Introduction

Ce cours ne porte que sur les migrations internationales, aboutissant à un changement de résidence. Les migrations de travail, touristiques, et internes à un pays (même de la taille de la Russie ou des Etats-Unis !) ne sont pas concernées.

  1. Un phénomène d’ampleur considérable : au bas mot 150 millions sur la période.

2) Trois pics d‘intensité : 1900-1914 ; 1945-50 ; depuis 1970, sans plus d’interruption.

3) Une distinction essentielle, même si dans le concret elle n’est pas toujours évidente : migrations volontaires et subies. Les seconds sont ce qu’on dénomme « réfugiés », contraints par une menace grave à quitter leur pays ; ne pas les accueillir relève de la non-assistance à personne en danger, et est condamnable aux yeux d’une législation internationale inspirée par la déclaration des droits de l’homme de 1789. Les premiers cherchent à améliorer leur sort, ce qui est une préoccupation normale et honorable, mais n’implique pas de prise en charge par un pays d’accueil au-delà de ce qu’il considère comme étant de son intérêt. La législation n’est pas la même dans les deux cas : droit d’asile pour les réfugiés, droit de l’immigration pour les autres. Confondre sous prétexte de générosité ces deux catégories dans celle de « migrants » serait surtout risquer de faire oublier les obligations à l’égard des réfugiés, dans la mesure où aucun pays ne peut accepter comme nouveau résident doté de droits sociaux complets toute personne en effectuant la demande

4) Les causes principales des migrations internationales :

  • -croissance démographique forte dans des pays à productivité stagnante ; -morcellement excessif des terres dans des pays fortement agraires densément peuplés ;
  • -droit d’héritage inégalitaire, les fils cadets se trouvant largement déshérités (Sicile, Japon, etc)
  • -dures conditions de vie, liées en particulier à un climat froid (Scandinavie, Russie)
  • -persécutions religieuses (Juifs), ethniques (Arméniens) ou politiques (régimes totalitaires).

5)   L’intérêt économique des migrations est de permettre d’atteindre une manière de densité optimale par rapport aux ressources naturelles et au niveau de développement. Bref, d’éviter aux travailleurs excédentaires le chômage ou le sous-emploi dans leur pays d’origine, et de procurer assez de bras aux terres, aux industries et aux services des pays déficitaires en main d’œuvre. Les migrations ont permis en particulier la mise en valeur rapide des « pays neufs » d’Amérique ou d’Océanie, en atténuant la pauvreté de l’Irlande ou de l’Italie du Sud… Il s’agit donc d’un phénomène fondamentalement positif.

6) Il y a une grande diversité de situations migratoires, qu’il importe de discerner : du nord au nord, du sud au sud, du nord au sud et du sud au nord. Ces dernières, qui préoccupent aujourd’hui bien des habitants d’Europe et d’Amérique du Nord, ne constituent qu’une fraction souvent minoritaire du phénomène.

 I-1890-1914 : L’exode des Européens

Les Européens sont alors la principale source d’émigration : le continent est celui dont la démographie est la plus dynamique, mais une grande partie de ses habitants restent très pauvres, et de plus les « Europes d’outremer » (pays tempérés d’Amérique et d’Océanie) sont encore peu peuplés. Il ne faut cependant pas perdre de vue deux autres grandes directions des migrations : à l’intérieur de l’Europe, principalement juste de l’autre côté d’une frontière ; et, dans le Sud global, à l’intérieur des empires coloniaux, ainsi qu’entre la Chine et bon nombre des territoires de l’Asie-Pacifique (en partie traité dans la partie suivante).

A- Au sein de l’Europe

La France est le seul grand pays d’Europe dont la balance migratoire (immigrants–émigrants) est toujours positive. Du coup on y compte déjà 3% d’étrangers en 1911 (ils seront 6,6% en 1931) dont 36% d’Italiens et 25% de Belges.

En Allemagne, en 1910, on trouve 1,2 million d’étrangers, surtout des Austro-Hongrois, des Hollandais et des Italiens. En Angleterre, la majeure partie de « immigrés » sont des Irlandais, cependant alors composante du Royaume-Uni.

