La CPI, l’Ukraine et Vladimir Poutine : voilà trois acteurs que tout semble opposer et pourtant …

Peut-on, en pleine guerre, mettre l’un des principaux protagonistes, à la tête de l’un des plus importants arsenaux nucléaires, au ban des nations ? Vladimir Poutine, accueillant Xi Xinping pour trois jours, demandera-t-il un soutien particulier à son partenaire de circonstance ? Peut-on encore espérer faire la paix, c’est-à-dire s’asseoir à la même table qu’une personne placée sous mandat d’arrêt international, avec quelque espoir de parvenir à une solution pérenne, mettant fin à un conflit entamé voilà prêt de 9 ans ?

 

Les faits : une décision historique

 

Le procureur général de la CPI, Karim Khan, le 17 mars dernier, est intervenu de façon limpide quant aux enjeux posés par ce tournant majeur dans les relations internationales.

 

Au-dessus de tout donc, le droit devant s’appliquer à tous, y compris pour un chef d’État d’une puissance majeure, dès lors qu’il est reconnu que ce dernier contribue à des crimes de guerre. Le texte a été salué en Ukraine et de façon globalement positive en Occident[1].

 

 

Grâce au travail de Cécile Dunouhaud pour Cliotexte, le communiqué de presse est accessible ici :

 

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Notons que ce texte vise aussi la commissaire russe aux droits de l’enfant Maria Lvova-Belova. Mais dans l’absolu que risque Vladimir Poutine ? Il faut distinguer deux niveaux d’analyse : la théorie et la pratique :

-en théorie, Poutine risque juridiquement une arrestation s’il visite l’un des 123 États ayant ratifié le Statut de la CPI. C’est un fait inscrit dans les textes qui fait que, même si ce si cela arrive, son caractère légal sera incontestable, y compris par la Russie, sauf à plaider la mauvaise foi.

-en pratique, la situation est différente. Il ne faut pas perdre de vue plusieurs aspects et pas des moindres puisque le plus souvent la Realpolitik prend le dessus. En effet, on peut difficilement imaginer que Poutine décide de se rendre dans un pays où il risque d’être arrêté, même si celui-ci a ratifié le statut de la CPI, car tout dépend de la bonne volonté des donc cette humiliation internationale n’est pas envisageable sauf coup de Trafalgar improbable et raisons géopolitiques nous échappant. Seconde raison : des précédents existants montrent les limites de la justice internationale même un précédent peut être évoqué : celui de l’ex-président soudanais Omar el-Béchir, qui a pu visiter l’Afrique du sud ou la Jordanie alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt du CPI alors que le Soudan n’a pas ratifié le Statut de Rome. Son cas est toujours pendant d’ailleurs puisqu’il est détenu au Soudan mais pas encore remis à la Cour pénale internationale, même si la procédure a été engagée en 2021 en pleine pandémie. Par contre d’autres personnalités du régime ont été arrêtées ce qui laisse penser que Maria Lvova-Belova n’est pas à l’abri d’une arrestation effective à moyen terme.

Souvent, la Cour a été accusée d’impuissance et d’exercer une justice à deux vitesses. Or, pour la première fois elle met en accusation une personne en charge de la plus haute fonction d’État d’une puissance membre du Conseil de sécurité et nul ne sait, ou parie pour le moment (21 mars 2023) si la procédure va aboutir. Le pas franchi a donc été conséquent et constitue à la fois une première et un précédent. Elle a le mérite d’exister si le lecteur se place simplement du côté du juriste international ou de la CPI. Dans tous les cas, le pas franchi est une avancée capitale. Rappelons enfin que la justice a toujours été lente factuellement à se mettre en place, car elle suppose des règles communes admises par tous et l’échelle géographique envisagée par la CPI augmente la difficulté.

Quelles réactions à Moscou ?

 

Moscou a immédiatement réagi face à ces annonces en valorisant la visite de Vladimir Poutine en Crimée, pour célébrer le neuvième anniversaire de l’annexion russe, le 18 mars 2014[2]. L’ancien président de la fédération de Russie et premier ministre de Vladimir Poutine, Dimitri Medvedev, a été nettement plus clair.

 

 

 

Un mandat ayant la valeur du papier toilette ; les choses sont claires. De la même façon, le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a réagi dans plusieurs médias de façon toute aussi limpide :

« La question même [soulevée par la CPI] est scandaleuse et inacceptable. La Russie, comme plusieurs autres États, ne reconnaît pas la compétence de cette cour et toute décision de ce type concernant la Russie est donc nulle et non avenue d’un point de vue juridique ».

