Le chapitre particulier de l’ouvrage de Magali Reghezza-Zitt sur La France (géographie générale). Ce chapitre s’intéresse aux espaces périphériques et aux marges du territoire français.

Périphérie géographique = espace qui subit la domination d’un centre qui polarise un territoire plus ou moins vaste. Elle ne peut se comprendre que relativement, dans sa relation de dépendance à un centre et au sein d’un système territorial d’échelle donnée.

Caractère périphérique n’est pas lié à sa localisation « géométrique » dans l’espace.

  • Parfois localisation géographique et situation de périphérie coïncident (espaces ultra-marins, marges frontalières, espaces périurbains)
  • Certaines périphéries géographiques se situent « au centre géométrique », « au milieu » d’un système territorial (ex : Massif central)
  • A l’inverse, position de périphérie ne signifie pas qu’un territoire relève d’une situation de périphérie géographique (ex : la Défense, situé dans la banlieue de Paris qui est un centre économique d’envergure mondiale)

1. Les périphéries et les marges du territoire national

Périphérie : diversité territoriale importante. Il existe de multiples modes de différenciation spatiale (en prenant la relation au centre comme facteur discriminant et que l’on examine le degré d’autonomie décisionnelle et la situation de domination géographique)

Caractère périphérique qui se décline de diverses manières et qui évolue au cours du temps

a. La diversité des périphéries

Cas des périphéries géométriques du territoire national : contrôle de ces territoires stratégique dans le cadre de la construction centralisée de l’État-nation. Ils ont été peu à peu intégrés au territoire national à des degrés divers.

  • Territoires frontaliers terrestres : rôle d’espace tampon entre deux souverainetés ou marges à intégrer au territoire national (frontières de l’est de la France)
  • Littoraux : espaces délaissés jusqu’au 19e siècle (littoraux méditerranéens menacés par la malaria ou les pirates), ou jouant un rôle d’ouverture vers l’Outre-Mer (projet colonial, commerce international, intégration dans la mondialisation) et depuis la fin du 19e littoraux touristiques (construction d’infrastructures de transports les reliant aux centres).

Les périphéries se pensent désormais davantage à partir de critères qui découlent des grands traits de l’organisation du territoire national : Hyper-centralisation autour de Paris et périphérie qui se dessinent en creux. Grâce au processus de métropolisation, territoire français = structure multi-polarisée. A une autre échelle, maillage du territoire par réseau urbain composé de petites et de villes moyennes relaie l’influence des métropoles et reproduit, à l’échelle infrarégionale, le modèle centre-périphérie

Autre critère pour identifier les périphéries : distance et accessibilité. 2 types de territoires :

  • Ensemble des espaces en situation de discontinuité physique par rapport au centre et pour lesquels la distance physique et/ou relationnelle jour un rôle structurant, malgré les efforts accomplis pour réduire la distance-temps ou la distance-coût (ex : îles, surtout territoires ultra-marins).
  • Territoires isolés du fait de leur enclavement qui découle généralement de la mauvaise desserte en transports, qui réduit l’accessibilité (ex : certains espaces ruraux peu peuplés et vieillissants marqués par la déprise démographique agricole, certaines banlieues densément peuplées mais marquées par une crise économique et sociale forte)

Autre type de périphérie : espaces dont le caractère périphérique relève de leur faible degré d’appropriation par l’homme = marges de l’œkoumène (ex : très haute montagne, forêt guyanaise)
Selon l’échelle du système territorial considéré, un même espace peut être un centre ou une périphérie. Exemple : La Martinique est une périphérie à l’échelle nationale et européenne mais elle constitue un centre de la Caraïbe, tandis que FDF apparaît comme un hyper-centre à l’échelle de l’île.

b. Les marges, des périphéries particulières

Marge = territoire « ne participant que de façon limitée et dans une situation de dominé, aux processus qui régissent la production et le fonctionnement des systèmes socio-spatiaux dominants » (Pierre Couturier). Espace qui reste à l’écart du système territorial tout en lui appartenant.
Marginalité qui peut correspondre à plusieurs situations :

  • Position géométrique au sein d’un système territorial : territoires physiquement éloignés des centres. (ex : très haute montagne, TAAF)
  • Mise à l’écart géographique qui se traduit par un éloignement relationnel : territoires situés à l’écart des réseaux qui permettent des liaisons rapides et peu coûteuses. Territoires isolés et enclavés.
  • Situation d’atonie économique, démographique, sociale. Absence de dynamiques endogènes. (ex : espaces ruraux de très faible densité en crise)
  • Existence de discontinuités spatiales fortes, qui envoient à des disparités économiques ou sociales importantes qui peuvent être recoupées par des discontinuités matérielles ou juridiques. Espaces en rupture qui résultent de processus ségrégatifs ou de fragmentations territoriales. (ex : quartiers populaires en difficultés dans les centres d’agglomérations urbaines)
  • Mise à l’écart symbolique, qui relève de représentations négatives et dévalorisantes, généralement portées par des acteurs étrangers au territoire concerné et en partie intégrées par les acteurs locaux. Cette marginalité peut être revendiquée par les habitants du territoire et participe alors d’une construction identitairegénéra positive

c. Des territoires a priori « handicapés »

