Ce cours sur la Géopolitique de l’Europe destiné à des classes préparatoires rappelle un certain nombre de fondamentaux sur le vieux continent, sur la construction européenne et ses péripéties, qui vont de sa fondation pendant la période de la guerre froide jusqu’à ses élargissements successifs, avec un projet européen qui doit être repensé. Réorganisé dans la perspective des concours de l’armée de terre, ils sera adapté aux personnels qui souhaitent acquérir des bases solides dans la perspective de l’oral du général et de la préparation au diplôme militaire supérieur.
« Il n’est jamais aisé de fabriquer un État, sans révolution pour savoir ce dont on ne veut plus, sans guerre pour marquer son identité par rapport à un ennemi et surtout pour délimiter un territoire reconnu sans conteste par tous.
C’est dans l’espace exigu et flou qui sépare de véritables logiques géopolitiques anciennes et un entrelacs juridique fluctuant que se situe l’Europe.
La logique géopolitique est celle de la continuité ou plutôt de l’illusion de continuité. De contiguïté en contiguïté, chaque État de cet ensemble de péninsules européennes peut se définir comme étant lié à son voisin, parce que la proximité crée une affinité géographique presque déterminante, celles des frontières qu’il faut protéger ou ouvrir, celle de la richesse qu’on reçoit, qu’on dispense ou qu’on partage en bénéfice.
L’Europe n’est en fait qu’un immense système de voisinage dont personne ne sait ou plutôt dont aucun pouvoir ne veut définir la limite, et c’est la toute la problématique.
Tant qu’on ne sait pas où est l’Europe, on ne sait pas ce qu’est l’Europe. Dès lors, de très nombreux pays, en fonction de liens économiques, de mythes historiques ou reprenant tout simplement la logique de voisinage, ont vocation à demander l’accès à la communauté de lieux et de biens. Avec la terminologie assez malheureuse « d’élargissement » Un Etat ne s’élargit pas, il intègre, il assimile, il fédère, au pire il conquiert. L’idée d’élargissement montre à quel point le concept d’Europe est mal circonscrit. , l’Union européenne doit faire face à son absence de définition géographique, historique et culturelle.
Qui accepter ? Pour quelles raisons ? Quand ? Jusqu’où s’étendre ?
Voilà autant de question qui ne sont réglées qu’au coup par coup, provoquant à l’occasion des débats politiques et journalistiques qui n’ont qu’assez peu d’écho dans les opinions publiques ».
De ce continent flou, de ces unions déséquilibrées, se manifeste un acteur incontournable du monde d’aujourd’hui, mais dont la partition est quasi incompréhensible, autant aux puissances étrangères qu’aux Européens eux-mêmes.
Avant d’aborder les thématiques précises qui concernent la structure et les dynamiques européennes, devant la difficulté de produire UNE définition de l’Europe (qui ne se réduit pas à l’Union européenne même si cette dernière en est devenue l’acteur principal), on peut commencer par questionner, par la négative, ce qu’est l’Europe, au travers de 3 questions (avec un clin d’œil au pamphlet de l’Abbé Sieyès) Qu’est ce que le Tiers-Etat, 1789
1/ Qu’est-ce que l’Europe n’est pas ?
L’Europe n’est pas un continent L’Europe n’est pas plate L’Europe n’est pas une civilisation L’Europe n’est pas un État L’Europe n’est pas un centre
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2/ Qu’est-ce que l’Europe essaye d’être ?
Un projet (programme de 1ere année) Un empire Un marché
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3/ Qu’est-ce que l’Europe devient au 21e siècle ?
Un archipel Le témoin voire l’archive du « monde d’avant » Une maille résistante du réseau planétaire |
Puisqu’il s’agit plus d’une représentation que d’une réalité, plus d’une cartographie que d’un territoire, plus d’un corpus juridique que d’un pouvoir, pour savoir de quelle Europe il s’agit, il faut d’abord tenter de la dessiner.
1. Une péninsule continentale…
2. …Flanquée de presqu’îles…
3. …Et parsemée d’archipels
Une stratigraphie européenne :
Pourquoi parler de stratigraphie (analyse des couches qui structurent un sol) ? D’abord parce que l’Europe est peut-être le territoire le plus palimpseste du monde. Parce que la superposition des formes de peuplement depuis le néolithique y est intense, fondamentalement du fait de la position isthmique et finistérienne de ce sous-continent. La continuité de l’Asie central aux grandes vallées de l’extrême occident européen (Loire, Seine) a facilité les migrations des peuples nomades (celtes, Thrace, Ottoman, hun) tout autant que les nombreux isthmes et détroits européens ont organisé le grand brassage des populations sous l’Antiquité, au Moyen-âge comme à l’époque moderne. Cet espace qui fut pendant longtemps un des plus dense du monde, a développé toutes les structures de l’Etat possibles. Les superpositions territoriales, le déplacement constant des frontières, ont accentué cet empilement d’histoires, d’identités, de réseaux, qui rejouent tous en profondeur à la moindre crise ou à la moindre accélération politique.
La difficulté à habiller l’Union européenne d’un costume commun vient de cela : le craquèlement entre l’Europe du Nord et celle du Sud, l’éclatement yougoslave, la spécificité de l’espace rhénan, jusqu’au comportement électoral qui sépare le Léon du Trégor 2 pays du Finistère breton, le Léon aisé et conservateur votant traditionnellement à droite, le Trégor, limitrophe, beaucoup plus modeste votant traditionnellement à gauche. en Bretagne, sont lisibles dans les « strates » topographique, sociale, historique de l’Europe. Le projet européen ne peut s’appuyer que sur une articulation de ces strates, à condition de les comprendre et de les connaitre. Toute simplification ou toute approche superficielle de l’Europe ne peut conduire qu’à des incompréhensions, débouchant nécessairement sur des tensions qui, l’histoire l’a souvent montré, peuvent être extrême.
