Cette fiche est le résultat d’une prise de notes réalisée lors de la conférence de l’Association des historiens modernistes de l’université française le 3 décembre 2022. Les interventions fichées ici concernent la constitution monarchique, puis les rapports entre noblesse et couronne à l’époque moderne.
PREMIERE INTERVENTION : LES FONDEMENTS D’UNE CONSTITUTION MONARCHIQUE DU ROYAUME (Thierry Kouamé, Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
Contexte historique
1715 : la mort de Louis XIV, 1er septembre 1715 aux alentours de 8h du matin ; long règne de 72 ans, le plus long de l’histoire de France. Testament lu le lendemain en séance solennel devant la chambre de Paris.
Louis XIV confie dans son testament le trône à son jeune arrière-petit-fils Louis XV, la garde de l’enfant royal revenant au duc du Maine (enfant batard légitimé)et la présidence du conseil de régence à son neveu le duc d’Orléans. Mais le testament du roi est partiellement cassé par le parlement à la demande de Philippe d’Orléans qui est officiellement nommé détenteur de la régence et de tous les pouvoirs au détriment du duc du Maine. Cet épisode montre que même un roi aussi absolu que Louis XIV ne peut se soustraire aux lois fondamentales du royaume : le Parlement de Paris pouvait le faire en vertu de l’Etat de droit.
Question des normes supérieures régissant le fonctionnement de la monarchie française : étude de la part des médiévistes, travaux dans le sillage de Kantorowicz (Les deux corps du roi) pour les anglosaxons ; analyse des normes supérieurs pour les médiévistes français dans le sillage de Bernard Guenée : Colette Beaune, Naissance de la nation France, 1985 ; Benoit Grévin, La première loi du royaume : l’acte de fixation de la majorité des rois (1374), 2021.
Pour retrouver les fondements médiévaux sur lesquels se sont bâtis les normes supérieurs régissant l’Etat monarchique, il s’agit de partir de la fixation des règles de dévolution de la couronne : règles de succession dégagés sans plan, de façon pragmatique en fonction des évènements. Les évènements ont érigé en coutume des principes juridiques qui ont transformé la couronne en institution de droit public indépendante de la personne royale.
I/ Les spécificités de la succession royale
Au début du XIVe siècle, elle ne se distingue pas beaucoup du droit commun de la succession des fiefs : couronne au fils ainé, hérédité et primogéniture ; les crises du début du siècle conduisent à l’adoption de la règle exorbitante du droit commun cad la masculinité.
A/ La règle de masculinité
La succession en faveur du fils ainé fonctionne sans problème dans la dynastie capétienne jusqu’au début du XIVe siècle : les rois avaient toujours laissé un fils vivant au moment du décès.
La question de la dévolution de la couronne à une fille se pose à la mort de Louis X le Hutin en 1316.
(Voir Les rois maudits, Maurice Druon)
La question successorale est tranchée en 1328 par une assemblée de notables entièrement acquise à Philippe de Valois proclamé donc roi de France sous le nom de Philippe VI. C’est une contrainte supplémentaire dans la règle de la masculinité : non seulement les femmes mais aussi les parents par les femmes sont exclus de la succession royale ; fruit d’un calcul politique de circonstance. Contestation d’Edouard III, début de la guerre de 100 ans. Les Valois cherchent à justifier à postériori la règle de masculinité : en 1358, un moine de Saint Denis, Richard Lescot, exhume un obscur article d’une loi du Ve siècle (la loi des Francs saliens) qui excluait les filles de la succession de la terra salica (terre salique, sorte de bien attaché à un lignage). Règle de succession privée longtemps oublié. A partir de la fin du XVe siècle les juristes français désignent sous la dénomination de loi salique l’ensemble des règles coutumières de dévolution de la couronne.
B/ La règle de catholicité
1589, assassinat d’Henri III, nouvelle crise de succession ; le roi n’avait aucun descendant direct et son frère François d’Anjou était mort en 1584 sans enfant. Le successeur désigné par les règles de dévolution devait être donc le chef de la maison de Bourbons mais Henri de Navarre était calviniste ; inadmissible pour le parti catholique de la Ligue : l’édit d’union signé en 1588 par Henri III et la Ligue exclue tout protestant de la succession au trône. A la mort du roi, les ligueurs proclament roi de France l’oncle d’Henri de Navarre, le cardinal de Bourbon sous le nom de Charles X. A la mort de ce dernier en 1590, la Ligue se tourne vers l’infante Claire Isabelle d’Espagne, petite fille d’Henri II par sa mère : double violation de la règle de masculinité (une femme descendante des rois par les femmes). Réaction du Parlement de Paris pourtant favorable à la ligue : 28 juin 1593, il prend un arrêt de règlement (arrêt Lemaitre) qui réaffirme la règle de catholicité mais déclare nul et non avenu toute décision prise « au préjudice de la règle salique » et autre loi fondamentale du royaume. Le but de l’arrêt politique : rappeler les droits d’Henri de Navarre tout en l’invitant à abjurer le protestantisme, ce qu’il fait le 5 juillet 1593.
