêlée examine les rencontres entre les sociétés, les influences mutuelles, les réceptions réciproques qui fabriquent des procédés de transformation culturelle de l’une par l’autre.
Dans le monde anglo-saxon, il est donc possible de définir ainsi l’Entangled History : « in its most pronounced form, comparative history studies societies that are geographically or temporally remote. Even when the societies in question are closer in space or time, comparative approaches tend to accept national boundaries as fixed, to take the distinctiveness of their subjects as a given, and to assume that the subjects being compared are, in fact, comparable. Entangled histories, by contrast, examine interconnected societies. Rather than insisting on the comparability of their subjects or the need for equal treatment, entangled histories are concerned with ‘mutual influencing’, ‘reciprocal or asymmetric perceptions’, and the intertwined ‘processes of constituting one another’. Because such interconnections often (though not always) occur in contiguous societies, one way to think of entangled history is a more capacious form of borderland history »6.
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