Territoires périphériques généralement pensés comme des espaces exposés à de multiples contraintes qui deviennent des handicaps pour leur développement :

  • Localisation de certaines périphéries : avec un élément discriminant = distance. Coûts économiques, sociaux et environnementaux importants.
  • Caractéristiques biophysiques : exiguïté (taille et forme des îles, présence de massifs volcaniques) = réduction de la disponibilité des ressources en eau douce ou en terres. Aménagements, constructions d’infrastructures qui ont un coût financier et un impact environnemental importants
  • Déficit d’image proportionnel à leur faible intégration et à leur caractère dominé, qui renforce leur manque d’attractivité : périphéries associées à des qualifications péjoratives qui leur confèrent une identité négative = « rural profond », « banlieues sensibles », « France du vide » …

Handicaps très relatifs qui dépendent en réalité de la manière dont les territoires ont su s’adapter aux différentes contraintes. Penser les périphéries à la seule aune des handicaps masque les ressources nombreuses intrinsèques à ces territoires.

d. L’originalité des territoires périphériques et des marges

Territoires qui présentent des singularités qui les distinguent du centre et qui peuvent en faire des territoires atypiques :

  • Environnements originaux : milieux biophysiques singuliers (ex : montagnes ou espaces ultra-marins tropicaux) ;
  • Différences de peuplement, de langue ou particularismes locaux ;
  • Espaces marqués par des identités souvent fortes, brassées par les échanges transfrontaliers.

Caractère atypique = espaces riches de multiples ressources :

  • Ressource stratégique : territoires ultra-marins qui permettent à la France d’être le deuxième État au monde en termes de souveraineté sur une surface maritime (ZEE + eaux territoriales) et de pouvoir disposer d’un ancrage territorial sur l’ensemble du globe
  • Altérité associée au lointain offre des paysages, des cultures et des sociétés singulières = ressources dans le cadre d’un développement touristique en quête de dépaysement.
  • Faiblesse de l’occupation humaine = implantation de certains types d’activités (ex : extension de la surface des aires protégées, installation de la base de lancement de satellites de Kourou)

2. Périphéries, marges et développement local

Un certain nombre de territoires périphériques souffrent de difficultés multiples qui s’expriment dans un retard de développement plus ou moins prononcé par rapport à la moyenne nationale.

a. Du handicap au retard de développement

Retard de développement qui se manifeste dans les indicateurs sociaux : taux d’illettrisme, taux de chômage, taux de pauvreté, etc..
A l’échelle infra-urbaine, les inégalités se creusent de sorte que les disparités entre régions sont aujourd’hui bien moins importantes que les déséquilibres à l’échelle infrarégionale et au sein des aires urbaines

b. Les périphéries, territoires prioritaires des politiques d’aménagement

Au nom du principe de solidarité nationale, les pouvoirs publics se sont concentrés sur les territoires périphériques afin de recréer l’égalité des chances

Orientation engagée dès les années 1960 par la DATAR. Objectif = restaurer un certain équilibre à l’échelle nationale. Grandes opérations d’aménagement qui visent à développer les périphéries (ex : mission Racine en 1963 = aménagement touristique du littoral languedocien ; « Plan neige » en 1964)

Toujours dans les années 1960-1970 : l’État encourage la déconcentration de l’industrie hors de la région parisienne et cherche à structurer les périphéries grâce à des polarités nouvelles :

  • Métropoles d’équilibre à l’échelle nationale (à partir de 1963)
  • Villes moyennes à l’échelle régionale (à partir de 1970)
  • Villes nouvelles à l’échelle des aires urbaines (à partir de 1965)

Réduction des déséquilibres à l’échelle nationale + émergence de nouveaux acteurs (intercommunalités, régions) = attention concentrée sur les échelles infranationales. L’UE soutient ces différentes actions. Logique d’aménagement volontariste qui appelle une forte implication de l’État et des collectivités locales.

Différents outils mobilisés : loi, recours à des aides sous forme de subventions ou de transferts de fonds, d’allègements fiscaux, de déconcentrations d’activités, de construction d’équipements lourds (ports, aéroports…) ou bien encore de projets d’aménagement ponctuels autour de l’habitat, de la rénovation urbaine. Ce sont des mesures compensatoires face aux handicaps des territoires périphériques.

Deux principes peuvent être mis en exergue :

  • Principe de continuité territoriale : impose de compenser les handicaps liés à l’éloignement, l’enclavement ou l’accès difficile. Défini dans les années 1970 pour la Corse, relayé à l’échelon européen par des aides distribuées dans le cadre du Fonds européen de développement (FED)
  • Sur l’ensemble du territoire national, on observe une territorialisation des dispositifs, cad leur adaptation à la spécificité des territoires traités

c. Construire le développement des territoires périphériques à partir des ressources locales

Politiques d’aménagement des territoires périphériques aspirent désormais à promouvoir un développement appuyé sur les ressources locales. Objectif = créer un développement endogène et pérenne, conduit et maitrisé par les acteurs locaux (publics et privés) qui peuvent être à l’origine des actions et en être les porteurs.