On distinguera 4 strates pour appréhender la structure de l’Europe :
• La strate «morphologique » : un continent péninsulaire, un archipel continental
• La strate « civilisationnelle » et les quatre aires européennes
• La strate étatique : les formes de l’État en Europe et ses conséquences géopolitiques
• La strate territoriale : réseaux et flux contre identités et régionalismes
1. Une strate morphologique : un continent péninsulaire, un archipel continental
1. 1 L’Europe n’est pas un continent…
Géographiquement, l’Europe n’est pas un continent mais elle l’est sur le plan politique.
• De la continentalité…
Tout d’abord rappelons que la dimension continentale (les 3, 5, 7… continents) est la première approche géographique, celle qu’on apprend dès l’école primaire. Elle est cependant presque tombée en désuétude face à des approches nationales et surtout régionales. La notion de continent apparaît « réductrice » tant elle faisait abstraction des réalités locales (paysage, espace urbain, terroir), des frontières et des nombreuses formes d’appropriation de l’espace. Elle ne semble plus être le reflet des grandes ruptures géographiques du monde qui traversent désormais tous les continents ; qu’il s’agisse des ruptures idéologiques (« guerres froides ») économiques (pays développés, pays sous-développés, NPI) ou politiques, avec la disparition des grands empires construits au XIXe siècle. On notera que pour ces derniers, le contrôle des espaces à l’échelle continentale était un objectif majeur, que cela concerne un continent étranger (lutte franco-britannique en Afrique) ou du contrôle de son propre continent (conquête américaine de l’Ouest ou marche vers l’Est russe). C’est notamment l’assimilation continent-colonisation qui fut l’un des éléments de la remise en cause récente du concept.
Paradoxalement, la recomposition de grands ensembles, sous l’impulsion des stratégies économiques mondiales de grandes entreprises (secteur financier, automobile, touristiques), relance les problématiques continentales. Ces stratégies sont autant économiques (notamment de la part des firmes multinationales qui ont des approches marketing continentales, comme la Cie Disney avec Disney Europe ou Disney Asie) que géopolitiques (Alena, Union européenne, Organisation pour l’Unité Africaine). De fait, le continent est une réalité géoéconomique ou géopolitique autant qu’une illusion cartographique. L’existence de masses continentales (« terres qui se tiennent ») ne saurait être remise en cause, cependant tout dépend du degré de continuité spatiale provoqué par la continuité terrestre. La perception continentale est avant tout politique, dans l’idée de pouvoir générer une continuité d’un pouvoir. Ainsi, pour les Etats-Unis, il n’existe qu’un continent américain (doctrine Monroe), opinion non partagée par les Brésiliens ou les Argentins…
Les traits caractéristiques de la « continentalité »
On peut cependant définir les traits caractéristiques de la « continentalité », qui auront un impact sur l’organisation de l’espace. La taille est bien évidemment la première des originalités du continent Asie 42,3 millions de km², Amérique du Nord 21 millions de km², Antarctique 14 millions de km². Cela pose une vraie question pour l’Europe non délimitée (Europe 10,5 millions de km2 de « l’Atlantique à l’Oural »). Cette immensité pose deux problèmes, celui de l’occupation humaine et de la distance. Cela se manifeste par la faible densité de population à l’échelle continentale (les deux Amériques ont une densité globale inférieure à 20 habitants au km2 alors que l’Europe est extrêmement dense avec 114 hab./km² pour l’EU), ainsi que par une très forte inégalité de peuplement. La massivité continentale est en effet un obstacle à l’installation et à la pénétration humaine. L’approche est nécessairement maritime (d’où une forte littoralisation des activités et des hommes) et la pénétration est facilitée par les réseaux hydrographiques qui deviennent les principaux axes de développement.
L’idée qu’on aborde un continent par son pourtour et qu’on le pénètre par ses grands bassins hydrographiques est valable partout (Nil/Afrique Yangzi/Huang He/Chine Gange/inde, Mississipi/Etats-Unis, Amazone/AS) mais est plus relative pour l’Europe tant cette dernière est morcelée et séparée de zones montagneuses. Dans ce contexte géographique, les points de passages obligés et les rétrécissements de terres (isthmes) ont des rôles stratégiques majeurs (Manche/Pas de Calais, Baltique/Kattegat, Détroit de Sicile, Gibraltar…) contrairement aux grands axes transcontinentaux américains, africains ou asiatiques.
La difficulté à maîtriser l’espace
La difficulté à maîtriser l’espace lorsqu’il est immense est une gageure imposée aux sociétés humaines et notamment aux « Etats continentaux » comme le Canada, les Etats-Unis, le Brésil, l’Australie la Chine, l’Inde ou la Russie. Ils y répondent de plusieurs façons. La question de la distance est « résolue » par des infrastructures titanesques (barrages immenses comme celui des trois gorges en Chine, voies ferrées de plusieurs milliers de km). Au second problème qui est celui du contrôle des « marges » répond une délocalisation de populations sous forme de peuplements pionniers (Russes de Sibérie et du Kamchatka, Chinois du Xinjiang, Américains en Alaska, fronts pionniers brésiliens autour de Manaus). Enfin, la superficie impose une organisation spatiale originale, elle demande des points de repère. Le meilleur moyen de contrôler une vaste zone est de se situer au centre de celle-ci. La continentalité implique donc un processus de centralisation de l’espace.
C’est pour cette raison que le Brésil s’est doté d’une capitale au cœur du pays (Brasilia) ou que Moscou était qualifiée de « méditerranéenne » (au centre des terres) au XIXe siècle. C’est cette centralité qui permet le développement de zones urbaines comme Denver (États-Unis) ou Novossibirsk et Irkoutsk (Russie). Malgré le développement de zones littorales, les axes marchands, les décisions politiques, les infrastructures sont orientés vers l’intérieur (exemple de la Chine où le bassin de peuplement le plus important est le Sichuan, malgré la croissance économique des côtes du Shandong).