 

La Russie en effet n’a pas ratifié le statut de Rome sur la base duquel la CPI a été créée, tout comme les États-Unis. L’Ukraine est dans le même cas, mais elle a reconnu la compétence du procureur de la CPI pour gérer cette affaire. La Chine quant à elle ne l’a pas signé du tout.

La Russie vient d’ailleurs d’ouvrir une enquête pénale contre le procureur et trois juges de la CPI[3]. Le conflit sur la capacité à imposer ses normes et ses lectures du droit international bat son plein.

 

Quel impact pour la guerre en Ukraine ?

 

Il est bien entendu difficile à se jour de se positionner. Dans un excellent article, Julian Fernandez pour « Le Rubicon » propose de nombreuses pistes de réflexions tout à fait stimulantes.

Ce site mérite vraiment qu’on s’y attarde et d’être le plus largement possible diffusé. Voici une présentation des auteurs de ce projet :

Lancé le 9 décembre 2021, Le Rubicon est une initiative internationale, portée par le Réseau d’analyse stratégique (RAS), au Canada, et l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) et le Centre Thucydide de l’Université Panthéon-Assas, en France. Chacune de ces institutions fondatrices contribue au projet en fournissant des ressources humaines : non seulement les co-directeurs du Rubicon mais aussi les co-éditeurs, qui sont trois postdoctorants du RAS, de l’IRSEM et du Centre Thucydide (dans le cas de l’Université Panthéon-Assas, il s’agit d’une création de poste, en cours). Par ailleurs, le RAS a également bénéficié d’un financement du ministère de la Défense nationale du Canada à travers le programme MINDS, qui a servi à créer le site internet.

 

 

Julian Fernandez propose des éclairages tout à fait accessibles permettant de mesurer le tournant de ce texte. Le spécialiste propose deux axes principaux : « une indéniable rupture historique et stratégique » et « un immense pari juridique et politique ».

 

La conclusion, dont voici un extrait, permet de mesurer allègrement la qualité de cette réflexion et la nécessité qu’elle circule le plus possible pour essayer de comprendre pleinement ce qui se joue ici.

Le bénéfice immédiat est indéniable, la CPI se place au centre de l’échiquier. L’accusation portée contre Vladimir Poutine « démonétise » quelque peu l’intérêt d’une juridiction supplémentaire, par exemple, même si la question du crime d’agression demeure. Simplement, n’y a-t-il pas péril à lancer publiquement un tel mandat d’arrêt quand ses perspectives d’exécution apparaissent aussi faibles ? Encore un sabre de bois ? [ …] La mise en cause de Vladimir Poutine renvoie en miroir à l’absence totale de poursuites contre d’autres dirigeants aux responsabilités pourtant manifestes dans un certain nombre de crimes commis en Afghanistan, en Irak, en Palestine, etc. Ne pas choisir une indignation, tenir tous les bouts, savoir penser contre soi-même : c’est aussi ici que les leçons de cette aventure en terre inconnue devront être tirées.

 

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J’ai fait le choix de me concentrer sur les effets liés à la dimension géopolitique des relations internationales. En effet, le deux poids deux mesures est d’ores et déjà un angle d’attaque d’un partenaire essentiel pour l’équilibre du monde tel qu’il est en train de se construire, et pour la Russie encore plus face à sa mise au ban des nations occidentales : la Chine.

 

La Chine, Moscou et la CPI, même combat ?

 

La Chine aux côtés de la CPI pour accélérer la partition de la Russie ?

Vous pourrez retrouver le document original ici

 

Ces derniers jours, les réseaux sociaux se sont emportés autour d’une carte censée accompagner l’idée que la Chine aurait d’ores et déjà fait un trait sur Vladimir Poutine. D’ailleurs La consultante ukrainienne Anna Poedie a elle-même relayé cette « information ».

 

 

Comme l’explique très simplement la journaliste Samira El Gadir, tout ceci n’est qu’une infox de plus dans cette guerre des récits. Loin de laisser la Russie seule, Xi Xinping profite de son voyage à Moscou pour marteler la proximité de vue des deux puissances, à commencer sur le dossier de la CPI.