L’Italie est de loin le principal pays de départ : 16 millions d’émigrants en une trentaine d’années (873 000 en 1913, un maximum), dont une moitié vers d’autres pays d’Europe. Au total, 5,6 millions d’étrangers vivent sur le continent : 1,8% de la population totale. Il faudrait y ajouter les naturalisés et ceux qui sont retournés dans leur pays d’origine, souvent après de longs séjours à l’étranger. En proportion de la population, le premier pays d’immigration est la Suisse, le second est la Belgique, le troisième la France, le quatrième le Royaume-Uni. A cent ans de distance, la liste actuelle ne serait pas très différente.

B – De l’Europe vers l’outremer

Entre 1891 et 1915, 25 millions d‘Européens quittent le continent – une moyenne d’un million par an, un record historique. Parmi eux, 26% d’Italiens, 25% de sujets du Royaume-Uni (dont de nombreux Irlandais), 12% d’Austro-Hongrois, 11% d’Espagnols, 8% de sujets du Tsar (dont beaucoup de Polonais et de Juifs), 4% d’Allemands. L’émigration, longtemps majoritairement en provenance d’Europe du nord-ouest, se porte donc sur le sud, le sud-est et l’est du continent – même si, en pourcentage de leur population, la Norvège puis la Suède sont les premières terres de départ (entre un tiers et la moitié des habitants s’en vont, principalement vers l’Amérique du Nord ; il s’agissait alors de pays plutôt pauvres, à la vie rude). L’Irlande, quant à elle, a surtout été saignée dans la période précédente : 8 millions d’habitants en 1841, 4,7 en 1899.

Les Etats-Unis sont de loin le premier pays d’accueil : y abordent 70% des émigrants vers l’outremer (viennent ensuite l’Argentine avec 10%, puis le Canada, le Brésil et l’Australie, avec environ 6% chacun). Seuls 2 millions d’Européens s’installent en terre tropicale (centre et nord du Brésil inclus), ce qui représente cependant deux fois plus que pendant les trois siècles précédents.

On peut changer de continent sans changer de pays : cinq millions de Russes partent vers les territoires asiatiques de l’empire (Sibérie et Asie centrale) avant 1914.

Les EU sont façonnés par l’immigration. 21,7% de ses citoyens sont nés à l’étranger, en 1910. C’est par là que la population triple en cinquante ans (31 millions en 1860, 92 millions en 1910). On compte 28 millions d’immigrants entre 1880 et 1939. Le maximum est atteint en 1907 : 1,3 million. La composition des immigrants change beaucoup avec le temps : en 1880, 32% en provenance du Royaume-Uni, 18% d’Allemagne, 14% de Scandinavie. En 1920 : 22% d’Italiens, 11% de Britanniques. En 1939 (sur un contingent total très diminué) : 40% d’Allemands (dont beaucoup de réfugiés juifs), 8% d’Italiens. Mais ce pays longtemps si ouvert aux autres se ferme aux Asiatiques, sur une base ouvertement raciale : le Chinese Exclusion Act, en 1882, adopté sous la pression d’émeutes populaires contre les « Jaunes » sur la côte Ouest, ferme jusqu’aux années quarante les EU (à l’exception d’Hawai) aux Chinois, et plus tard aux Japonais.

L’émigration permet aux Européens et à leurs descendants outremer d’atteindre vers 1900 le tiers de la population mondiale (560 millions de personnes, contre 210 millions en 1800). C’est un maximum historique.

Enfin, il ne faut pas négliger les retours, liés aux inévitables déceptions, aux difficultés d’adaptation (changement de langue par exemple), aux tromperies également (on vend en Italie des billets de bateau pour Buenos Aires à des paysans désireux de gagner New York, en leur assurant que c’est aussi « en Amérique » – mot devenu mythique). En Argentine, 49% des entrants s’en vont, en partie vers les EU (années 1851-1910). C’est le cas de 33% des immigrants en Australie (période 1921-1930). Même aux EU, 40% repartent.

C-Les transferts entre métropoles et empires coloniaux

Les migrations des colonies vers les métropoles sont peu intenses, à la demi-exception des Irlandais vers la Grande-Bretagne. Une petite immigration indienne commence dans le pays, de même que, en France, des Maghrébins, des Africains et des Indochinois constituent de petites communautés, très renforcées par l’arrivée de centaines de milliers de soldats coloniaux pendant la Grande Guerre, dont une faible partie reste en France, et y fait souvent souche. Le mouvement inverse, vers les colonies « de couleur », est environ trois fois plus important jusqu’en 1939 (au moins trois millions de personnes) : plus de la moitié s’installe en Afrique du Nord (des Français, et au moins autant d’Italiens, y compris en Libye coloniale), et près de 200 000 Néerlandais gagnent leurs Indes (actuelle Indonésie).