La puissance publique lie projet et territoire. « Territoires de projet » = constructions multi-partenaires qui peuvent prendre des formes très variables mais vont toujours s’élaborer à l’échelle locale en s’appuyant souvent sur des procédures d’origines européenne, nationale ou régionale. (ex : PER = pôles d’excellence rurales mis en place en 2005 par la DATAR ; PNR). L’idée centrale est que le développement et la compétitivité s’obtiennent en s’appuyant sur des ressources non délocalisables, donc fortement territorialisées.

3. Des modes d’intégration fortement différenciés

Territoires périphériques connaissent des trajectoires d’évolutions contrastées. Différentes politiques d’aménagement => impacts importants sur l’intégration ou, au contraire, la marginalisation de ces territoires

a. Des périphéries intégrées et dynamiques

A l’échelle nationale, on peut identifier au moins deux types de périphéries qui ont connu des dynamiques positives qui en font des espaces dynamiques de plus en plus intégrés :

  • Espaces périurbains des grandes aires métropolitaines : périphéries intégrées au fonctionnement de l’agglomération, notamment par l’intensité des migrations pendulaires de travailleurs. Mobilités liées aux achats ou aux services de base qui s’opèrent au sein de la périphérie, dynamique de re-concentration de certaines activités à l’origine de nouvelles polarités au sein des couronnes périurbaines. Dans les grandes aires urbaines on remarque l’émergence de centralités secondaires.
  • Périphéries qui ont changé de statut du fait de la valorisation de ressources nouvelles : littoraux, certaines montagnes, régions frontalières (grâce au processus d’intégration européenne)

b. Des marges fragiles

Processus d’intégration qui ne touchent pas les périphéries de façon égale. Certains territoires en situation de marginalisation malgré des politiques d’aménagement parfois très volontaristes.

On observe des processus cumulatifs : périphéries déjà en difficulté qui subissent de multiples handicaps qui limitent leur développement. (ex : moyennes montagnes affectées une crise de l’activité agricole + crise démographique, tourisme d’hiver qui ne peut être une ressource car faible enneigement, enclavement persistant qui limite l’arrivée de nouvelles populations et d’autres modes de mise en valeur)

D’autres territoires sont « victimes » de processus sélectifs qui les marginalisent. Intensification des polarisations liée à la métropolisation du territoire national  intensification des flux, mais ne contribue pas à une redistribution homogène de ces derniers. Certains espaces sont traversés par des échanges auxquels ils ne participent pas et dont ils ne captent pas les retombées = « effet tunnel ». (ex : la Bourgogne = carrefour d’échange parcourue par de multiples infrastructures de transports, par lequel on passe mais où on ne s’arrête pas)

Certains territoires deviennent des périphéries de plus en plus isolées au sein de régions dynamiques et prospères (ex : ZUS qui se marginalisent)

c. Les ultra-périphéries : les territoires ultra-marins à l’heure européenne

Cas des territoires ultra-marins, qui présentent plusieurs spécificités liées à l’éloignement, à la tropicalité, mais aussi aux liens qui les unissent à l’Europe dans le cadre de l’héritage colonial encore pesant.

Statut juridique particulier : multiplicité de statuts qui renvoient à différents degrés d’autonomie

Ressources stratégiques : liés à la question du contrôle territorial. Celui-ci s’exerce moins sur les questions militaires que sur celles des migrations, en particulier de clandestins. Les territoires ultra-marins ne font pas partie de l’espace Schengen.

Politiques publiques qui ont évolué : logique de compensation des handicaps à l’affirmation d’un développement local endogène, appuyé sur la mise en valeur de ressources propres et l’implication croissante des acteurs locaux. Les cadres juridiques ont été modifiés, en particulier depuis que l’Union européenne accorde aux DROM le statut juridique spécifique de région ultrapériphérique (RUP). L’Union reconnaît la spécificité des RUP et la nécessité d’adapter les politiques communautaires à leurs réalités et à leurs contraintes permanentes, à savoir l’éloignement, l’insularité, le relief, le climat difficile et la dépendance économique.

Conclusion

Territoires périphériques : à la fois le reflet des dynamiques qui affectent le territoire national et qui sont de puissants facteurs de différentiation spatiale, et des évolutions propres à chaque territoire.

Nouvelles fractures à l’échelle infra-régionales qui traduisent des processus de marginalisation en partie engendrée par la métropolisation, la mondialisation et l’intégration européenne qui exacerbent les concurrences et valorisent les territoires les plus compétitifs.

Dynamiques qui accentuent le caractère périphérique de certains territoires, mal reliés aux centres nationaux et européens. D’autres périphéries connaissent un rattrapage rapide et s’intègrent de plus en plus aux centres.

Aménagement des territoires, qui implique de nouveaux acteurs et de nouvelles échelles, reste un levier important pour atténuer ou compenser ces nouveaux déséquilibres.

Notions à maitriser

Périphérie/centre – régions ultra-périphériques – marge – marginalisation – marginalité sociale et spatiale – ségrégation/fragmentation – développement local