Cette fiche historiographique porte sur les transformations de la New Atlantic History dans le monde anglo-saxon depuis le Cultural Turn et le développement de la Global History dans les années 1990. Elle a été écrite à partir des notes de nombreuses lectures sur le sujet, qui se trouvent ajoutées en note en bas de page.

Cette fiche s’intéresse au développement le plus récent de l’Atlantic History. Ici, c’est la dernière phase qui est traitée: celle d’une construction analytique et d’une catégorie explicite danalyse historique (depuis les années 1990 et 2000).

PLAN

I. L’élargissement des approches atlantiques à partir de 1990

II. Le succès des Atlantic Studies depuis les années 2000

I. L’élargissement des approches atlantiques à partir de 1990

A la fin du XXe siècle, l’Atlantic History n’est pas encore devenue la New Atlantic History, mais le chemin est déjà engagé. Contrairement aux narrations des années 1970, les atlanticistes promeuvent une nouvelle unité d’analyse qui vient se superposer et englober d’autres niveaux (le royaume, la colonie, l’empire, le continent, etc.) sans correspondre à une entité politique particulière. Dans « Atlantic History and Global History », Nicholas Canny distingue 6 manières différentes d’aborder l’histoire atlantique globale : elles concernent l’histoire comparée des empires européens ; les migrations ; les réseaux commerciaux ; le système-monde atlantique ; les formes de diffusion culturelle ; l’histoire coloniale américaine qui met à mal l’exceptionnalisme états-uniens1. Les études atlantiques visent enfin à s’éloigner d’une histoire de la première globalisation écrite du seul point de vue de l’Europe ou de l’Occident : elles font des Africains et des Amérindiens des acteurs à part entière de ce phénomène. Plusieurs historiens participent activement à l’élargissement des approches atlantiques. C’est en particulier le cas d’Alison Games, David Armitage, Trevor Burnard, David Eltis, David Hancock.

Alison Games

Alison Games enseigne depuis 1995 à l’Université de Georgetown, où elle développe des cours portant sur les débuts de l’histoire américaine, sur l’histoire du monde atlantique, sur l’expansion européenne et sur les interactions globales au sein du « système atlantique », qu’elle défend activement.

Pour Alison Games, l’histoire atlantique a longtemps été une histoire des lieux « autour » de l’Atlantique », et rarement une histoire « de » l’Atlantique. Rares sont les études qui s’intéressent véritablement à l’Atlantique holiste. Ses travaux portent sur les réseaux migratoires au sein de l’espace atlantique au début de l’époque moderne : Migration and the Origins of the English Atlantic World ; The Web of Empire : English Cosmopolitans in an Age of Expansion, 1560-1660. Ces deux publications sont complétées par les travaux de David Hancock sur les réseaux commerciaux (Citizens of the World : London Merchands and the Integration of the British Atlantic Community, 1735-1815, 1995 ; « Commerce and Conversation in the Eighteenth-Century Atlantic : the Invention of Madeira Wine », Journal of Interdisciplinary History, 229, 1998, p. 197-219 ; Oceans of Wine : Madeira and the Organization of the Atlantic World, 1640-1815, 2009) et par l’ouvrage de David Eltis sur la traite négrière et la diaspora africaine (The Rise of African Slavery in the Americas, Cambridge University Press, 1999).

Alison Games, en plus de ces ouvrages historiques, a également écrit des articles épistémologiques majeurs : « Atlantic History : Definitions, Challenges and Opportunies », American Historical Review, 111, 2006, p. 741-757, The Atlantic World : a History, 1400-1888 (co-dirigé avec Douglas Egerton, Jane Landers, Kris Lane et Donald Wright, Wiley, 2007, « Teaching Atlantic History », Itinerario, 1999, p. 162-174 et Major Problems in Atlantic History (co-écrit avec Adam Rothman), Houghton Mifflin Company, 2008.

Dans « Teaching Atlantic History », Alison Games propose un manifeste passionnant et très motivant pour une histoire atlantique qui deviendrait une configuration de la New World History appliquée à un espace et à une époque où l’océan Atlantique n’est plus une barrière mais un pont, permettant alors une approche multiculturelle, multiethnique, multiraciale2. Elle s’intéresse particulièrement à l’enseignement de cette histoire dans le cadre de l’apprentissage d’une culture générale pour les étudiants des universités américaines. Par sa nature, l’histoire atlantique est en effet un excellent outil d’apprentissage de l’enquête historique pour des étudiants et d’apprentis historiens, puisqu’elle invite à changer constamment de point de vue3.

