Cette fiche de lecture porte sur quelques articles du numéro récent de la revue L’Histoire à propos de la révolution haïtienne (1791-1803) en lien avec la nouvelle question d’histoire de l’agrégation interne.
La lecture de cette fiche peut être accompagnée de :
Gilles Havard, Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique Française, Flammarion, 2003
Bernard Gainot, L’empire colonial français de Richelieu à Napoléon, Armand Colin, 2015
Bernard Gainot, La révolte des esclaves d’août 1791 à Saint-Domingue, EHNE
Bernard Gainot, La révolution des esclaves. Haïti 1763-1803, Paris, Vendémiaire, 2017
Haïti, la révolution des esclaves
Saint-Domingue, 1791. Dans la colonie la plus prospère de l’empire français, une révolte de milliers d’esclaves se transforme en révolution.
Les historiens relisent aujourd’hui la révolution haïtienne sous l’angle des Postcolonial Studies.
Saint-Domingue, colonie monstre par Domitille de Gavriloff
Saint Domingue = nom donné à la partie française de l’île d’Hispaniola
Entre 1781 et 1791 : accélération de la traite négrière à Saint-Domingue => afflux massif considéré comme responsable du soulèvement en août 1791
En 1790 : 45000 esclaves vendus dans la colonie en un an
Particularité => 1ère révolte qui devient une révolution qui abolit l’esclavage en 1794 puis une République indépendante en 1804 = singularité de Saint-Domingue
Histoire de l’île
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- Début des années 1630 : quelques aventuriers sur l’île de la Tortue non loin de Saint-Domingue
- Partie occidentale peuplée de boucaniers et flibustiers qui échangent quelques marchandises avec les navires de passage
- Côte septentrionale : quelques habitants => cultivateurs de tabac, de cacao…
- 1665 : gouverneur sur l’île
- 1685 : promulgation du Code noir de Colbert
- 1697 : traité de Ryswick => l’Espagne reconnaît la souveraineté française sur la partie occidentale de l’île d’Hispaniola => mise en place d’une économie de plantation sucrière => retard par rapport à d’autres territoires mais l’île va vite supplanter les autres possessions françaises dans la Caraïbe = colonie la plus lucrative de l’Empire
- Divisée en 3 provinces (nord, ouest, sud)
- Economie de plantation => planteurs, marchands, armateurs => économie qui profite aussi aux acteurs économiques de l’arrière-pays du royaume de France
- vins, textiles, armes => échangés en Afrique
- cotonnades, sucre => transformation des matières premières produites à Saint-Domingue
1789 : 793 sucreries, 3150 indigoteries, 3117 caféières, 789 cotonneries => le café va supplanter petit à petit le sucre = « la fièvre du cacao » (boom dans les années 1780)
Pourquoi l’île est-elle si prospère ? Grâce à la concentration importante d’esclaves
1789 : 500 000 esclaves = 1ère société esclavagiste de la Caraïbe (80% de l’ensemble des esclaves déportés par les bateaux qui battent pavillon français)
Arrivée des esclaves à la ville du Cap-Français (au nord)
Taux de mortalité très important
- fort déséquilibre entre les naissances et les décès sur l’inventaire des propriétaires de plantation
- taux d’accroissement naturel négatif
- fort taux de mortalité infantile
- 1/3 des esclaves meurent au cours de la 1ère année
- culture du sucre = très harassante
- mortalité banalisée par les colons qui préfèrent remplacer les infirmes et les plus vieux
Entreprise de déshumanisation
La composition ethnique peut être utile pour comprendre la Révolution haïtienne :
- Sucreries = société d’adultes, plutôt masculine, fortement africaine
- Champs = appelés « nègres de houe » => 2/3 de femmes
- Tâches « qualifiés » comme charpentiers, tonneliers = créoles
1791 : 40% des esclaves nés en Afrique sont issus des régions d’Afrique centrale occidentale (Kongos) = fortement militarisées par les guerres civiles répétées => l’historien John K. Thornton émet l’hypothèse que c’est une des clés du succès des insurgés => ATTENTION : en fait les révoltes éclatent dans la partie nord la plus créolisée et les leaders sont en majorité des créoles
Déséquilibre entre libres (11%) et les esclaves (89%) => caractère explosif mesuré déjà par les contemporains => pour se maintenir ils ont recours à la terreur physique et psychologique et à une forte hiérarchisation genrée et ethnique des esclaves
Parmi les libres il y a les blancs mais aussi les libres de couleur qui ont un régime juridique basé sur la discrimination raciale => objectif = renforcer la suprématie raciale
Multiples résistances des esclaves :
- 1780 : grèves dans les sucreries du nord
- Marronnage = fuite (facilité par la géographie de l’île assez montagneuse)
Quel est le rôle du marronnage dans le déclenchement des insurrections ? en débat car finalement les esclaves fuyaient plutôt que de se rebeller
Avec les implantations de plantations de café dans les zones montagneuses cela a limité les possibilités de fuite qui ce qui pourrait expliquer le recours aux armes
Déséquilibre + marronnage inquiètent les contemporains => entre 1784 et 1785, une série d’ordonnances sont mises en place pour « améliorer » l’esclavage => l’objectif est de le poursuivre ! Mais la révolution haïtienne éclate en 1791.