Ce processus de centralisation est au cœur des recompositions continentales actuelles.
L’Europe échappe très largement à ces problématiques continentales, sauf pour certains de ces Etats qui géographiquement sont continentaux. C’est le cas de l’Allemagne qui peut être (avec la Russie) le seul Etat européen à avoir une représentation et une stratégie continentale de l’Europe. Il faut dire que dans un monde où la taille semble faire la différence, le fait d’être perçu comme une zone continentale est lié à la notion de puissance. Cela permet en outre, après la fin des idéologies qui a marqué du siècle dernier, de s’inventer un discours fédérateur : « nous sommes du même continent donc nous avons les mêmes intérêts ».
Le cas de l’Europe est très particulier car elle échappe concrètement à a géographie continentale, mais le discours sur l’Europe en est épris.
• L’absence de limite géographique : de l’Atlantique à l’Oural ou du Groenland aux Marquises
On peut parler de véritable invention du continent européen, qu’on peut même dater des années 1740, quand Vassili Tatitchev, géographe officiel de Pierre le Grand (1689-1750), place sur l’Oural la limite entre Europe et Asie (auparavant sur le Don). Aux plans physique, politique et culturel, ces modestes reliefs ne constituent aucune zone de rupture. Déjà, l’Empire russe recouvre l’Asie septentrionale et s’étend jusqu’à l’océan Pacifique. Ce découpage relève uniquement du dessein géopolitique. L’idée directrice est de poser la Russie en empire, doté d’un centre et de périphéries. Une fois l’Europe arbitrairement délimitée par l’Oural, la Russie se trouve à cheval sur deux continents, la Sibérie constituant le substitut aux possessions outre-mer des monarchies impériales européennes. Cela permet de décaler le centre de gravité de l’Europe (et du monde) de l’Ouest vers l’Europe centrale, de faire de la Russie une puissance mondiale pivot. Cette délimitation sera soutenue par Bismarck, le 2e puis le 3e Reich pour exactement les mêmes raisons, à savoir faire de l’Europe centrale le pivot du continent le plus développé du monde, participer au jeu des puissances, décaler le centre de gravité de l’Europe le plus à l’Est possible et bien évidemment, contrôler le heartland…
Quand le Général de Gaulle utilise la même délimitation de l’Europe, c’est pour des raisons assez différentes mais qui restent purement géostratégiques. Prenant acte de la rupture sino-soviétique, il mise sur les ferments d’indépendance qu’il croit pressentir à l’est du rideau de fer et imagine un ordre continental fondé sur l’entente Paris-Moscou. Dans sa vision des choses, l’URSS perpétue la Russie d’antan, prétendument liée à la France par une « sympathie séculaire » et une « affinité naturelle ». Par ailleurs, il estime que la Sibérie et l’Extrême-Orient russe reviendront à la Chine… Il est persuadé que la formation d’un système de sécurité transeurasien, avec la France et l’URSS pour piliers, permettrait de conserver le contrôle de la question allemande. « Puisque la France n’arrivait pas à prendre l’ascendant sur l’Allemagne dans le cadre du partenariat franco-allemand et des Six, explique Georges-Henri Soutou , elle le ferait dans le cadre de l’Europe de l’Atlantique à l’Oural avec l’aide de l’URSS ».
C’est un retour à l’esprit du pacte franco-soviétique de 1944, une réalité que ne partagent absolument pas les Soviétiques (qui préfèrent une influence soviétique de Brest à Vladivostok avec la Russie comme seule puissance).
Ces derniers continuent d’utiliser la limite inventée par eux pour justifier de l’intervention en Ukraine, en Biélorussie et en mer baltique (avec la stratégie des gazoducs fig.2).
A côté de cela, avec les anciennes colonies de certains de ses Etats devenues des RUP et la création des territoires maritimes depuis la convention de Montego Bay, l’Europe représente bien plus un réseau maritime planétaire qu’un continent terrestre. Les ZEE de tous les Etats de l’Union européenne représentent 25 millions de Km².
L’Europe, la puissance et la mer
L’économie européenne gère aujourd’hui la plus grande flotte marchande du monde.(fig. 3). En dehors des 22 RUP et PTOM , l’Union européenne comporte a minima 1350 iles et archipels représentant près de 80 millions d’habitants, auxquels il faudrait ajouter ceux des pays d’Europe hors union (comme la Norvège, l’Islande).
L’Union européenne différencie deux statuts de territoires ultramarins : les Régions Ultra Périphériques (RUP) pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte et Saint-Martin. Les Açores, Madère les Canaries sont soumises au droit européen, qui prend toutefois en compte leurs spécificités ; Et les Pays et territoires d’outre-mer (PTOM) comme la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres Australes et Antarctiques Françaises, Wallis-et-Futuna ainsi que 7 autres PTOM qui relèvent constitutionnellement du Danemark (1) et des Pays-Bas (6), les 12 PTOM britanniques sortant de fait de l’accord avec le Brexit. Les PTOM ne font pas partie intégrante de l’Union européenne mais bénéficient du FED. Les deux statuts sont « perméables » comme pour Mayotte passée de PTOM à RUP en 2014 (devenue département en 2011).
Les ZEE européennes sont d’ailleurs aujourd’hui des enjeux stratégiques ou des espaces de conflits non négligeables, à l’exemple des conflits permanents concernant les zones de pêche (exemple fig.4)
Histoire de la politique commune de la pêche
Accord sur le Brexit : les Européens ont lâché du lest sur la pêche
Selon l’accord signé jeudi entre Londres et Bruxelles, les Européens renoncent à 25 % de leurs quotas de pêche dans les riches eaux britanniques. Le gouvernement français a promis ce vendredi des aides pour accompagner ses pêcheurs.