II/ La Couronne, une institution autonome
A la fin du MA deux principes font de la couronne une institution autonome au sein de la monarchie :
– Son patrimoine est inaliénable.
– Les règles qui la régissent sont indisponibles.
A/ Le principe d’inaliénabilité
Pendant longtemps, les Capétiens ont vu le domaine royal comme un ensemble hétéroclite de droits et de propriétés qu’ils devaient entretenir pour augmenter leur patrimoine mais qu’ils pouvaient aussi céder et aliéner. Vision qui persiste toujours sous Philippe le Bel au XIVe siècle ; sous la pression de la guerre, le roi amené à solliciter de + en + souvent tous les sujets du royaume pour lever l’impôt, contrevenant à un principe ancestrale qui disait que le roi devait vivre du sien. L’idée se développe que la bonne gestion du domaine royal n’intéresse plus seulement le roi mais finalement le royaume entier puisque le roi demande au royaume de contribuer à l’effort de guerre.
En 1357, les Etas Généraux imposent au dauphin (futur Charles V) la première interdiction générale d’aliéner les biens du domaine, en échange de la levée d’un nouvel impôt. Principe qui limite la liberté du roi à disposer de ses biens sert au Français pour se soustraire à la clause de Brétigny (1360) qui laissait aux Anglais souveraineté sur une large partie du royaume de France. Le principe d’inaliénabilité est inséré dans le serment du sacre à partir de Charles V. Le roi est, non le propriétaire, mais l’administrateur du domaine qui appartient en propre à la couronne : chaque roi doit remettre ce patrimoine intact à son successeur. Consécration officiel en 1566 avec l’édit de Moulin (préparé par le chancelier Michel de l’Hospital) qui règlemente de manière définitive les aliénations au domaine en posant un principe et quelques exceptions.
B/ Principe d’indisponibilité
Il donne l’aspect constitutionnel aux règles de succession royale et permet d’assurer la continuité de l’Etat. Ce principe est révélé à l’occasion d’un évènement décisif pour la monarchie, le traité de Troie signé en 1420 entre le roi de France Charles VI et le roi d’Angleterre Henri V : traité qui écarte le dauphin Charles (futur Charles V) de la succession au trône de France et proclame l’adoption d’Henri V par Charles VI ce qui fait du roi d’Angleterre le seul héritier de Charles VI. Mais en 1419, le juriste nîmois Jean de Terrevermeille rédige un traité dans lequel il définit la succession royale comme un statut dont on ne peut pas librement disposer (s’impose à toute volonté individuelle qui cherche à les modifier) ; la succession à la couronne est d’ordre public donc : les règles de dévolution forment un ensemble indisponible. Théorie adoptée par l’entourage du dauphin futur Charles VII.
Ainsi lorsqu’en 1525 le roi François 1er prisonnier à Madrid (défaite de Pavie) prépare un décret d’abdication en faveur du dauphin, le parlement de Paris lui fait comprendre que cet acte serait contraire au principe d’indisponibilité (le roi ne peut pas renoncer à porter la couronne). Question d’indisponibilité liée à la continuité de l’Etat.
La notion de continuité est déjà en germe dans la législation de la fin XIV début XVe siècle : réduire la période qui sépare la mort du roi et le sacre de son successeur ; Charles V promulgue une ordonnance royale fixant la majorité royale à 14 ans. Avec Charles VI, deux ordonnances sur l’instantanéité de la succession royale. Principe de continuité dans l’adage « Le roi ne meurt jamais en France « , s’affirme à partir de 1498 et funérailles de Charles VIII par le rituel « Le roi est mort, vive le roi ». A l’aube de la Renaissance, la permanence de la personne royale était devenu la permanence de l’Etat lui-même.
Au XVIe siècle, les règles qui régissent la succession appelés lois du royaume avant de recevoir en 1575 la qualification de loi fondamentale (ordre juridique supérieur, celui de la coutume du royaume). Lois attachées à la dévolution et propriété de la couronne pouvaient être assimilées à une constitution monarchique par la stabilité que leur donnait la coutume : corps de règles connus de tous et auxquels le roi lui-même ne pouvait déroger.