La première République noire par Manuel Covo
Repères chronologiques
- 1793 : abolition de l’esclavage
- 1794 : la Convention ratifie l’émancipation des esclaves
- 1795 : la partie espagnole devient française
- 1797-1802 : Toussaint Louverture est général en chef et unifie l’île au nom de la France, se nomme gouverneur
- 1802 : Bonaparte envoie le général Leclerc pour reconquérir l’île
- 1803 : Victoire de Vertières sur les troupes françaises
- 1804 : Indépendance de Saint-Domingue sous le nom Haïti => introduction de la déclaration par Jean-Jacques Dessalines « Liberté ou la mort » : rejet de l’héritage colonial, revendication identitaire = affirmation de la souveraineté
La plupart des historiens présentent 1804 comme la fin de la Révolution haïtienne de 1791 => MAIS possible que ce soit plutôt l’ouverture d’une nouvelle séquence = construction d’un nouvel Etat
Le modèle états-unien
1789 : monarchie française est inquiète des velléités d’indépendance des planteurs blancs qui prennent exemple sur les Etats-Unis => ils veulent une autonomie accrue, la liberté de commerce, une représentation à l’Assemblée nationale, le maintien des discriminations à l’égard des libres de couleur et le maintien de l’esclavage et ils envisagent de se mettre sous la protection des anglais
A partir des événements de la Bastille, les planteurs se révoltent et créent leurs propres assemblées coloniales mais la société blanche est elle-même divisée
Libre de couleur => s’organisent pour défendre leurs droits mais le groupe n’est pas homogène non plus entre les métis et noirs fortunés et la majorité plus modeste ne parlant pas français => ils ont l’espoir que les lois françaises puissent freiner l’autonomie des colons et garantir leurs droits
Novembre 1790 : échec de la révolte de Vincent Ogé (un riche métis) => les libres de couleur s’associent à la société des Amis des noirs pour plaider leur cause => loi du 4 avril 1792 : égalité juridique avec les Blancs
Une attaque bien préparée
Monde des esclaves est encore plus hétérogène => multiples langues, cultures et religions
Contexte propice = fracture de l’élite coloniale + effondrement de l’autorité métropolitaine + diffusion des idées des droits de l’Homme
• leadership = créoles comme le prêtre vaudou Dutty Boukman et la prêtresse Cécile Fatiman qui organisent la cérémonie du Bois-Caïman une semaine avant le soulèvement d’aoüt 1791 => les esclaves prêtent serment de se soulever
• tête de la révolte = Jean-François (ancien marron) et Georges Biassou
• attaque minutieusement préparée = incendier les plantations de sucre et éliminer les planteurs
• ATTENTION : le but n’est pas l’indépendance au départ mais l’amélioration des conditions de vie des esclaves
Les insurgés s’emparent des plantations dans le nord de l’île => le mouvement se radicalise rapidement mais désaccords entre les leaders qui tentent de négocier et les troupes qui refusent le compromis
Dès 1793, l’esclavage aboli. Implosion de Saint-Domingue dans toutes les directions : au sud-ouest à Jérémie une coalition de planteurs maintient son emprise sur les villes => afflux de réfugiés blancs mais aussi fuite de la colonie en masse
Parallèlement internationalisation du conflit avec l’entrée en guerre de la France contre les Anglais et les Espagnols en 1793 => les leaders s’associent à ces derniers et envahissent une partie de l’île
A Paris => l’Assemblée ne veut pas abolir l’esclavage MAIS basculement en juin 1793 => destruction du Cap-Français le principal port => les commissaires envoyés par la République décident d’abolir l’esclavage en août 1793 => la mesure est entérinée par décret le 4 février 1794 mais n’est pas appliquée partout à la Caraïbe
1797, Toussaint Louverture à la manœuvre
C’est à ce moment que Toussaint Louverture (génie militaire et politique) rompt avec les Espagnols et se rallie avec la République française quand parallèlement Jean-François et Biassou restent fidèles aux Espagnols
L’indépendance n’est pas toujours pas dans les revendications principales
Enjeu =
- Restauration de l’intégrité territoriale
- Redéfinition des alliances
Qu’en est-il des relations avec la métropole ?