L’UE pêche l’équivalent de 650 millions d’euros par an dans les eaux britanniques. (Kirk Glyn/AFP)
Par Les Echos Publié le 24 déc. 2020
C’était l’une des pierres d’achoppement des négociations. Dans le cadre de l’accord post-Brexit acté jeudi , l’Union européenne va transférer au Royaume-Uni 25 % de la valeur des produits pêchés dans les eaux britanniques par les flottes européennes, à l’issue d’une période de transition jusqu’en juin 2026, a indiqué un haut responsable européen.
• L’absence de continuité spatiale : « l’Europe n’est pas plate »
Sa caractéristique majeure est le morcellement. Les reliefs européens sont un élément majeur d’éclatement spatial, même s’ils sont extrêmement aménagés. Ils constituent de véritables isthmes à l’intérieur d’un archipel continental morcelé. L’Europe est donc compartimentée par des petites chaînes de haute altitude (Alpes, Carpates, Balkans, Spitzberg, fig.5), autant que par un émiettement en entités péninsulaires (scandinave, balkanique, italique, ibérique).
Les montagnes couvrent 40% du territoire de l’UE, avec des records pour l’Autriche et la Grèce (plus de 75% du territoire) à l’opposé des Pays-Bas et du Danemark (plats). Elles regroupent 80 millions d’habitants.
L’idée de massivité induite par la notion de continent est ici malmenée. Cet univers péninsulaire, disséqué, rompt avec l’image très exagérée de l’unité géographique de l’Europe. Il y a là une grande différence de structure spatiale avec par exemple, le continent nord-américain pour lequel le principe de continuité et de continentalité a du sens. En termes géographiques, l’Europe n’est qu’une bande de terre étroite flanquée d’excroissances plus ou moins émiettées. (fig.5)
Même si penser l’Europe en termes de « continent » relève donc de la fantasmagorie, l’idée continentale n’en a pas moins un but tout à fait essentiel. La représentation continentale a toujours appuyé une volonté de puissance ou de conquête. On n’a jamais autant découpé le monde en « continents » que durant la phase de colonisation au 19ème siècle. L’idée de « continuité spatiale » à l’origine du concept de continent, permettait de légitimer l’appropriation de tout espace contigu. Ainsi, une politique qui affirmerait la continentalité européenne ne ferait que reprendre la représentation géopolitique d’une Europe à conquérir. Notons que pour construire l’Europe actuelle, les stratégies fonctionnent par « contiguïté » territoriale d’Ouest en Est, mais elles se trouvent bien en peine de régler la question d’espaces « faussement » discontinus comme la Turquie ou le Maroc qui demandent pourtant leur intégration, ou de savoir jusqu’où intégrer les espaces contigus comme l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie.
• L’absence d’unité de peuplement et de développement
Ce morcellement topographique est renforcé par un éclatement total du peuplement, puisque l’Europe comporte des zones complètement dépeuplées (Nord scandinave, Massif central, highlands écossais) et des zones d’une densité extrême comme le Benelux. Ainsi la densité suédoise est-elle de 19 hab./km², celle des Pays-Bas est de 140 hab./km2, celle de l’Allemagne est de 220 hab./km². Quant aux écarts économiques, ils sont les mieux étudiés. L’alignement économique entre l’Allemagne, le Portugal, l’Irlande, la Pologne ou la Bulgarie n’est pas pour demain.
La conclusion est la même : il n’y a pas d’unité européenne sur le plan économique.
Europe : où les inégalités ont-elles augmenté ?
Carte et comparatif 11.12.2018 François Pène
[CARTES] Les inégalités ont-elles augmenté en Europe ? Quels sont les pays les plus égalitaires ? Les deux cartes ci-dessous répondent à ces questions.
Dès lors, on comprendra bien que le projet d’unité européenne qui court depuis le 19ème siècle apparaisse comme une utopie, sans lien avec les réalités géographiques. Certains fonctionnaires européens pensaient que l’ouverture des frontières au sein de l’Union européenne provoquerait un rééquilibrage en termes de peuplement, grâce à la fluidification des migrations (puisqu’il n’y a plus de frontières, tout le monde devrait aller partout, de l’accord de Schengen en 1985 au traité de Lisbonne en 2007).
Il se trouve que paradoxalement, peu de Suédois sont allés s’inscrire sur les listes électorales espagnoles, peu de Portugais sont allés en Grèce, peu d’Italiens sont allés au Royaume-Uni. L’ouverture des frontières n’a pas provoqué d’unification de l’espace européen en termes de peuplement. Cela correspond au fait que le principe d’une Europe géographique unique a peu de sens (ce qui ne signifie pas qu’une Europe politique n’en a pas).
• Les conséquences de l’utopie continentale face aux continuités maritimes
Frontières et territoires frontaliers en Europe : une visite guidée
La construction économique et politique de l’Europe n’a pas fait disparaître les distances et les enclavements, elle les a même renforcés (exemple de Kaliningrad fig.7) en s’appuyant sur un continent difficile à traverser au lieu d’organiser ce qui fut le seul mode réussi d’unification à savoir l’espace maritime.
En effet, la mer est le meilleur moyen de relier des péninsules et des archipels surtout lorsqu’il existe des zones montagneuses centrales qui rendent la mobilité plus difficile. Ainsi, les fédérations maritimes et la prise de conscience des enjeux ultramarins ont marqué l’histoire, la politique et l’économie européenne, plus dans le passé qu’aujourd’hui.
La première Europe fut celle du bassin méditerranéen, la deuxième Europe fut celle du bassin baltique et enfin la troisième fut l’Europe du « bassin atlantique » débouchant sur l’outremer. Ces trois visions de l’Europe ont été diluées de force dans le mythe d’une Europe continentale marginalisant dès lors les mers, les îles, les péninsules.
