Cette composition de plusieurs fiches est proposée pour les candidats qui souhaitent une synthèse complète, chronologique et multi-thématique sur la Révolution française, de 1789 à 1804. Chaque fiche est crée à partir de la lecture d’un ensemble d’ouvrages généraux ou de monographies sur des sujets comme la Terreur, le mythe de Robespierre-roi, la place des femmes en Révolution, le coup d’Etat de Bonaparte, la Contre-Révolution, le rôle de la presse… Elles tiennent également compte de l’historiographie classique, mais aussi et surtout des débats historiographiques récents et des nouveaux champs de recherche actuels. Cette première fiche porte sur les débuts de la Révolution française.
Elle peut être accompagnée de la lecture de la Documentation Photographique, dossier numéro 8141, CNRS éditions 2021 (numéro dirigé par Pierre Serna)
Les autres fiches du dossier:
La Révolution française (2): Les débuts chaotiques de la Première République
La Révolution française (3): La République en crise
La Révolution française (4): Les nouvelles expériences électorales
La Révolution française (5): Les femmes dans la Révolution
La Révolution française (6): Etat et religions
La Révolution française (7): La Contre-Révolution
La Révolution française (8): Le symbole révolutionnaire
I. Détruire l’ancien monde
A. La crise économique et financière a raison de l’Ancien Régime
A croire Jean-Clément Martin, « la Révolution n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein ». Les contemporains du printemps et de l’été 1789 ont eu conscience d’entrer dans une révolution qui, si elle ne vise pas à détruire l’ordre monarchique, rase les ruines d’un système déjà moribond. Martin réactualise ainsi le concept ancien de « pré-révolution » (Jean Egret) et celui de « crise d’Ancien Régime » (Ernest Labrousse). Ce faisant, il ramène en avant deux causes principales à la révolution : la crise politique et la crise économique qui frappent la France dans les années 1780.
Dans ses travaux, Ernest Labrousse (Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle, 1933) montre que l’ordre économique précaire des sociétés féodales est soumis à des phases de crises rythmées par les variations climatiques qui provoquent des fluctuations brutales des récoltes : les prix des matières premières indispensables peuvent s’effondrer devant la surproduction ou bien s’envoler lorsque la production se fait rare et qu’il faut prélever dans les stocks de l’année suivante. La montée des mécontentements liés au manque de pain alimente à son tour la vague des révoltes, dont le nombre augmente depuis 1783. Les campagnes connaissent une succession de mauvaises récoltes et d’épizooties qui fragilisent les troupeaux. L’industrie textile est elle aussi rendue vulnérable depuis le traité de libre-échange avec l’Angleterre (1786). Dans les villes, le chômage s’accroît de même que la fréquentation du mont-de-piété et les émeutes pour demander du pain, comme à Rennes le 26 janvier 1789. Les 27 et 28 avril 1789, c’est l’émeute dans l’usine Réveillon de Paris qui cristallise les rancœurs : les 2 000 ouvriers de la manufacture de papiers peints envahissent le bâtiment après que leur patron aurait annoncé la possibilité de réduire le salaire de ses ouvriers.
« Là où la plupart des gravures choisissent de représenter la répression de l’émeute, celle-ci préfère insister sur le pillage de la maison et de la manufacture de papiers peints de Réveillon. Le choix est tout sauf innocent. C’est ici la « canaille » et ses violences incontrôlables que l’artiste entend stigmatiser. Dans un parc livré à la « populace » et où gisent à terre des rouleaux de papier peint, un feu vengeur est alimenté par des chaises, des cadres, la barrière entourant une pièce d’eau… Au premier plan, deux hommes tiennent une bouteille, l’un en proie à la gesticulation causée par son ébriété, l’autre déjà ivre mort. Alors que les émeutiers sont presque tous des hommes, la présence de femmes et d’enfants renforce la dénonciation, d’autant que le garçon saccage un jeune arbre en pot tout en regardant les débris de la statue qu’on abat. Autant d’actes de « vandalisme » qui, selon l’auteur de cette gravure, ne peuvent donc que justifier la répression ». Histoire de France 9, Révolution, Consulat, Empire (1789-1815), Michel Biard, Philippe Bourdin, Silvia Marzagalli |
Jusqu’en 1789, le calendrier des récoltes est marqué par une série de catastrophes climatiques : un hiver froid, un été humide et orageux. Les émeutes frumentaires se multiplient : 11 émeutes en janvier 1789, 16 en février, 99 en mars, 105 en avril. Les émeutiers pillent les greniers et les marchés, attaquent les convois et les « accapareurs » (les gros fermiers, les meuniers, les boulangers, les monastères…), perquisitionnent les arrière-boutiques des boulangers.
Toutefois, Labrousse montre également que des signes de prospérité existent : les hivers de la fin du XVIIIe siècle sont bien moins rigoureux que le début du siècle ; les prix de 1789 diffèrent peu de ceux de 1770. Ce qui est critiqué avant tout, et en particulier en période de difficulté économique, c’est l’iniquité des impôts et les dépenses somptuaires de la cour (scandale du collier de 1785, caricatures du couple royal trop dépensier, dénonciation des folies de Marie-Antoinette qui organise de coûteuses fêtes au Trianon).
