Si l’on trouve cette fiche de lecture dans la rubrique de préparations aux concours de l’armée de terre, c’est bien parce que la question des espaces maritimes est devenue centrale dans les politiques de puissance menée par les États.
La question des tensions maritimes ne se limite pas à ce que l’on pouvait appeler les gesticulations militaires, même si, notamment en mer de Chine méridionale, cela se poursuit toujours, mais bien à l’appropriation d’un espace. Ces fiches de lecture rédigés par un géographe prennent donc une dimension géopolitique particulièrement adaptée à des sujets de culture générale pour les différents concours de l’armée de terre.

En d’autres termes il ne faut pas se laisser impressionner par la mention de CAPES et agrégation qui apparaît sur la couverture de l’ouvrage qui a été mis en fiches, même si cette question a bien été au programme les années précédentes.

 

PARTIE I   COMPRENDRE

CHAPITRE I : POURQUOI MERS ET OCÉANS ?

 

Le système monde influe sur les enjeux maritimes (flux et ressources) et donc sur la question du contrôle des mers.

Le sujet n’est pas nouveau, mais il est renouvelé par les approches géoéconomique, géopolitique et géostratégique, complétant la géophysique et en se centrant sur la notion d’étendues maritimes.

I. L’IMPORTANCE DES ESPACES MARITIMES À L’ÉCHELLE MONDIALE

  • 71 % de la surface du globe
  • 361 millions de KM²,
  • 6 milliards de m3
  • – 3 800 mètres d’altitude en moyenne.
  • 5 Grands Océans : Arctique au Nord, Antarctique au Sud, Atlantique, Pacifique et Indien
  • 81 % de la surface dans l’hémisphère Sud,
  • 61 % de la surface dans l’hémisphère Nord.
  • Marin est en lien avec la mer,
  • Maritime en lien avec les activités en mer,
  • 120 000 navires sous 128 pavillons en 2013,
  • 90 % du commerce mondial se fait par les voies maritimes, avec une croissance de + 5%/an depuis 2000
  • 21 Etats contrôlent 80 % de la flotte,
  • Les 25 plus grands ports couvrent 50 % des flux commerciaux

Il faut retenir que le développement économique est fortement lié aux échanges maritimes.

 

II. UNE PLACE CROISSANTE DANS LA GOUVERNANCE DES ESPACES

La sécurisation des routes maritimes devient un enjeu géopolitique majeur, mais la défaillance de nombreux Etats côtiers favorise les trafics en tout genre surtout depuis la décennie 1990.

De plus, c’est sur les océans que l’on repousse les dernières frontières, en raison des ressources potentielles on à une course à la mer de la part des Etats pour étendre les ZEE (zones économiques exclusives).

En géopolitique :En 1982, la convention de Montégo Bay est signée, elle entre en vigueur à partir de 1994. Pour gérer les conflits il est créé la CNUDM (convention des nations unies pour le droit de la mer) qui distingue :

  • Eaux intérieures,
  • Mer territoriale,
  • Zones contiguës,
  • Zones économiques exclusives,
  • La Haute mer.

La haute mer couvre 70 % des océans et la moitié de la surface du globe. Mais il y a 70 conflits qui sont recensés sur ce sujet.

Marine militaire : Compte tenu des désaccords internationaux, on assiste à une course à l’armement naval.

USA : première puissance navale, 40 % de la flotte militaire mondiale, 16,8 milliards de $ d’investissement / an jusqu’en 2042, alors que les émergents investissent 2,4 % de leur budget chaque année dans la marine de guerre.

Développement durable : il faut aussi noter l’impact sur l’environnement marin : pollution chronique ou accidentelle, impact du changement climatique, surpêche et risque d’épuisement de la ressource halieutique.

III. COMPRENDRE LA QUESTION

Il faut tenir compte des tous les thèmes qui découlent de la question : environnementales, ressources halieutiques, minérales et énergétiques, supports de flux, aspects culturelles, géostratégiques et géopolitiques.

Par ailleurs, il ne faut pas se limiter aux littoraux mais étudier toutes les échelles du local au global.

 

CHAPITRE II – MERS ET OCÉANS CHEZ LES GÉOGRAPHES ET DANS LA GÉOGRAPHIE

(Approches épistémologiques)

Camille Vallaux (1870-1945) écrit une première géographie de la mer avec « Chronique de la mer » à partir de 1925. Le thème dans les géographies successives donne une vision géo-historique de la question.

I. CONNAITRE ET EMPLOYER LES APPROCHES SUCCESSIVES

A. MERS ET OCEANS : GEOGRAPHIE PHYSIQUE ET HUMAINE

  • PERSPECTIVES VIDALIENNES

Dans cette perspective on a une étude physique qui est séparée de l’étude humaine. On ignore en géographie dans les années 1970 l’océanographie (étude de la haute mer). Les études sont vidaliennes c’est-à-dire d’abord régionale et descriptive : une présentation, un exposé des causes et une explication.