De véritables traditions « thalassotropes », grecques, danoises, vénitiennes, portugaises, espagnoles, britanniques, françaises, norvégiennes ont été neutralisées. Cette Europe de la mer n’est à l’évidence pas encore faite, l’Union ayant choisi la voie rassurante ou plus « germanique », du continent.
2. La strate « civilisationnelle » et les quatre aires européennes
L’Europe n’est pas une civilisation
• L’absence de mythe fondateur
Le principe du mythe fondateur est essentiel à un Etat. La France se retrouve dans le mythe de Clovis, les Etats-Unis dans l’arrivée des premiers colons et dans la fête du Thanksgiving. Plus un Etat est jeune, plus il a besoin de se trouver un mythe originel, qui permet de fédérer les opinions publiques, qui donne un substrat de croyances populaires à une construction juridique à laquelle la population doit adhérer.
Au moment de la Révolution française, les gouvernements successifs ont immédiatement transformé les lieux en symboles (la salle du jeu de paume, la Bastille), les personnages en héros, relayant la construction d’une mythologie par des commémorations citoyennes. L’Europe en tant qu’Etat en construction a les mêmes besoins mais ne dispose pas des mêmes ressources, non par manque d’événement à glorifier, mais au contraire du fait d’une histoire « trop riche ».
La première mention du nom d’Europe est l’anecdote racontée dans l’Iliade. Elle dépeint l’enlèvement de la fille de Phœnix par Zeus qui la transforme en vache. Cette histoire n’est nullement à l’origine d’une zone géographique qui existait pour les Grecs, quelque part au nord de la Grèce. La jeune « Europe » en question est asiatique et les amours ont lieu en Crête. On ne trouve pas véritablement, sur le plan symbolique, de relation directe avec une terre européenne.
Le terme même d’Europe, qui vient du grec Euréia ops, signifiant « au large visage », n’exprime pas non plus une relation particulière avec la construction d’un continent. Pour simplifier, les Grecs coupaient leur univers en trois : l’Europe, la Libye, l’Afrique, trois zones continentales entourant l’espace grec méditerranéen, avant tout centré sur « thalassa », la mer. Il est difficile d’aller chercher le mythe fondateur dans l’étymologie du nom, il est tout aussi difficile d’en chercher un au travers de l’histoire ancienne, médiévale ou moderne.
• L’absence d’unité culturelle, religieuse ou linguistique
L’Europe est caractérisée par une extrême variété de peuplements et de cultures, qui sont le fait de migrations et d’un brassage intense, ancien (depuis le néolithique) et continue, des populations. Cette histoire est le produit de la situation finistérienne de l’Europe face aux grandes migrations d’Est en Ouest qui caractérisent les 5 derniers millénaires. Le brassage est autant le fruit de la structure profondément isthmique de l’Europe, que d’une histoire ancienne et mouvementée que l’idée médiévale de Chrétienté Lucien Febvre dont le cours au collège de France en 1944-45 est compilé dans l’ouvrage L’Europe, genèse d’une civilisation, Perrin, 1999, pose l’idée que la Chrétienté concrétise la première tentative de création d’une Europe. ne saurait inclure toute entière.
On trouve ainsi en Europe des populations musulmanes à la présence très ancienne, dans des petits territoires comme la Bosnie, le Kosovo, mais aussi dans de grands ensembles comme en Turquie, sans compter les populations musulmanes issues de l’immigration et aujourd’hui bien européennes en France, en Allemagne, en Espagne ou au Royaume-Uni.
A côté de cela coexistent les religions issues des schismes chrétiens : catholique pour les Italiens, Espagnols, Portugais ou encore Polonais ; protestante pour les populations britanniques et germaniques, orthodoxe chez les Slaves, sans compter que la « Chrétienté » européenne pourrait très bien englober les Maronites libanais ou les Coptes égyptiens (que dire des limites de l’Europe chrétienne si l’on considère que l’un des pères fondateurs de l’Eglise, Saint-Augustin, est un berbère d’Afrique du nord).
Il n’existe en fait aucune unité religieuse en Europe, tant les rites et les populations sont divers. Il n’est pas non plus pensable que la Chrétienté soit moins « risquée » pour l’Europe dans la mesure où les conflits entre Chrétiens (prenons l’exemple Nord-irlandais) sont tout aussi sanglants que les tensions qui opposent Musulmans et Chrétiens.
L’unité culturelle de l’Europe n’est pas mieux fédérée que son unité religieuse. A la grande diversité des peuples correspond une multitude de nationalités, d’Etats, dont les limites ne coïncident presque jamais (toutes les populations d’Europe centrale et orientale sont éclatées en plusieurs minorités).
Une centaine de langues en Europe : la situation des langues minoritaires
Par Virginie Lamotte | 28 avril 2007
Virginie Lamotte, “Une centaine de langues en Europe : la situation des langues minoritaires”, Nouvelle Europe , Samedi 28 avril 2007, http://www.nouvelle-, consulté le
L’Europe des langues ne correspond à aucune limite territoriale. Certains Etats sont polyglottes comme l’Espagne, où l’espagnol, le catalan et le basque, sont tous les trois reconnus officiellement. L’Angleterre se trouve dans la même situation. A l’inverse, si l’on considère l’aire linguistique du français, on s’aperçoit qu’elle dépasse largement les limites territoriales de la France pour s’étendre en Suisse ou en Belgique, exactement de la même manière que l’allemand s’étend en Suisse, en Autriche, en Hongrie, en Pologne, en République tchèque, voire en Roumanie (25% de germanophones dans le Banat). Les Etats d’Europe ne correspondent, en termes de limites territoriales à aucunes limites culturelles, qu’elles soient religieuses ou linguistiques.
Même des aires de pratiques culturelles, comme celles distinguant « l’Europe du vin » et celle de la bière ou celle qu’on pourrait poser entre « l’Europe de la cuisine au beurre » et celle de « la cuisine à l’huile » transcendent le cadre des frontières territoriales. Sans jamais nier l’existence de nations en Europe, il est incontestable que la construction des Etats a échappé au principe d’unité culturelle.