II : 1914-1948 : L’Europe des catastrophes

Le plus caractéristique, dans cette période des grandes guerres, ce sont les migrations forcées, qui atteignent une ampleur sans précédent. Elle n’a pas été retrouvée depuis, malgré la gravité de certaines crises. Par contre, les migrations volontaires se contractent relativement, que ce soit du fait du repli nationaliste, « américaniste » que connaissent les EU dès le début des années 1920, ou, plus gravement encore, du fait de la crise économique qui frappe le monde durant l’essentiel des années trente. La Seconde Guerre mondiale, et l’éclatement du monde qu’elle entraîne, vont encore réduire les mouvements migratoires volontaires. La figure du réfugié domine la période.

 A-Les réfugiés des guerres et des révolutions

Le phénomène est si vaste qu’on crée un nouveau terme –« personnes déplacées »-, qui concerne aussi les réfugiés intérieurs des régions envahies et occupées par les armées adverses, ainsi qu’un nouveau type de citoyenneté au rabais pour les très nombreux apatrides induits par les rectifications de frontières et les effondrements impériaux (empire russe en particulier), qui ont rendu obsolètes nombre de papiers d’identité. Le diplomate norvégien Fridtjof Nansen crée à leur intention un passeport international qui portera son nom, et qui permettra à quelques 500 000 personnes de retrouver une existence légale ainsi que de franchir les frontières.

La Grande Guerre et ses suites provoquent entre cinq et dix millions de réfugiés, par le génocide des Arméniens (1915), la révolution russe et la guerre civile qui s’ensuit, par la création d’Etats nouveaux, et enfin par les échanges de populations (1,5 million au total) entre Grèce et Turquie entraînés par la défaite grecque de 1922 (dévastation de la ville de Smyrne). Les années vingt sont plus paisibles, mais, ensuite, ce sont des centaines de milliers de Juifs qui fuient l’Allemagne et l’Autriche nazifiées, et tout autant d’Espagnols républicains vaincus, qui gagnent principalement la France et le Mexique.

Ce n’était qu’un avant-goût des transferts de populations d’ampleur inouïe qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Les uns sont proprement expulsés (Allemands d’Europe de l’Est, Japonais des ex-colonies et de Chine, Polonais ou Finnois, Italiens), d’autres comprennent que, faute de bouger, ils vivront dans la peur et les vexations (Juifs rescapés des camps, nombreux Allemands, y compris d’Allemagne de l’Est). Par ordre d’importance numérique décroissante, cela donne :

-13 millions d’Allemands, y compris au moins trois (15% de la population) quittant la RDA pour l’Allemagne de l’Ouest.

-5 millions de Polonais (transferts des territoires annexés par l’URSS vers ceux conquis sur l’Allemagne)

-4 à 5 millions de civils japonais de Corée, Taiwan, Mandchourie et Chine -2,5 millions de Russes, transplantés dans les territoires anciennement polonais ou allemands

-1,9 million de Tchécoslovaques, installés dans les Sudètes à la place des Allemands

-850 000 Juifs d’Europe de l’Est rescapés de la Shoah (départs vers l’Occident ou vers Israël)

-400 000 Finlandais de Carélie annexée par la Russie

-400 000 Yougoslaves amenés dans le nord-ouest à la place de

-300 000 Italiens expulsés, principalement de la péninsule d’Istrie

-un million d’autres.

Soit le total stupéfiant d’une trentaine de millions de réfugiés et transplantés.

B-Les crises politiques et économiques : le blocage tendanciel des migrations  Le nombre d’étrangers en France continue à croître : 1,2 million en 1911, 2,2 en 1936, malgré de nombreux départs depuis 1931. Parmi eux, 33% d’Italiens, 19% de Polonais et 12% d’Espagnols. En Allemagne, paradoxalement, le régime nazi (qui construit, par exemple des autoroutes, et réarme à tour de bras) fait exploser l’immigration :7,8% d’étrangers en 1938.