 

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Face à la CPI, le Kremlin n’est pas seul

 

La remise en cause de l’impartialité de la CPI par la Chine

 

Wang Wenbin, porte-parole de la diplomatie chinoise a eu l’occasion de marteler devant les journalistes des positions tout à fait limpides :

« La Cour pénale internationale doit adopter une position objective et impartiale, respecter l’immunité de juridiction des chefs d’État en vertu du droit international » L’institution doit « éviter la politisation et la politique du deux poids deux mesures » à propos de la visite de Xi Xinping à Moscou « Les deux parties (…) vont pratiquer un véritable multilatéralisme, promouvoir la démocratie dans les relations internationales, construire un monde multipolaire, améliorer la gouvernance mondiale et contribuer au développement et au progrès du monde », « La Chine maintiendra sa position objective et juste sur la crise ukrainienne et jouera un rôle constructif dans la promotion de pourparlers de paix. »

 (source AFP)

 

Ce n’est pas la première fois que Wang Wenbin aborde la question de la CPI de façon critique. Le 25 avril 2022 il avait même été beaucoup plus virulent en la matière, face aux États-Unis, soulignant le caractère de traitement très inégal de l’institution (intégralité de la conférence de presse ici).

 

La Chine rejette fermement l’ingérence sans fondement des États-Unis et de l’UE dans les affaires intérieures de la Chine, ainsi que le dénigrement et la diffamation injustifiés à son encontre. Nous avons déposé une représentation solennelle auprès des deux parties et avons clairement exprimé notre position solennelle.

Les États-Unis prétendent maintenir le rôle central de la Charte des Nations unies, mais il est clair pour tout le monde que les États-Unis font tout le contraire. Lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies a refusé d’autoriser le recours à la force par les États-Unis en République fédérale de Yougoslavie, en Irak, en Syrie et dans d’autres endroits, les États-Unis et l’OTAN ont ignoré l’ONU, ont mené des guerres et se sont engagés dans une ingérence gratuite contre des États souverains.

Les États-Unis prétendent respecter les droits de l’homme, mais les guerres d’agression lancées par les États-Unis et leurs alliés dans des pays comme l’Afghanistan et l’Irak ont tué plus de 300 000 civils et fait de plus de 26 millions de réfugiés. Pourtant, personne n’est tenu pour responsable des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Les États-Unis ont même annoncé des sanctions contre la Cour pénale internationale qui enquêterait sur les crimes de guerre de l’armée américaine.

 

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L’approche du porte-parole de la diplomatie chinoise est à tout le moins rapide car en réalité la CPI a bien enquêté sur les potentiels crimes de guerre en Afghanistan, au grand dam de Washington, qui a lancé une procédure sans équivoque.

Le 2 septembre, le Secrétaire d’État américain, Michael Pompeo, a annoncé lors d’une conférence de presse, à Washington, l’imposition de sanctions économiques contre la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, accusant la Cour de « tentatives illégitimes de soumettre des Américains à sa juridiction ». M. Pompeo a porté cette accusation contre la CPI alors que le tribunal siégeant à La Haye, au Pays-Bas, vérifie si les forces américaines ont commis des crimes de guerre présumés en Afghanistan.

 

Article à retrouver ICI

Face à la CPI, la réalité d’un rapprochement de deux puissances partageant des intérêts communs

 

Il semble clair que la décision de la CPI est majeure pour aborder les crimes de guerre sous un nouveau jour. Dans ce sens il y aura un avant et après 17 mars 2023 et il y aura des conséquences. Mais, de façon tout aussi claire cette décision ne semble pas pouvoir avoir un impact immédiat sur la poursuite de la guerre ou sa résolution pacifique. Même si parler d’alliance parait sans doute trop fort, Pékin et Moscou ont des intérêts convergents. Leur opposition face à l’Occident, et donc aussi face au CPI qui peut être perçu comme un outil de pouvoir dirigé contre eux, semble à ce jour claire.

 

Cerise sur le gâteau, alors qu’il est menacé d’être arrêté en dehors de la Chine, le président russe vient de recevoir une belle invitation …

 

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Conclusion : un texte  de droit majeur confronté à la dure réalité des Relations Internationales

 

Qu’il s’agisse du droit international, de l’étude des rapports de forces qui sont en train de se nouer à travers la guerre en Ukraine, cet exemple est donc un excellent support de réflexion géopolitique ainsi qu’un cas à aborder dans le cadre de l’option Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain qui ouvre les élèves de Terminale aux subtilités du droit international.

 

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Notes :

[1] https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-la-cpi-emet-un-mandat-d-arret-contre-vladimir-poutine

[2] https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/crimee/guerre-en-ukraine-vladimir-poutine-en-deplacement-en-crimee-pour-l-anniversaire-de-l-annexion_5720345.html

[3] https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2023/03/20/mandat-darret-contre-poutine-moscou-ouvre-une-enquete-contre-des-magistrats-de-la-cpi-SGUH52VHB5C5VE6PJBLAXIDKM4/

 

Pour prolonger :

Le logo et la carte de la CPI viennent du site Wikipedia

Pour le cas du Soudan, le site de la CPI fait le point ICI