La recherche d’une seule Europe qui pourrait-être le berceau des intérêts communs des peuples et des nations qui la composent aujourd’hui aboutit à une aporie, tant la diversité européenne frappe et s’accentue (une « balkanisation » de l’Europe fig.9 ).
Pourtant, les intérêts politiques et économiques mondiaux obligent les « Européens » à se mettre d’accord pour ne pas risquer à nouveau de tomber dans cette espèce de déterminisme historique qui en fait le lieu de dissensions et de guerres.
Si l’échelle continentale, l’échelle nationale voire l’échelle régionale semblent être des facteurs de discontinuité voire d’éclatement européen, il n’en n’existe pas moins, à une échelle des « aires géopolitique », des logiques de continuités, des histoires communes, des identités proches. Cette géographie permet de penser qu’il n’y a pas une Europe, mais des Europe(s) qui peuvent se compléter ou s’opposer. La typologie qui suit considère qu’il existe en fait non pas une mais quatre Europe, qui ont chacune existé dans l’histoire et qui ont, à un moment donné, fédéré des intérêts communs (à la fois pour leur aire, mais qui ont aussi entraîné toute les autres Europes).
• L’Europe méditerranéenne
Elle fut le berceau de la civilisation européenne et elle est pourtant celle qui est la plus marginalisée, notamment sur le plan économique. Elle doit en outre faire face à un problème majeur, avec la création en son sein d’une ligne de démarcation économique de type Nord-Sud (cf. TD M.Lours) qui provoque des tensions pouvant déstabiliser l’ensemble du continent européen, à l’exemple des Balkans ou de l’affaire algérienne. Elle représente un espace de développement potentiel susceptible de s’appuyer sur un tissu urbain dense, notamment parce-que la civilisation méditerranéenne s’est constituée autour des villes, qu’il s’agisse des civilisations de la Grèce antique ou de celles de l’Islam.
Elle peut aussi se prévaloir de la population non seulement la plus jeune d’Europe mais également la plus dynamique en termes de mobilité. Il suffit de penser aux multiples diasporas : espagnole, italienne, grecque, turque, algérienne, marocaine, libanaise ou albanaise. Dans cet ordre d’idée, les demandes de la Turquie et du Maroc pour entrer dans l’Union européenne ne sont pas dénuées de sens. Il existe plus de liens entre l’Espagne et le Maroc qu’entre l’Espagne et la Pologne. Il existe plus de proximité entre le sud de l’Italie et la Tunisie qu’entre l’Italie et les pays baltes.
L’Europe méditerranéenne a eu ses centres, la Grèce, l’Italie, la Turquie (on oublie très souvent cette dernière), qui tous, à un moment ou à un autre, ont fédéré et marqué fortement ce monde méditerranéen pétri de culture et d’histoire commune. Ici ce n’est pas le continent (la continuité des terres) qui fait l’unité mais bien le lien à une mer du milieu, une Mare nostrum.
La position de l’Union face à cet ensemble méditerranéen est assez ambiguë. Bien qu’il soit rehaussé du prestige de son passé , il est plutôt perçu comme un musée à conserver ou un marge à risque à neutraliser, que comme un espace économique à intégrer absolument. Les choix continentaux primant très largement sur les choix maritimes, l’intégration semble d’autant moins facile que les pays méditerranéens de l’Union, l’Italie, la Grèce et l’Espagne notamment, font déjà figure d’espaces périphériques par rapport au centre septentrional constitué par la mégalopole Londres-Lille-Bruxelles-Rotterdam-Hambourg et son Hinterland rhénan. On pourrait ajouter que le retard de certains pays méditerranéens est tel qu’il ôte toute perspective de développement à moyen terme et donc d’intégration à l’Europe. Le PIB/hab. est de 36000 $ dans l’UE contre 12000 pour le Maghreb et le Machrek.
Cependant le marché méditerranéen représente une population actuelle de 510 millions d’habitants (le même chiffre que l’Europe à 28). Il permettrait à une Europe démographiquement déclinante de compenser son problème de vieillissement dans la période 2020-2050 (problème qui obligera de toute façon l’Europe à faire appel à de la population immigrée), tout en offrant des débouchés à ses produits pour peu que les pays du bassin méditerranéen aient un pouvoir d’achat suffisant pour les acheter.
Cette intégration d’un espace méditerranéen à l’Europe répondrait sans doute aux attentes des pays de la rive Sud qui constituent à ce jour 70% de la population méditerranéenne et qui sont fortement instables.
Pourtant, l’Europe hésite à jouer son rôle de stabilisateur et de faiseur de paix dans cet espace (sauf dans le cas chypriote et dans la même ligne, face aux velléités turques d’exploitation pétrolières en augmentant de 30% son plateau continental méditerranéen). Il suffit de prendre les mauvais exemples du Maroc et du Sahara occidental, de l’Algérie ou du Proche-Orient pour s’apercevoir des faiblesses d’une Europe qui ne se pense pas comme centre de cet espace méditerranéen.
Ces préoccupations ont malgré tout débouché sur une ébauche d’organisation avec le premier plan d’action pour la Méditerranée (MEDA). La conférence de Barcelone en novembre 95 a mis en place un système de coopération avec l’Europe pour 13 pays non-membres, limitrophes de la mer Méditerranée, l’Union pour la Méditerranée (UPM) est créée en 2008. Cela montre que le débat pour l’intégration de cette Europe méditerranéenne existe au moins dans l’idée et dans quelques structures. Mais les buts actuels ne sont que d’ordre économique : maîtriser les flux touristiques, apporter un peu d’aide aux pays du Sud et faciliter le libre-échange, dont l’impulsion serait soutenue par un arc latin de la Catalogne à la Toscane.