Aux Etats-Unis, la provenance de l’immigration commence à se dissocier de l’Europe : 12% de Mexicains parmi les entrées de 1920. Ceci explique en partie ce virage majeur de la politique migratoire des EU qu’est l’instauration de quotas, dès 1921 : les entrées annuelles seront limitées à 3% de la population américaine issue d’un pays déterminé en 1910. En 1924, nouveau tour de vis : on tombe à 2%, et à la population installée en 1890. Cela entraîne une baisse massive des entrées en général, et en particulier de celles correspondant aux nouvelles provenances (Europe méditerranéenne et orientale, Juifs, Latino-Américains…), qui ont le « tort » de n’être en rien des WASPs (White Anglo-Saxon Protestants). Le blocage accentué de l’immigration asiatique, japonaise en particulier, aura de lourdes conséquences politiques : le Japon, alors grand pays d’émigration, se sent conduit à conquérir de nouvelles terres (comme la Mandchourie) pour y déverser son trop-plein de population pauvre.

Face à la crise économique des années trente, et au chômage de masse, les pays se ferment à l’immigration, et considèrent la main d’œuvre étrangère comme un « volant de crise » : plus de 500 000 résidents étranger sont amenés à quitter la France, dont 140 000 Polonais, expulsés des régions minières par trains entiers. Une loi visant à « protéger la main d’œuvre nationale » au travers de quotas maximum d’étrangers par profession est adoptée en août 1932.

Quant à l’Italie, pour des raisons d’orgueil national, Mussolini y interdit l’émigration en 1928.

C-Apogée et déclin des migrations intra-asiatiques

Ces migrations rarement prises en considération de ce côté-ci du monde sont pourtant massives. Elles sont en large part internes aux empires coloniaux, qui connaissent d’importants flux des régions les plus denses vers les zones peu peuplées où plantations et mines se développent. Elles sont en partie libres, en partie forcées (engagisme : contrats signés avant le départ et cautionnés par la justice, qui punit ceux qui le rompent, endettement pour le voyage), même si, en territoire britannique, l’engagisme (indenture) est interdit dès les premières années du XXe siècle (Français et Néerlandais sont à la traîne). Les Indiens (Tamouls du SE du pays surtout, dans une moindre mesure Malayali du Kérala, et Bengali vers la Birmanie) partent par millions, en particulier vers la Malaisie, la Birmanie, Singapour, l’Afrique de l’Est et du Sud, les îles Fidji et la Guyana – ils sont majoritaires dans ces deux derniers territoires lointains. Les Tonkinois partent vers le sud du Vietnam (Cochinchine), riche en plantations d’hévéas, ainsi que vers la Nouvelle-Calédonie. Les Javanais vont vers celles du nord-est de l’île de Sumatra, et en grand nombre vers le Surinam (Guyane hollandaise).

Mais ce sont les Chinois (principalement du Sud-Est : provinces du Guangdong et du Fujian) qui sont les plus nombreux à quitter leur pays. Pas moins de 220 000 abordent à Singapour en 1927 (c’est un maximum), d’où ils se redistribuent dans tous les pays voisins. Au total, ce sont sans doute une quinzaine de millions qui gagnent l’Asie du SE entre 1850 et 1930 ; ils sont particulièrement présents en Thailande, en Indonésie, aux Philippines, au Vietnam, en Malaisie et à Singapour – dans ces deux derniers territoires ils forment une majorité relative ou absolue de la population. Presque toutes les villes de la région comptent d’imposantes communautés chinoises, fréquemment majoritaires jusque dans les années 1970. On trouve aussi beaucoup de Chinois partout dans le Pacifique, de Tahiti (où ils se métissent avec la population polynésienne) aux régions aurifères d’Australie méridionale, ainsi que dans quelques zones des Amériques (Californie, Cuba, Pérou…). L’immigration en provenance de Chine –pays demeuré indépendant-échappe complètement au contrôle des Occidentaux, y compris dans leurs colonies ; par contre des formes particulières d’engagisme existent entre Chinois. Ils travaillent assez peu sur les plantations, mais beaucoup dans les mines, les industries et le commerce, très généralement sous les ordres de patrons chinois.