De Bodin à Bossuet, les auteurs ont toujours insisté sur le fait que la monarchie de droit divin était avant tout légitime c’est-à-dire soumise aux lois (manifestation concrète de l’Etat de droit ?).
DEUXIEME INTERVENTION : LA NOBLESSE FRANCAISE ET LA COURONNE AUX XV-XVIIe SIECLES (Laurent Bourquin, Le Mans Université)
Introduction
Choix du mot « Couronne » plutôt que monarchie : entité regroupant à la fois une légitimité, une autorité légale et l’exercice concret d’un pouvoir.
Une noblesse intégrée à « l’estat et couronne de France »
Le monarque est le premier des nobles et la conduite du royaume est largement assurée par la noblesse. Au sein des conseils qui entoure le monarque, armée, états provinciaux …, la noblesse assure des fonctions essentielles.
L’entourage du souverain permet aux nobles d’exercer une influence très concrète sur sa politique, y compris sous Louis XIV.
Deux prismes déformants : noblesse rebelle d’une part, domestication curiale dans la seconde moitié du XVIIe siècle d’autre part; ils ne rendent pas compte des processus politiques complexes ; certes révoltes nobiliaires courantes du milieu du XVI au milieu du XVIIe mais à replacer dans un contexte rébellionnaire plus général qui touche l’ensemble de la société française.
La noblesse bénéficiaire d’une politique royale attentive à sa pérennité mais aussi l’objet d’un contrôle socio-politique qui suscite des réactions différentes au sein de l’aristocratie et de la petite noblesse provinciale.
I/ Une politique attentive à la société nobiliaire
A partir du milieu du XVe siècle, les légistes du roi de France commencent à rédiger et publier un corpus qui vise à définir ou redéfinir ce qu’est la noblesse.
A/ Redéfinir les contours du second ordre
Contexte : renouvellement de la société nobiliaire induit par la crise de 100 ans. Des lignages entiers ont disparu du XIVe au XVe siècle ou ont fusionné pour préserver leur capital ; des hommes d’armes parviennent à faire oublier leurs origines roturières en achetant une seigneurie.
La noblesse à la fin du MA ouverte est poreuse à l’égard de ceux qui adoptent son mode de vie, se renouvelle par lente acculturation.
Pour le roi, il s’agit d’encadrer ce processus afin qu’il n’y ait pas trop de roturiers qui échappent à la taille ; consolidation de la fiscalité du XVe siècle qui nécessite de distinguer ceux qui ne paient pas d’impôts et ceux qui doivent le payer.
Texte de 1445 (lettres patentes) précise les contours du groupe qui doit en bénéficier, basé sur un ethos, pas trop regardant sur les origines.
La fiscalité n’est pas le seul levier justifiant le corpus documentaire.
B/ Garantir les privilèges de la noblesse
Le droit de chasse est réservé à la noblesse en deux étapes :
1451 : accordé par Charles VII à tous les seigneurs
1516, une étape est franchie avec la grande Ordonnance sur les eaux et forêts dans laquelle François 1er accorde aux nobles seuls le droit de courir le gibier : on passe du critère de la seigneurie (la terre) à la noblesse (identité).
C/ Lier le service du Prince et la dignité nobiliaire
Edit de 1485 : anoblissement de la haute magistrature (notaires et secrétaires du roi) ; demeure longtemps une exception.
1644 : noblesse du premier degré accordée aux magistrats du parlement, étendue ensuite à la chambre des comptes, grand conseil. L’anoblissement des grands magistrats est donc un processus lent
II/ Prendre la parole et les armes
Objet de toutes les attentions, la noblesse exprime volontiers son mécontentement par la parole, la plume ou les armes.
A/ Le « devoir de révolte » aristocratique
Arlette jouanna, Le devoir de révolte, a proposé une analyse de la culture et pratiques nobiliaires qui permettent expliquer cet apparent paradoxe : la conception aristocratique d’un pouvoir partagé avec le roi, fondé sur l’écoute, le dialogue.
Les prises d’armes des aristocrates obéissent à un rituel immuable :
Dans les provinces où ils possèdent des terres et exercent un commandement (Guise en Picardie et Champagne, Condé en Bourgogne), elles consistent à s’emparer des villes en s’appuyant sur des réseaux qui propose clientèle disposée à les suivre dans leur combat.