F Doumenge qui écrit « L’homme dans le Pacifique sud » en 1966 fait une large place aux faits océaniques :

  • Le cadre physique : climat (cyclones, tsunamis, …),
  • Le cadre humain (conséquences),
  • Thématiques maritimes et ressources.

Il nous faut dépasser cette démarche pour souligner les organisations et les agencements des composantes :

  • Approche verticale avec des cartes et des croquis,
  • Approche horizontale avec des descriptions de paysages à partir de photographies par exemple,
  • Approche locale, avec précision et choix pertinent de la bonne échelle. Il ne faut pas mener l’étude par une approche nationale ou régionale.

MERS ET OCÉANS A L’HEURE DES MUTATIONS ACCÉLÉRÉES DE L’ÉCONOMIE

Dans le cadre de la mondialisation notre étude rend compte autrement des réalités par les statistiques et l’économétrie, ainsi que des supports de ce mouvement (par les navires et les ports) et de leurs gestionnaires.

Ex : Vigaré en 1974 étudie les évolutions en cours sur la façade Atlantique. Rotterdam est alors le 1er port du monde, mais il perd de sa prééminence car il a des concurrents proches (Hambourg et Dunkerque). On a donc ici une explication liée aux stratégies des acteurs, ce qui permet de relever l’importance de l’étude de la logique des organisations territoriales.

Il existe donc une géostratégie qui découle du jeu des acteurs économiques et de la concurrence territoriale. Néanmoins, les aspects physiques et la présence humaine reste liés en raison de la présence des ressources, des risques liés aux catastrophes qui sont amplifiées par la présence humaine (Ex : recul des plages phénomène naturel amplifié par l’action humaine (cf. Cazes) ou de l’action politique (ex : pôles de recherche en France à Nantes, Brest, La Rochelle et le Havre).

B)   MERS ET OCÉANS ; GÉOGRAPHIE SOCIALE ET HUMAINE.

Ces espaces sont aussi des entités vécues qui induisent :

  • Des valeurs individuelles et collectives,
  • Des pratiques économiques et culturelles.

Avec :

  • Un développement de subjectivités valorisantes ou dépréciatives,
  • Des pratiques spatiales spécifiques Ex : mobilités, …

La Nouvelle géographie s’intéresse à partir de 1970 aux contacts, interfaces, perceptions et solidarités entre les gens de mer et de terre.  De là, apparait la notion de maritimité de Françoise Pérou et Jean Rieucau.

Ex : Les pratiques spatiales liées à la mer au Vietnam. Les autochtones vont à la plage mais ne se baignent pas alors que les touristes eux se baignent.

La géographie des territoires à partir de 1980 étudie les logiques d’acteurs. Camille Parrain introduit le terme « merritoire » pour désigne à la fois le côtier et le hauturier.

Ces travaux actuels se complètent.

C. FAIRE APPEL A DES TRAVAUX ANCIENS : UNE LÉGITIMITÉ CERTAINE

Les connaissances factuelles nourrissent la réflexion, même si elles sont anciennes.

Rochefort dans « Le travail en Sicile » en 1961 montre dans le chapitre « les pêcheurs » que leurs métiers les tient éloignés de la vie de la communauté.

Renucci dans « Corses traditionnelle et corse nouvelle » en 1974 que la mer est perçue comme :

  • Une « mer ennemie » en raison des attaques venues de la mer
  • Une « mer sournoise » en raison des dangers et des difficultés d’exploitation,
  • Une « mer obstacle » en raison des coûts de transport.

Dans certains cas elle est aussi un lien si la topographie sous-marine est favorable, c’est le cas entre Trinidad et Tobago, où la pose d’un câble a renforcé ce lien.

 

II MERS ET OCÉANS : DES ENTITÉS SOCIALISÉES ET VÉCUES

A)   LES VÉCUS MARITIMES QUOTIDIENS OU PONCTUELS : UN INTERET GEOGRAPHIQUE

  • L’EXPÉRIENCE DES TRAVAILLEURS DE LA MER

La mer est un cadre de travail. La vie des pêcheurs français est étudié par Anne GAUGUE dans « Affronter la mer » en 2003. Elle étudie les stratégies de pêche et les changements quant aux espèces pêchées. La campagne de pêche dure de 12 h à une semaine. Le chalut est remontées toutes les 3 h et entre temps les prises sont traitées et conditionnées. La pêche hauturière jusqu’à ST Pierre et Miquelon ou la Mauritanie à presque disparue en France.

Le métier est particulièrement accidentogène, il y a environ 20 pécheurs qui meurent en mer chaque année en France. Boulogne-sur-Mer est le premier port de pêche en France.