Les migrations asiatiques, à la différence de celles des Européens, n’ont donc atteint leur apogée qu’à la fin des années 1920. Elles sont par contre très touchées elles aussi par la crise des années trente, prolongées par la guerre de l’Asie-Pacifique (1937-1945) puis la guerre civile chinoise, les conflits de guerre Froide, etc. Dès le début des années trente, l’immigration chinoise masculine est interdite en Malaisie et à Singapour, et celle des femmes (bien moins nombreuses) suivra quelques années plus tard. Cela permet cependant aux communautés chinoises de se stabiliser et de mieux s’intégrer, ce qui leur vaudra de supporter sans expulsion de masse (sauf au Vietnam communiste en 1979) le choc de la décolonisation.

III : 1948-1991 : Les exodes du monde pauvre

L’époque, comme avant 1914, est avant tout marquée par les migrations de travail, destinées à échapper à l’extrême pauvreté. Mais, à présent, c’est l’Europe qui en est l’un des objets principaux, alors que les Etats-Unis renouent avec leur longue tradition de principal pays d’accueil au monde. Et les immigrants proviennent majoritairement de terres souvent lointaines, d’où jusque là ils étaient peu nombreux à venir. Enfin, on se situe aussi dans la continuité de l’entre-deux-guerres, avec d’immenses flux en provenance de pays en guerre ou en révolution. Mais, une fois réglées les effroyables convulsions issues de la Seconde Guerre mondiale et –tout autant, en Europe du centre-Est, de son règlement-, ces flux de réfugiés eux-mêmes proviendront très majoritairement des pays qu’on commence à dénommer « sous-développés ». Si l’on tient enfin compte de l’énorme croissance démographique, sans aucun précédent dans l’histoire, que la plupart de ceux-ci connaissent des années 1950 aux années 1980 incluses, on admettra que c’est bien chez eux que se situe la dynamique de la circulation migratoire globale.

A-Réfugiés de la décolonisation, du communisme et des guerres

L’installation du communisme, les violentes répressions et confiscations qu’elle entraîne, mais aussi l’incapacité du régime à fournir la hausse du niveau de vie promise, amènent des fuites de population dépassant parfois les 10% – ce qu’aucune dictature de droite n’a amené, à l’exception de la minuscule Guinée Equatoriale. Quant aux guerres, elles procurèrent aussi leurs lots de réfugiés (comme en Syrie aujourd’hui), que les chiffres ci-dessous pourraient amener à sous-estimer dans la mesure où elles aboutirent encore plus couramment à des migrations intérieures (exemple : les neuf millions de Français ayant quitté leur domicile, au moins provisoirement, lors de l’Exode du printemps 1940). Enfin les décolonisations entraînent souvent (mais pas toujours, loin de là) des politiques de marginalisation, d’expulsion et parfois de massacre de certaines minorités, que ce soient les anciens maîtres (Occidentaux ou Japonais) ou diverses minorités ethniques (Chinois en

Indonésie, Indiens en Birmanie ou en Ouganda) ou religieuses (hindous au Pakistan, juifs puis chrétiens dans le monde arabe).

Dans l’ordre chronologique, et en se limitant aux mouvements les plus massifs:

-1945/53 : départs de Corée du Nord vers le Sud : 3 millions

-1947 : partition de l’Inde : 14/16 millions, vers l’Inde ou le Pakistan (migrations croisées des hindous et des musulmans, sans oublier les Sikhs)

-1948/1949/1956 : « purifications ethniques » au Proche-orient (Arabes palestiniens chassés par Israël, Juifs du monde arabe expulsés vers Israël ou l’Occident ) : 1,2 millions au total, partagés de manière sensiblement équivalente.

-1949/50 : départs de Chine communiste : 3 millions

-1954-1980 : départs du Vietnam communiste (Nord puis Sud) : 3 millions -Depuis 1960 : départs de Cuba communiste : 1 million (un Cubain sur huit !)

-1960- : Fuites devant les guerres africaines (Soudan, Congo, Rwanda, Burundi, etc) et les régimes de terreur, principalement communisants (Ethiopie, Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, etc…), ainsi que les régimes génocidaires ou quasi-génocidaires du Rwanda et du Burundi : 10 millions au moins

-années 1970 : départs des dictatures latino-américaines de droite (Brésil, Argentine, Uruguay, Chili…) : 1 million ?