En outre, aucun des objectifs affichés n’est atteint. Les parlements nationaux peinent à faire appliquer les conventions à destination de la Méditerranée, à l’image des différentes résolutions de l’assemblée nationale française. Les tensions au sein de cet espace sont renforcés par la crise migratoire en Méditerranée (et ses 20000 morts depuis 6 ans fig.10) dont le point d’orgue fut 2015 (853000 migrants en Grèce) et 2016 (180000 migrants en Italie), tout autant que par l’instabilité politique (Syrie, Lybie, Tunisie, Liban) et économique (Espagne, Grèce).
Les enjeux de cette ancienne Europe sont bien perçus par plusieurs acteurs mais ils butent sur le choix global d’une autre Europe que celle de la Méditerranée.
L’intégration des pays d’Europe centrale et orientale a recentré les intérêts européens sur les problématiques continentales. La Méditerranée idéalisée ou muséifiée est laissée à ses problèmes.
• L’Europe Nordique et Baltique
La deuxième Europe est l’Europe septentrionale, autour des mers du Nord et de la Baltique. Elle correspond aujourd’hui au principal pôle de richesse et de développement européen. Elle s’appuie, encore de nos jours, sur la synergie des anciennes villes de la Hanse, elle possède le meilleur réseau portuaire européen : Rotterdam, Anvers, Hambourg ou Copenhague, qui font rêver Marseille, Gêne ou Le Pirée.
Ces ports du Nord sont extrêmement bien intégrés économiquement, grâce à leurs hinterlands, notamment du côté de l’axe rhénan ou de l’Escaut. C’est à la fois l’espace le plus dense et le plus urbanisé d’Europe.
Il existe de plus une véritable unité culturelle de cette Europe baltique sur laquelle s’appuie un tissu économique dense. En voici un exemple : le groupe Orkla est le premier groupe multimédia et de presse scandinave. Cette entreprise, créée à partir d’un groupe industriel minier possède l’essentiel des magazines et des quotidiens de Norvège, de Suède, du Danemark, de l’Islande, une partie de ceux des pays baltes, de Gdansk ainsi que toute une série de parutions plus ou moins érotiques polonaises.
Le groupe en possède même à Saint-Pétersbourg et il investit massivement dans toute l’industrie multimédia européenne créant ainsi une espèce de conglomérat baltique de la communication. Répondant à une question sur les stratégies «nordiques » du groupe, un des dirigeants d’Orkla a répondu « Nous n’avons pas de stratégie baltique à proprement parler car notre stratégie est de faire de l’argent, mais il se trouve que nous avons des affinités avec cet espace dans son ensemble et il nous le rend bien : il y a beaucoup plus de facilité à acheter un quotidien d’une région balte qu’un autre ». La stratégie baltique du groupe est pourtant bien présente puisqu’un service de formation interne oblige les rédacteurs en chef à participer à des stages de communication pour mieux comprendre les spécificités de la zone.
S’il s’agit d’une des régions les plus développées du monde (20% du commerce mondial, 800 millions de tonnes de fret/an), foyer technologique (Medicon Valley – 600 entreprises, 22 hôpitaux et universités, 40000 employés – entre la Suède et le Danemark, Nokia, Ericsson, Skype fondé en Estonie en 2003…) et de peuplement (85 millions d’habitants), elle reste une marge pour l’UE, notamment à cause des tensions stratégiques ou politiques.
D’une part le repli identitaire peut être extrêmement fort (comme dans les 3 Républiques baltes) bloquant les interactions entre Etats, d’autre part cet espace ne peut rien faire sans l’Allemagne ou la Russie, et essaye de tout faire pour ne pas retomber sous la coupe de ces deux Etats (refus du terme de « nouvelle Hanse » trop germanique, ou renforcement des réactions de l’OTAN face à la Russie (fig.12).
Sécuriser la région nordico-balte
À l’Est de l’Europe, une transition difficile La Baltique, enjeu entre Europe et Russie
Le cas de la Pologne est exemplaire. Cette dernière se trouve partagée entre des intérêts continentaux (ses relations avec l’Allemagne au travers du développement de régions limitrophes comme la Poméranie ou la Silésie), des intérêts nordiques (les anciennes villes de Prusse orientale sont des hauts lieux de l’activité économique du pays) et même des enjeux internationaux puisque la Pologne est le seul pays de l’Union à partager une frontière commune avec la Russie (par l’enclave de Kaliningrad). Or il est évident qu’au travers de sa grande métropole baltique, Saint-Pétersbourg, et avec ses opérations militaires, la Russie joue un rôle de figuration dans cette zone (c’est aujourd’hui son principal accès vers les mers et océans occidentaux).
L’unité de la Baltique est là, les affinités culturelles, géographiques, économiques structurent un espace qui n’est pourtant pas intégré politiquement à l’Europe, les réticences politiques des pays des mers du Nord en étant la meilleure illustration (refus du vote sur la constitution européenne par les Danois, refus des Norvégiens d’intégrer l’UE).
• L’Europe du « Grand large »
Troisième Europe, l’Europe occidentale ou atlantique qui pourrait s’appeler « l’Europe du Grand large » parce-que, outre l’aspect plus poétique de cette expression, cela qualifie assez bien les pays qui en font partie : le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal et l’Espagne.
Qu’a-t-elle comme spécificités que l’Allemagne n’a pas et que l’Europe baltique ou méditerranéenne n’a pas ? Elle est marquée par des relations culturelles, politiques et économiques avec les Amériques, avec l’Afrique, avec l’aire Pacifique au travers d’une « outre-Europe » qui correspond à ses anciennes colonies. Ces pays ont été les plus grands colonisateurs. Ils ont développé, par la force et le commerce, des liens plus forts avec leurs colonies qu’avec leurs voisins européens, établissant parfois des consensus étonnants comme celui qui va unir la France et le Royaume-Uni dans la première moitié du 20e siècle (de la Première Guerre mondiale à l’affaire de Suez). Ses centres furent successivement la péninsule ibérique, la France puis le Royaume-Uni.
