Un ouvrage majeur pour la préparation de la question d’agrégation. Les auteurs montrent que l’ère des révolutions (vue dans une sphère temporelle plus large, de 1760 à 1840) ne peut être comprise qu’en faisant une histoire connectée. Les différents articles fichés ici sont souvent cités dans les travaux d’historiens comme des références. Leurs auteurs et leur contenu doivent être connus et utilisés dans une dissertation.
Introduction : The Age of Revolutions, c.1760–1840 – Global Causation, Connection, and Comparison (David Armitage and Sanjay Subrahmanyam)
Les dernières décennies du XVIIIe siècle et les premières décennies du XIXe siècle ont longtemps été connues sous le nom de « l’ère des révolutions ». Le terme est l’un des marqueurs de période les plus connus des historiens modernes et a souvent été utilisé par d’autres chercheurs qui y ont vu « la naissance du monde moderne » (Christopher Bayly). Les éléments révolutionnaires sont traditionnellement identifiés comme les plus caractéristiques de l’époque. Parmi ces éléments se trouvent :
- la souveraineté populaire
- la déclaration les droits naturels et l’indépendance sécessionniste de la Révolution américaine
- la décapitation antimonarchique et anti-aristocratique de l’Ancien Régime effectuée lors de la Révolution française
- l’explosion apparente de la productivité et de la prospérité associée à la révolution industrielle
On pourrait y ajouter :
- les premiers efforts formels pour abolir la traite des esclaves
- la prolifération des constitutions écrites en tant qu’instruments nouveaux pour la distribution du pouvoir politique
- la recrudescence des nationalismes
Dans ce livre, les auteurs apportent une définition plus large de « l’ère des révolutions » : cette période dure environ 80 ans, de la guerre de Sept Ans (1756-1763) au début de la guerre de l’opium anglo-chinoise (1839-1842). L’ère des révolutions, telle qu’elle est définie ici, s’étend géographiquement à presque toutes les grandes régions et entités politiques de la période, du monde de l’Atlantique Nord, de l’Amérique du Sud et des Caraïbes, en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et du Sud-Est et la Chine. C’est ce qui fait l’intérêt de cet ouvrage : une vaste histoire connectée des révolutions entre le milieu du XVIIIe siècle et le premier tiers du XIXe siècle.
L’objectif est de retisser les chaînes de causalité, des modes de connexion et des moyens de comparaison qui pourraient permettre de voir les décennies de part et d’autre du tournant du XIXe siècle comme un tout et à l’échelle mondiale.
« It should be possible to begin crafting an account of the chains of causation, modes of connection, and means of comparison that might allow the decades on either side of the turn of the nineteenth century to be seen as a whole and on a global scale ».
Cette approche n’est pas neuve, même si elle a été « oubliée ». Il faut repartir de l’étude monumentale en deux volumes de Robert R. Palmer, The Age of the Democratic Revolution (1959-1964), qui dépeint une série d’assauts contre l’aristocratie au nom de la démocratie, des Appalaches à l’Oural. Palmer a aussi collaboré avec l’historien français Jacques Godechot pour définir le concept de « révolution atlantique » dans les années 1950. Quelques années plus tard, dans The Age of Revolution, 1789-1848 (1962), Eric Hobsbawm met entre parenthèses la Révolution américaine et décrit plutôt les effets combinés de la Révolution française et de la Révolution industrielle britannique comme « le cratère jumeau d’un […] volcan régional » situé dans le nord-ouest de l’Europe. Son éruption initiale a été régionale mais le panache de fumée a eu des conséquences mondiales.
Les visions de Palmer et de Hobsbawm de l’ère révolutionnaire apparaissent aujourd’hui étonnamment eurocentriques, parce qu’elles mettent en avant l’expansion de la « démocratie » pour Palmer, la diffusion de l’industrie, de l’idéologie et de l’empire pour Hobsbawm. C’est la critique « post-moderne » de David Armitage et de Sanjay Subrahmanyam : les « anciens » ont établi un cadre mondial pour les transformations historiques observées, mais aucun n’a tenté de rendre compte de manière intégrée des développements en dehors du monde de l’Atlantique Nord ; pire : chacun a donné la primauté à l’Europe en tant que matrice de la révolution.
L’ouvrage avance d’autres arguments. Un thème commun à de nombreux chapitres du volume est d’élargir la notion d’ « ère des révolutions » et celle de « révolutions atlantiques » à une « époque de révolutions impériales » et même à une « crise mondiale » qui frappe la planète entre 1760 et 1840.
Trois lignes d’approche distinctes peuvent être discernées :
- La première, dont les origines peuvent être trouvées dans l’œuvre de Malthus dès 1820, soutiendrait que les résultats politiques à long terme de l’ère des révolutions à l’échelle mondiale découlaient des changements économiques et technologiques, et que le triomphe de la Grande-Bretagne sur la France et l’ascendant de la Pax Britannica étaient (comme le disait Malthus) « puissamment assistés par nos machines à vapeur ».
- Un deuxième point de vue est celui que nous pouvons associer au doyen des historiens économiques français modernes, François Crouzet, qui a soutenu que si « la guerre n’était ni un stimulus, ni un puissant facteur retardateur de la croissance britannique », le triomphe politique de l’Angleterre ne pouvait pas non plus être simplement attribué à son statut économique « avancé ». Si nous interprétons correctement le raisonnement de Crouzet et choisissons de le généraliser, il semblerait qu’il nous conduise dans une direction où les résultats économiques et politiques à long terme de l’ère des révolutions pourraient être considérés comme relativement autonomes. L’économie n’était pas le moteur de la politique, mais l’opulence n’était pas non plus la récompense d’une agression réussie ».
- Une troisième vision peut également être identifiée, qui subordonnerait les questions politiques et économiques à l’influence déterminante des facteurs culturels, en particulier la religion. Ce point de vue a été particulièrement apprécié par les historiens de l’économie de la dernière génération, qui ont soutenu, par exemple, que les résultats très différents face à des problèmes similaires rencontrés par les Ottomans et les Bourbons français peuvent être compris en relation avec l’influence déterminante de la culture.
Les chapitres de ce volume suivent largement le deuxième de ces trois points de vue. Ceci reflète le fait que « l’ère des révolutions » a été une période au cours de laquelle le local et le global ont été réarticulés de manière radicale. Ni la Révolution américaine ni la Révolution française n’étaient une affaire locale ; les deux ont eu des répercussions et des réceptions mondiales ou au moins « panrégionales ». C’est ce que l’historiographie traditionnelle, telle que celle représentée par Palmer et Hobsbawm, avait toujours été disposée à admettre. Mais la tendance générale de cette historiographie ancienne avait un caractère européocentré et diffusionniste. En d’autres mots, on imagine que la Révolution française s’est produite en raison de mécanismes causaux purement internes à l’hexagone de la France métropolitaine, qu’ils soient fiscaux, sociaux ou culturels ; ensuite, cette Révolution et ses conséquences ont produit une vague agressivement expansionniste et militariste qui a conduit à une variété de guerres sur le continent européen et au-delà.
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