Limites :
Coordination à l’échelle du royaume, obstacles insurmontables (géographie ; autonomie dont jouit chaque aristocrate dans son territoire).
Se heurtent à des nobles restés fidèles à la couronne.
Ils sont rarement seuls à prendre les armes, rébellion plus large qui les dépasse et dont ils dépendent (exemple des guerres de la Ligue qui sont aussi rebellions ecclésiastiques, urbaines)
Le devoir de révolte des aristocrates vise d’abord à dominer le conseil du roi.
La fragilité des contestations aristocratiques apparaît clairement quand on dresse le bilan des prises d’armes : inférieures aux troupes royales (moins nombreuses, moins équipées et entrainées), minées par désertions et commandement peu efficace.
B/ Une autre politisation de la petite noblesse…
Peu de moyens pour faire la guerre sur la longue durée, prudente neutralité.
Exemple : vers 1630, au moment du tour de vis fiscal de Richelieu, les petits nobles prennent la tête de la contestation, aident leurs paysans, leur fournissent des armes (révoltes paysannes) : défense de leurs intérêts propres, rencontrent succès: la couronne doit souvent reculer face à la détermination des insurgés conduits par leurs seigneurs : révolte des Nu-Pieds en 1639 qui pousse le roi à retirer projet de gabelle en basse Normandie.
C/ …qui s’autonomise au milieu du XVIIe siècle
6 février 1651, plusieurs centaines de nobles venus de toute la France se réunissent à Paris dans une grande assemblée. Evènement inouï, jamais au cours de l’histoire la noblesse ne s’était rassemblé ainsi en toute indépendance à l’égard des grands et de la couronne pour discuter ainsi de ses revendications. Gentilhommes ruraux hostiles à Mazarin (comme les aristocrates) mais ils réclament aussi la diminution des impôts pour leurs paysans.+ pouvoir faire du commerce comme le tiers-état + convocation régulière des Etats-Généraux. L’assemblée décide de se dissoudre après sept semaines suite à la promesse de la convocation des Etats-Généraux.
Pacification des relations entre la noblesse et la couronne dans la deuxième moitié du XVIIe siècle.
III/ La formalisation d’un jeu d’échanges
A/ La noblesse, relais politique dans les provinces
Sur frontières nord-est du royaume, en Champagne, Picardie, Bourgogne, le roi de France s’appuie sur individus originaires de ces territoires sur lesquels il peut compter (commandements militaires locaux, responsabilités administratives, fonctions judiciaires) ; la noblesse seconde joue rôle fondamental pour sécuriser frontières sensibles proches de la capitale = fidélisée grâce à des distinctions de cours, permet de contrer les soulèvements aristocratiques.
Les travaux sur les tentatives de pacification pendant les guerres de religion ont montré que la noblesse a joué un rôle dans les expériences de coexistences locales confessionnelles.
Dans sa thèse sur les grands édits de pacification de 1560, Jérémie Foa montre des commissaires chargés de cette fonction travailler avec les édiles municipaux mais aussi avec les nobles qui sont capables d’apporter leur concours à l’apaisement des conflits ; maintien de l’ordre public central pour eux. La politique de conciliation religieuse menée par Catherine de Médicis et Michel de l’Hospital répond donc largement aux attentes de la noblesse en la matière.
Le jeu d’échange sur lequel se fonde en partie la construction de l’Etat monarchique est fondamental dans l’armée.
B/ Soutenir les carrières militaires
L’ethos nobiliaire est idéalement de nature guerrière + le souverain a besoin de cadres pour conduire ses troupes ; la carrière militaire est une perspective évidente pour de nombreuses familles.
A partir du milieu XVIIe siècle, on observe une paupérisation de la noblesse qui se mesure de différentes façons : dans le nord-est, le revenu des seigneuries s’effondre pendant at après la Fronde du fait de la dégradation des produits agricoles et des saignées provoquées par la guerre et la peste dans les communautés villageoises.
Louvois multiplie les initiatives destinées à multiplier les carrières dans la petite noblesse.
Création de nouveaux outils destinés à entériner une certaine fermeture du groupe et d’autre part de préserver les intérêts fiscaux de la couronne.
C/ Le roi source de toute noblesse
A la fin du règne de François 1er, déclaration condamnant ceux qui ne peuvent pas prouver leur noblesse à payer la taille : les condamnations pour usurpation se succèdent.
Une étape décisive est franchie par Louis XIV dans différentes déclarations : il s’agit de produire les preuves écrites de la dignité nobiliaire(1657 et 1661), tournant dans le contrôle administratif de la noblesse.