Le Directoire (1795) déclare les colonies comme parties intégrantes de la République => mêmes lois et apparition de l’idée des territoire d’outre-mer MAIS la guerre continue => l’Espagne est battue mais la guerre continue avec les Anglais qui collaborent avec les planteurs blancs dans la zone de Port-au-Prince)
Débats sur le système des plantations :
- Le maintenir avec des grandes exploitations (avis des élites)
- Effectuer une redistribution foncière (avis des anciens esclaves devenus citoyens)
Toussaint Louverture est nommé général en chef de l’armée en 1797 et s’impose à la tête de l’île => stratégie d’alliance avec le Directoire (députés favorables à sa cause) et posture de non intervention dans les Antilles pour rassurer les puissances étrangères, il officialise des liens commerciaux et diplomatiques avec les Etats-Unis => programme autonomiste des colons
Une guerre totale
Toussaint Louverture privilégie le système des plantations (caporalisme agraire) et encourage les colons blancs à revenir car l’économie sucrière est dévastée => vital pour assurer l’indépendance de l’île entourée d’ennemis
MAIS il ne rétablit pas l’esclavage => les cultivateurs perçoivent un salaire et ont des droits civils (mais quand même des libertés limitées)
Toutes les tentatives de révolte sont violemment réprimées => ex : exécution de son propre neveu Moyse qui s’est associé à un mouvement de résistance
Autre axe = unification de l’île => T. Louverture élimine ses rivaux comme le général métis Rigaud et lance la conquête de la partie espagnole de l’île => ambition de contrôle total
A Paris en 1799 : lois spéciales pour les colonies => T. Louverture essaie de promulguer une Constitution pour Saint-Domingue en 1801 qui interdit l’esclavage et le désigne gouverneur à vie => souhaite une forme de confédération = rejeté par le consul Bonaparte
Bonaparte envoie en 1802 une expédition massive sur l’île sous le commandement du général Leclerc = réussite => plusieurs généraux haïtiens capitulent TOURNANT : arrestation de T. Louverture le 7 juin 1802 qui est déporté en France et emprisonné au fort de Joux où il meurt en 1803
Parallèlement retour de l’esclavage en Guadeloupe => révolte massive à Saint-Domingue => répression très violente des Français (l’auteur parle d’ « accents quasi génocidaires ») mais résistance féroce des haïtiens avec des représailles sanglantes aussi de leur côté
18 novembre 1803 : bataille de Vertières = coup décisif = victoire haïtienne (troupes françaises décimées par épidémie de fièvre jaune)
Anecdote : Dessalines aurait conçu le drapeau haïtien en enlevant la couleur blanche du drapeau français symbole d’oppression => bleu = les Noirs et le rouge les mulâtres
1804 : Ordre radical de Dessalines = exterminer les Français encore présents sur l’île pour couper les liens avec la métropole qui est une menace pour l’existence d’Haïti
Débats des historiens sur le nombre de personnes massacrées dans un contexte de forte violence, pas un acte isolé
MAIS une armée française reste stationnée dans la partie orientale de l’île jusqu’en 1809
MAIS Haïti souffre d’un isolement diplomatique car aucune puissance ne reconnaît officiellement son indépendance
(Dessalines se proclame empereur en 1805 MAIS factions rivales lui disputent le pouvoir et est assassiné en 1806)
« La révolution haïtienne apparaît comme une forme plus radicale de révolution, contestant avec force l’ordre esclavagiste et colonial. Pourtant elle s’écarte aussi des idéaux démocratiques portés par les révolutions américaine et française. »
LIVRE : Silencing the past de Michel-Rolph Trouillot par Antoine Lilti
• Parution en 1995
• Pas traduit en français
• Auteur : né à Port-au-Prince dans une famille d’intellectuels haïtiens
• L’auteur y décrypte le refoulement de la révolution haïtienne en Europe => une révolution impensable pour les élites françaises puis refoulées et mise sous silence
• Thèse : les révolutionnaires français n’ont pas compris la dimension politique de cet événement car il avait une vision trop eurocentriste et raciste => thèse qui a depuis été nuancée car elle sous-estime les inquiétudes et les sympathies que ces révoltes ont suscitées
• Mais justesse de dire que le silence autour de cette révolution étaient la conséquence de récits lacunaires et faussés
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