En effet, la crise économique des années 1780 se double d’une crise financière. La société française reste divisée en trois ordres dont deux conservent le privilège de l’immunité fiscale. Mais les impôts indirects comme la gabelle, le champart ou les droits seigneuriaux semblent avoir été davantage critiqués que la taille. Les taxes et les droits de péage prélevés sur les produits de consommation alourdissent le prix du pain. Les émeutiers attendent du roi qu’il fixe un prix maximal pour garantir le droit de subsistance à tous ses sujets. Le principal problème des Français est qu’ils achètent le pain à crédit chez des boulangers qui tiennent des registres de compatibilité. Le crédit et la circulation monétaire inégale sont au cœur de la crise financière de l’Ancien Régime. Le soutien apporté aux Insurgés lors de la Guerre d’Indépendance (1776-1783) a grevé le budget français. La dette de l’Etat l’empêche de mener des réformes nécessaires comme la suppression des péages et des barrières d’octroi (réclamée par les physiocrates depuis 1770). L’Etat, en voulant maintenir les privilèges, s’engage à rembourser les propriétaires des péages ; comme il n’en a pas les moyens, il ne met jamais sa réforme en œuvre et le régime, malgré sa bonne volonté, démontre toutes ses contradictions.
Les ministères qui se succèdent tentent de créer plusieurs solutions pour combler le manque de numéraire dont souffre la monarchie. Lors d’une séance royale le 19 novembre 1787, le roi tente d’imposer un nouvel impôt, rejeté par le Parlement récalcitrant et par les Princes du sang (ce qui est à l’origine d’un long conflit entre le roi et le Parlement de Paris). Le marquis de Calonne, en voulant introduire ensuite un impôt de quotité lié aux revenus, uniforme pour tous les ordres, brise la figure traditionnelle et illusoire d’un roi sans impôts, vivant de ses domaines, protecteur du peuple. Sa réforme échoue rapidement. Le 5 mai 1788, le clergé décide de diminuer le montant du « don gratuit ». En août 1788, le roi renvoie Loménie de Brienne qui avait cédé dans ses négociations avec les Parlements (contraints d’accepter la demande de réunion des Etats Généraux) et appelle Necker au ministère des Finances. Après la Journée des Tuiles (7 juin 1788), il accepte finalement de convoquer des Etats Généraux (8 août 1788) pour régénérer le royaume, en contrepartie de la possibilité de lancer un emprunt. Au mois de novembre 1788, 5 princes de sang (le comte d’Artois, le prince de Conti, le prince de Condé, son fils duc le de Bourbon et son petit-fils le duc d’Enghien), hostiles à toute concession, écrivent au roi un Mémoire pour mettre en garde contre le risque de révolution. Louis XVI refuse de les écouter et suit plutôt les avis de Necker. Le 25 septembre, les magistrats du Parlement de Paris stipulent que les Etats Généraux doivent être réunis comme en 1614, avec doublement du nombre de députés du Tiers-Etat. Le 27 décembre, le roi accepte le doublement du Tiers. Le règlement électoral pour la désignation des députés et le déroulement des Etats Généraux est publié le 24 janvier 1789, dans le contexte frumentaire que l’on connaît. Le règlement maintient la séparation des Ordres, assigne à l’assemblée future un simple rôle de conseil et demande la rédaction de cahiers de doléances. Les Etats ne sont pas une « représentation nationale » mais une simple juxtaposition de délégués des trois corps, qui doivent exprimer des points de vue : seul le roi conserve un pouvoir de décision. Rien n’est dit sur le mode de vote des députés : par ordre (le rapport de force favorisera donc toujours les privilégiés) ou par tête. En réponse, Sieyès publie son pamphlet libéral : 1) Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? Tout. 2) Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? Rien. Que demande-t-il ? A devenir quelque chose.
B. Les cahiers de doléance
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Bibliographie:
- BIARD Michel, DUPUY Pascal, La Révolution française, enjeux, débats, tendances historiographiques, 1787-1804, Armand Colin, 2004
- BIARD Michel, DUPUY Pascal, La Révolution française Dynamique et ruptures, 1787-1804, Armand Colin, 2008
- BIARD Michel (dir), La Révolution française. Une histoire toujours vivante, Tallandier, 2010
- BIARD Michel (dir), 1792. Entrer en République, Dunod, 2013
- BIARD Michel, BOURDIN Philippe, MARZAGALLI Sylvia, Révolution, Consulat, Empire (1789-1815), Belin, 2014
- DUPUY Roger, MORABITO Marcel (dir), 1795. Pour une république sans révolution, PUR, 1996
- LIGNEREUX Aurélien, La France. Révolution et Empire (1788-1815), Dunod, 2024
- MARTIN Jean-Clément, La Révolution française, une histoire socio-politique, Belin, 2004
- MARTIN Jean-Clément, Nouvelle histoire de la Révolution française, Perrin, 2012
- SERNA Pierre, Que demande le peuple? Les cahiers de doléance de 1789, Textuel, 2019
- SERNA Pierre, La Révolution Française, La Documentation Photographique, n°8141, 2021
- VOVELLE Michel, Nouvelle histoire de la France contemporaine. Vol. 1. La chute de la monarchie : 1787-1792, Seuil, 1999
- VOVELLE Michel, La Révolution française, Armand Colin, 2015 (3e édition)
- WAHNICH Sophie, L’impossible citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution, Albin Michel, 1997
- WAHNICH Sophie, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République, Payot, 2008
- WAHNICH Sophie, La Révolution française : un événement de la raison sensible (1789-1799), Hachette, 2012