1970- : départs des hindous du Pakistan oriental opprimé par l’armée du Pakistan occidental, puis après l’indépendance de 1971, du Bangladesh islamique : 10-15 millions

1978-1988 : départs d’Afghanistan occupé par l’URSS : 2 millions (d’autres suivront, du fait de la guerre civile permanente, puis du régime des Talibans, parvenus au pouvoir en 1996).

Soit au total AU MOINS 50 MILLIONS, dont seuls quelques trois millions sont allés vers les pays développés d’Occident (dont un million d’Indochinois et un million de Cubains), avant tout les EU. Les demandeurs d’asile dans les PED (ils sont loin de l’obtenir tous) croissent beaucoup en fin de période : 200 000 en 1985, 800 000 en 1992. La Suède est le premier pays d’accueil en pourcentage de sa population, la Suisse le 2nd (cinq fois plus que la France en proportion).

B-Migrations de travail vers les PED

-On constate une relative stagnation des migrations d’Européens hors d’Europe : 12 millions au total, de 1941 à 1970 – et cela diminue beaucoup ensuite

-Le phénomène principal devient progressivement la migration des PVD vers les PED : 30 millions de 1945 à 1991. L’augmentation est quasi-continue, malgré les cycles économiques, qui n’entraînent que des ralentissements, pas des reflux massifs, au contraire de la crise des années 30 :

2,5 millions dans les années 1950

5,7 millions « 1960
10,4 « « 1970
10 millions « 1980

 

C’est vers 1970 que se produit ce retournement historique : la balance migratoire de l’Europe (de l’Ouest) devient excédentaire (immigrants > émigrants) :

-2,1 millions dans années 1950

-400 000           «                1960

+3,3 millions           «          1970

+4,7 millions        «            1980

Même les pays d’Europe du Sud, traditionnellement réservoirs d’émigrants,

deviennent des terres d’immigration après 1975. L’Allemagne est n°1 pour le solde positif en valeur absolue, la Suisse n°1 en termes relatifs. Le Royaume-Uni a longtemps gardé un solde négatif, compte tenu de l’intensité maintenue des départs vers les dominions d’outre-mer.

En Amérique du Nord (85% USA, 15% Canada), le solde est constamment positif (comme il l’a été depuis l’origine), mais la tendance est nettement haussière, malgré les difficultés économiques des années 80 :

+4,9 millions dans années 1950

+4,8 millions           «          1960

+9,6 millions           «          1970

+6,3 millions        «            1980

-D’où une forte croissance de la proportion d’étrangers en Europe de l’Ouest : 2% d’étrangers résidents vers 1950, 3,6% vers 1970, 5% vers 1990, en sus de millions de naturalisations, et ce malgré des politiques d’immigration de plus en plus restrictives, partout sauf au Canada et en Nouvelle-Zélande, qui visent en particulier à protéger l’emploi des nationaux :

1960 1990
Allemagne 1,2 8,2
France 3,9 8,4
Italie 0,1 1,4
Suède 0,3 5,6
Suisse 10,8 16,3
RU 0,9 5,3
Moyenne Europe 1,5 5,2

 En % de résidents étrangers sur la population totale

-A partir des années 1970, l’essor rapide des économies pétrolières (Golfe persique surtout) et d’Asie orientale (les « 4 dragons », plus bientôt la Thailande et la Malaisie) en fait des pays d’accueil supplémentaires. Vers 1990, Singapour compte 20% d’étrangers, Dubai… 75%. Dans les pays du Golfe, la grande majorité des emplois d’exécution sont opérés par des étrangers, essentiellement issus du sous-continent indien, et ensuite des Philippines. Dans cette partie du monde arabe, les Arabes ne sont plus majoritaires !

-Provenance : l’aire de « recrutement » pour l’Europe s’élargit (vers l’Afrique, le Proche-Orient, l’Asie du Sud, la Chine), alors que celle des USA se rétrécit, puisqu’elle se concentre désormais surtout sur le Mexique voisin, la Caraïbe et l’Amérique centrale.