La sociabilité se développe au sein de coopératives qui apportent une assistance administrative, de gestion ou commerciale. Ces regroupements sont encouragés par le FAO dans les pays du Sud.

Les relations sociales sont aussi permises lors de la vente : à l’étal dans le port ou à la crié (marché aux produits de la mer  structuré). Les gens de quai (travailleur au port) participent à cette socialisation mais leur nombre est en diminution en raison de la mécanisation et les grutiers qui remplacent les dockers ne compensent pas leurs nombres.

  • L’EXPÉRIENCE MARITIME ÉLARGIE AUX HABITANTS

Il y a des traits culturels et des finalités économiques liées à la mer.

Par exemple :

  • La place des coquillages dans la culture culinaire aux Antilles (appelés Lambis) ou au Bahamas (appelés Conch) mais aussi dans la création de monticules de coquille,
  • Le Washoku au Japon préparation culinaire à base de poisson, riz et légumes inscrit au patrimoine mondial. Le Japon est d’ailleurs, le premier consommateur de poisson au monde avec 60 kg/hab/an.

La donne religieuse est aussi importante, Ex :

–  YEMANJA déesse de la mer latino-américaine, protectrice des pêcheurs,

– Ex-voto à Fécamp

– Églises orientées vers la mer aux Açores.

La mer est aussi un horizon d’attente surtout dans les îles où les navires rompent l’isolement avec l’arrivée des marchandises, du courrier ou des passagers, c’est le cas :

  • Aux Marquises avec l’Aramui, navire cargo de liaison,
  • Aux Bahamas, avec le mails boat, …
  • Aux Kerguelen avec le Marion Dufresne,
  • A Rodrigues avec le Mauritius Pride.

La contemplation de l’horizon est source d’inquiétude surtout pour les familles de pêcheurs ou de navigateurs, alors que les navires de croisière eux sont mis en scène. Par exemple, dans les années 30, les religieux anticoloniaux prophétisent la chute du colonialisme qui sera annoncée par la trompette d’un cargo, la trompette étant une référence symbolique forte.

Peu de peuple de la mer peuvent vivre uniquement de la mer. Les Badjos, nomades de la mer en Indonésie et Malaisie sont moins de 30 000 aujourd’hui et en cours de sédentarisation.

Par ailleurs, il ne faut pas généraliser, population littorale n’est pas toujours synonyme d’attrait pour la mer, par exemple aux îles Féroé, on a un peuple composé essentiellement d’agriculteurs et d’éleveurs.

  • ÉVÉNEMENTIEL MARITIME : DES FINALITÉS PLURIELLES 

Il existe des manifestations religieuses ayant pour cadre la mer, elles deviennent par ailleurs de plus en plus culturelles, on a par exemple :

  • Pour la déesse Yemanja :
    • A Salvador de Bahia, une fête le 2 février sur la plage,
    • A Rio de Janero, une fête le 31 décembre
  • Pour l’apôtre Saint-Pierre, une fête à Valras (Hérault) le 29 juin.

De grands événements associent culture, économie et sport, on a principalement :

  • La route du Rhum (voulu par les producteurs des Antilles), tous les 4 ans, à partir de 1978, 3 510 Mn (6 540 Km) de Saint-Malo à la Guadeloupe (25 partants en 1978, 100 en 2014 à 90 % européens)
  • Le Vendée Globe pour promouvoir la région au moment de sa mutation économique de rurale à touristique. Il a lieu tous les 4 ans depuis 1989, c’est un tour du monde, à partir des Sables d’Olonne, dont le parcours traverse tout l’océan Antarctique

Un autre événement international en lien avec la mer doit être noté : c’est le regroupement des forces navales du Pacifique (RIM Pacifique) à Hawaï tout les deux ans, réunissant des navires de la marine militaire des Etats du Pacifique, 22 Etats sont représentés en 2014.

B)   A L’ÉCHELLE LOCALE : DES IDENTITÉS MARITIMES AISÉES A APPRÉHENDER ?

Localement les identités maritimes peuvent être marquées par des devises, armoiries ou monuments.

  • Devises et armoiries, on a par exemple :
    • St Jean de Luz : depuis 1992, la moitié du blason comporte un trois mats,
    • Biarritz  a pour devise : « Aura, sidus, mare adjuvant me » (J’ai pour moi les vents, les astres et la mer) ainsi qu’un blason avec coquilles, étoiles et pêcheurs,
    • On a aussi Newport, Valparaiso ou l’île d’Yeu
  • Marqueurs matériels, on peut avoir des monuments en l’honneur de ceux qui sont disparus en mer, mais on a aussi :
    • « Jésus dans la barque » devant Notre-Dame-de-la-Garde, à Marseille,
    • Ancre marine près du port de pêche de Port-Louis,
    • La statut du surfeur Kahanamoku à Waikiki à Hawaï.