Dans ses travaux, Alison Games défend une histoire atlantique « connectée », qu’il faut analyser sur une échelle très large et une chronologie très étendue. Elle définit en ces mots l’Atlantic History :

« Atlantic history is primarily the study of a large geographic region : the four continents that surround the Atlantic Ocean and the people contained therein. It therefore investigates the histories of these continents and their inhabitants in terms of connections and convergences. Because of this emphasis, Atlantic history requires an approach that dismisses the importance of the modern political borders and nation states which have dichotomised this region in the nineteenth and twentieth centuries and instead seeks to recover the connections across the Atlantic, between continents, and between vastly different cultural and ethnic groups that defined this porous world in the early modern period. Although it encompasses the geographic space of old imperial histories, it is not a revised version offering a series of multi-imperial histories. Although it embraces countless colonial experiments, it is not simply the study of comparative colonisation. Such histories might rightly be centred on Europe or on the experiences of Creole populations in the Americas. But Atlantic history for its part demands a different perspective and approach, one which is not simply another story of the expansion of Europe but rather a multivalent exploration of the multiplicity of new worlds contained around and within the Atlantic in the period from 1492 through the nineteenth century. Thus, Atlantic history is not a collection of competing and overlapping imperial histories, but rather a style of world history with a particular regional and chronological emphasis.

Atlantic history especially focuses on those people whose societies were transformed by the intersection of the four continents after 1492 and who were drawn into a new world in which common problems and processes recurred over time and space well into the nineteenth century […]. In all four continents surrounding the Atlantic Ocean internal economies were reoriented by the demands and attractions of new external economies and by the presence of foreign traders as local goods and people were mobilised for exchange or sale. In Europe, the movement of commodities and people linked landlocked regions of central Europe to the Atlantic world, while the infusion of new world wealth into Spanish coffers altered political borders and power dynamics throughout Europe, with repercussions reaching into the Mediterranean. Everywhere, pre-existing patterns of internal migration were transformed and new patterns and dynamics set in place, as indigenous people faced the disruptive requirements of European work regimes, as the migratory people of North America moved to take advantage of new trade and military alliances with European invaders or to escape European pressure, or as millions of Africans and Europeans travelled west across the ocean. And everywhere diseases, plants, and animals moved ahead of newcomers: thus the horse altered the subsistence economies of the tribes of the North American plains before Europeans themselves appeared. People on all four continents were engaged in processes originating from the Atlantic, regardless of their actual geographic proximity to the ocean itself.

Atlantic history, then, is not only about the literal points of contact or connection in the Atlantic world. It should not privilege only the histories of those places, such as ports, or those people, such as merchants or mariners, which were most obviously engaged in a transoceanic world, although such approaches are enormously illuminating. Rather, Atlantic history is concerned with explaining transformations, experiences, and events in one place in terms of conditions deriving from that place’s location in a large, multifaceted, interconnected world. Thus, the Atlantic world is not only a single unit of analysis ; it is a logical unit of analysis. This was a world in which people’s horizons could be intensely local – at the level of a village, a clan, a band, or a family, whether in Europe, America, or Africa. But at the same time, the transformations within that local world were determined by a process of interaction with a larger world, and that process began in 1492. It included people, diseases, animals, commodities, plants, and ideas from other parts of the ocean ».

A la lire, nous supposons donc que ce sont les interactions maritimes, culturelles, commerciales, diplomatiques, militaires et épidémiologiques entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques qui ont dessiné l’espace atlantique du XVe au XIXe siècle. Cet espace est comme une toile faite de plusieurs couches superposées les unes sur les autres : les couleurs ne se concurrencent pas entre elles, mais elles se complètent. C’est donc l’étude globale de toutes les couches indissociables qui permet de donner une perspective historique d’ensemble du monde ainsi reconstitué.

Pourtant, même si les historiens doivent assembler tous les acteurs, toutes les régions, toutes les interactions (dans une conception « pan-atlantique »), Alison Games modifie l’approche classique de l’Atlantic History en refusant de considérer l’Atlantique comme « un seul » monde4. Elle reconnaît que cette vaste région n’a jamais été uniforme. C’est au contraire un monde hybride, dont la culture s’est constituée en partie sous l’influence des idées et des pratiques européennes, mais qui a assimilé des apports venus des autres continents. Même si une nation a pu, à quelque moment de l’Histoire, donner l’impression de dominer cet espace, le monde atlantique doit être enseigné dans sa double réalité : sa diversité et sa cohérence.

Une fois cette contradiction présentée et expliquée, les historiens doivent analyser les connections entre les rives et entre les groupes culturels, mais aussi interroger l’intégration des sociétés et des espaces au monde atlantique. Par exemple, d’un point de vue purement anglais, les contacts transocéaniques à partir du débarquement des anglicans en Virginie (1608) ou des puritains au Massachusetts (1620), n’ont que très peu d’importance ; en revanche, l’installation des premiers colons protestants sur le sol américain et la création des compagnies à charte bouleversent considérablement la société américaine à la même époque. La question de la non-intégration de certaines régions est aussi révélatrice de la construction du monde moderne. C’est ainsi que la question des « révoltes atlantiques » peut être renouvelée : la révolte de Saint-Domingue, décrite par C. L. R. James en 1938, prend un tout autre sens si elle est intégrée à un contexte qui n’est ni caribéen, ni européen, mais africain, comme l’a fait Carolyn Fick en 19905.

Ces multiples décentrements et ces jeux d’échelles sont justifiés par la nouvelle ambition interprétative de l’histoire atlantique qui « cherche à expliquer les transformations, les expériences et les événements dans un lieu donné en fonction des conditions dérivant de la position de ce lieu dans un vaste monde interconnecté aux multiples facettes » (Cécile Vidal).

David Armitage

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