-Les mouvements se font souvent complexes : on constate en particulier beaucoup de phénomènes de substitution :

-d’immigrants aux autochtones : villes ouvrières du Nord-Pas de Calais ou des Midlands britanniques ; Portoricains dans certains quartiers de Manhattan ; Guatémaltèques dans le Sud du Mexique

-d’immigrants à d’autres immigrants : les Chinois remplaçant les Juifs dans le textile du 11ème arrondissement de Paris ; des Marocains remplaçant les Polonais dans les mines françaises

D’où une grande diversité de la population des métropoles les plus dynamiques. Exemple : Los Angeles, où la population étrangère a quadruplé en 25 ans : on n’y compte pas moins de quinze groupes nationaux ayant au moins 50 000 ressortissants (parmi lesquels les Mexicains, les Arméniens, les Philippins, les Palestiniens, les Salvadoriens, les Coréens…)

-La concentration est forte dans certaines professions : en France, en 1934, 26% des mineurs de charbon étaient polonais ; en 1968, on comptait 22% d’étrangers dans le bâtiment, 14% dans le salariat agricole, 11% dans les industries mécaniques (automobile surtout, dont c’est l’âge d’or). Qui plus est, certains emplois correspondent plus particulièrement à une nationalité : Portugais dans le bâtiment, Philippines dans la domesticité, Africains dans la sécurité, etc.

-Les micro-spécialisations sont autant géographiques que professionnelles : les Grecs de l’île de Cythère deviennent ainsi poissonniers à Sydney ; les Mozabites (concentrés dans une zone du Sud algérien) sont épiciers à Paris (où les innombrables crêperies des 14ème– 15ème arrondissements, proches de la gare menant en Bretagne, sont tenues par des Bretons). On a donc des sortes d’ « ilôts spatiaux » choisis (y compris la Chinatown du 13ème arrondissement parisien), bien différents des « ghettos » contraints (banlieues françaises, centre-villes dégradés américains).

-Les remises de fonds des immigrés vers leurs pays d’origine jouent parfois pour ceux-ci un rôle fondamental : elles représentent le premier poste dans le PIB des Philippines, elles constituent les 2/3 des revenus de la Kabylie (Algérie).

C-Développement de l’expatriation

C’est un mouvement qui touche surtout les pays riches, anciens ou nouveaux, et représente plusieurs millions de personnes à l’échelle mondiale. Il s’agit en très grande majorité d’échanges de populations fortement qualifiées (et secondairement de retraités aisés) entre eux :

->100 000 Français à Londres

-20 000 Japonais en Allemagne, 40 000 à Singapour, où résident (en 2016) 16 000 Français, davantage qu’en Inde et que dans n’importe quel autre pays d’Asie, à l’exception de la Chine.

-on a une « Koreatown » à Dusseldorf (« capitale » informelle des Coréens d’Europe)

-Les résidences secondaires de Britanniques et de Hollandais (qui deviennent souvent leurs résidences principales à leur retraite) sont nombreuses dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la France.

– On compte également des centaines de milliers de cadres et patrons taiwanais en Chine continentale, où s’est repliée une large partie de l’industrie de l’île, en quête de bas salaires et de débouchés plus aisés sur le marché chinois. .

A la différence des migrations de travail traditionnelles, l’expatriation est intégrée à la carrière professionnelle, pour un nombre d’années limité ; les allers-retours sont fréquents avec le pays d’origine, les séjours dans des pays tiers également. Le caractère temporaire de l’installation et la vie à cheval sur les continents amènent des intégrations moins poussées que précédemment dans la société des pays-hôtes. A un moindre niveau, le phénomène touche d’ailleurs aussi les migrants peu qualifiés : la baisse drastique du coût des télécommunications et du transport aérien, surtout à partir des années 80, facilite souvent le maintien de contacts étroits avec le pays d’origine.

Conclusion

Les migrations internationales sont donc le nécessaire soubassement de bon nombre des plus belles success stories des deux derniers siècles. Par la diminution de la pression démographique dans le pays de départ, et ensuite par les remises de fonds aux familles, elles ont également contribué à réduire le poids de la misère. Cela ne signifie bien sûr pas que l’immigration soit sans problème, en particulier quand le pays d’accueil est lui-même en crise. On peut aussi remarquer que, pendant longtemps, la majeure partie des immigrants était culturellement et religieusement proche des autochtones. Quand cela changea, par exemple aux EU dès le début du XXe siècle, les tensions et réactions de rejet se firent plus fortes. On constata des réactions analogues en Afrique contre les Indiens, dans le monde malais contre les Chinois, etc. Les déplorer est une chose, penser pouvoir aisément les éviter en est une autre.