Notons que la présence proche de la mer n’est pas toujours reconnaissance d’identité marine, ainsi Montpellier n’est qu’à 15 Km de la mer mais n’exprime pas son lien avec elle, alors que Rouen qui est à 40 Km est marqué par cette influence.

 

III LES ÉCHELLES SUPÉRIEURES : DES INTERROGATIONS DE NATURES MULTIPLES

A)   LES NIVEAUX RÉGIONAUX ET NATIONAUX

Quel est le rôle de la mer et des océans dans la construction identitaire ?

  • Rôle culturel : la mer joue un rôle dans la construction culturelle, on a par exemple :
  • Le boutre dans l’océan indien, bateau à fond plat pour manœuvrer sous les Alizées, il a permit l’émergence de la civilisation swahilie grâce aux échanges qu’il a permit entre les populations des rivages de l’OI,
  • La devise de Maurice, est « Etoile et clé de la mer indienne » en référenceà son rôle majeur sur l’ancienne route des Indes,
  • Au Canada, les provinces maritimes désignent des régions anciennement tournées vers la mer (pêche, circulation sur le St-Laurent, phares, …) même si ces régions se sont depuis reconverties.
  • Rôle dans la construction de l’identité

« L’insularité vexatoire » caractérisant la Corse selon Janine Renucci est une notion qui peut être étendue à d’autres situations, là où les coûts de transport constituent un frein au développement. L’idée d’une « infirmité naturelle » a été reprise par des groupes de pression et a permis de reconnaitre les spécificités de RUP par l’Union Européenne qui des régions essentiellement insulaires.

Mers et océans peuvent aussi faire partie d’un projet politique national, ainsi en est il de l’Equateur qui défend ses prérogatives sur les Galapagos, qui veut étendre ses eaux territoriales, ses droits à l’exploitation des ressources maritimes et défendre sa ZEE.

A contrario, l’absence d’ouverture à la mer justifie pour certains pays leurs sous-développement c’est le cas des pays de l’Afrique sahélienne, mais l’argument doit être relativisé si on prend l’exemple de la Suisse ou du Luxembourg.

Par ailleurs, la forte ouverture sur la mer n’est pas synonyme de maritimité. Ainsi en est il de :

  • La Turquie (8 333 Km de côte) qui est un pays plus continental que maritime,
  • L’Argentine avec des côtes immenses mais qui est un pays essentiellement d’élevage bovin,
  • La France et l’Espagne au passé maritime prestigieux mais à l’économie et à la culture terrienne.

 

B)   LA DÉNOMINATION D’ENTITÉS OCÉANIQUES ET MARITIMES

Les dénominations sont porteuses de sens :

  • Pacifique : dénommé par Magellan en raison des eaux calmes, mais cela concernait le Sud de cet océan, sa partie Nord était alors dénommé Septentrionale. Le mot Pacifique sera généralisé à tout l’océan et ne reflètera plus alors la réalité,
  • Atlantique : il reflète plusieurs réalités. Il est marqué par une variété de caractère physique, historiques (commerce triangulaire), et politique (relations internationales entre l’Amérique et l’Europe avec en particulier l’OTAN),
  • Méditerranée, la mer entre deux terres. Elle est le lieu de contact, de relation et d’échange entre tous les pays de son pourtour depuis l’Antiquité.

L’étude de la Méditerranée a fait l’objet de débat. Les concepts et idées issues de cette étude a mené certains géographes à étendre à d’autres régions ses caractéristiques (lieux d’échange et de contacts). Olivier Sevin écrit « Les méditerranée dans le monde » en 1990, ouvrage dans lequel il désigne la mer de Chine comme la Méditerranée chinoise et de la mer des Caraïbes comme la Méditerranée américaine.

Il est critiqué dans son analyse par Jacques Berthemont qui écrit « Géographie de la Méditerranée – Du mythe unitaire à l’espace fragmenté » en 2001, où il concède l’existence de « mers aux milieux des terres » mais qui ont chacune leurs spécificités.

En outre, des réalités terrestres sont parfois transposées en mer, ainsi le « Pacifique balkanisé » d’Yves Lacoste en 1984 est une expression qui souligne le morcellement politique du Pacifique Sud.

A contrario, l’OTAN s’appuie sur la référence atlantique pour justifier un regroupement politique, l’UE sur la référence à la Méditerranée pour justifier l’extension aux pays de l’Est. Les régions décentralisées de la façade atlantique du Royaume-Uni  à l’Andalousie s’appuie sur le concept d’Arc Atlantique pour se distinguer des pouvoirs centraux.

Mais l’Arc méditerranéen et l’APEC (Asie Pacifique) qui veulent unir des pays trop diversifié échouent.

Les appellations en rapport avec le maritime ne suffisent donc pas toujours à créer des rapprochements.