Cette Europe du grand large connaît une grave crise de reconversion de ses régions maritimes du fait (exemple britannique à l’appui) de la neutralisation de ces relations coloniales au profit de l’Europe continentale. Cela provoque autant une accentuation du déficit commercial qu’une perte nette de puissance internationale que l’Europe ne compense pas.
Par exemple, la France est une puissance moins du fait de son PIB (le 7e mondial en 2019, 6e en 2018) que de son rayonnement, à savoir ses intérêts et sa crédibilité avec l’Afrique, l’Océanie intertropicale, les Antilles ou l’océan Indien. Certains eurosceptiques français comme Charles Pasqua affirmaient au moment du débat sur le traité de Maastricht que la France avait autant d’intérêts en Europe qu’à l’extérieur de l’Europe. Ce point de vue, non dénué de sens, pose une alternative à cette Europe de l’outremer. Doit-elle se dissoudre dans l’Union actuelle, en coupant les liens avec ses anciennes colonies et en compensant cette relation par la puissance de l’Union ? Doit-elle s’affirmer et offrir ainsi à l’Europe une véritable dimension internationale qu’elle perd chaque jour au profit des Etats-Unis ? Pour ce qui est des Britanniques, le choix entre le marché commun et le Commonwealth est fait (alors que les Etats du Commonwealth ont majoritairement soutenu le « remain » Une majorité des membres, notamment africains et caribéens du Commonwealth redoutent le Brexit : grâce à l’adhésion du Royaume-Uni, ils étaient indirectement liés à l’Union européenne, à ses accords de libre-échange, à ses budgets d’aide au développement et à son sérieux budgétaire. Réciproquement, le Brexit n’assure pas au Royaume-Uni la possibilité de se réorienter vers le Commonwealth : en effet, tous les accents néo-impérialistes qui pourraient se manifester à Londres sont fort mal reçus dans le Commonwealth comme en témoigne l’accueil réservé à l’égard de l’initiative dénommée « Empire 2.0 ».
Même si le colonialisme a été le pire mode de relation que les Etats européens ont pu établir avec d’autres Etats, cette histoire commune ne peut pas être effacée, tant elle marque encore les esprits. Elle peut servir à montrer que les enjeux de l’Europe transcendent largement le territoire continental européen. La défense européenne est par exemple aussi importante en Europe de l’Est qu’en Afrique ou dans la Caraïbe. Tous les Etats qui ont perdu leurs colonies conservent des liens forts avec ces dernières, même lorsque les indépendances sont anciennes. Ces liens se manifestent dans les accords de coopération, dans les soutiens militaires (parfois certes très douteux), comme dans les processus de migration (les immigrés brésiliens constituent la première communauté au Portugal surtout depuis la crise économique brésilienne de 2015). En 2012, The Economist publie une carte des liens Facebook entre les anciennes puissances coloniales et leurs colonies.
Cette Europe occidentale de l’outremer, largement amputée par le départ britannique, est aussi un espace à risque majeur (réchauffement climatique) qui subira la crise de ses espaces littoraux tant qu’elle ne pourra jouer pleinement son rôle d’interface, en structurant cet « arc atlantique » qui reste extrêmement virtuel.
Ce dernier devait être concrétisé par la réunification des ports de la façade Atlantique, mais les accords se font entre ports en crise. Ils n’aboutissent finalement qu’à des partenariats universitaires qui occultent toute forme d’échanges économiques et bien sûr politiques. De plus, si une véritable interface était mise en place, elle devrait intégrer les ports et les Etats de l’Outre-atlantique aux ports européens. Le brexit a scellé son existence.
Face à cela, l’essentiel du budget européen concerne les zones agricoles continentales. L’Europe du Grand Large n’est pas à l’ordre du jour sans doute parce que les mémoires coloniales toujours brulantes ont été extrêmement mal gérées (en France, au Portugal, en Espagne, aux Pays Bas…), pour le grand bénéfice des Etats-Unis, de la Chine ou du Japon qui ont bien compris que dans la compétition économique mondiale, il fallait absolument se projeter et intégrer des espaces ultramarins.
Une majorité des membres, notamment africains et caribéens du Commonwealth redoutent le Brexit : grâce à l’adhésion du Royaume-Uni, ils étaient indirectement liés à l’Union européenne, à ses accords de libre-échange, à ses budgets d’aide au développement et à son sérieux budgétaire. Réciproquement, le Brexit n’assure pas au Royaume-Uni la possibilité de se réorienter vers le Commonwealth : en effet, tous les accents néo-impérialistes qui pourraient se manifester à Londres sont fort mal reçus dans le Commonwealth comme en témoigne l’accueil réservé à l’égard de l’initiative dénommée « Empire 2.0 ».
l’Europe occidentale ou atlantique qui pourrait s’appeler « l’Europe du Grand large » parce-que, outre l’aspect plus poétique de cette expression, cela qualifie assez bien les pays qui en font partie : le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Portugal et l’Espagne. Qu’a-t-elle comme spécificités que l’Allemagne n’a pas et que l’Europe baltique ou méditerranéenne n’a pas ?
Elle est marquée par des relations culturelles, politiques et économiques avec les Amériques, avec l’Afrique, avec l’aire Pacifique au travers d’une « outre-Europe » qui correspond à ses anciennes colonies. Ces pays ont été les plus grands colonisateurs. Ils ont développé, par la force et le commerce, des liens plus forts avec leurs colonies qu’avec leurs voisins européens, établissant parfois des consensus étonnants comme celui qui va unir la France et le Royaume-Uni dans la première moitié du 20e siècle (de la Première Guerre mondiale à l’affaire de Suez). Ses centres furent successivement la péninsule ibérique, la France puis le Royaume-Uni.
Cette Europe du grand large connaît une grave crise de reconversion de ses régions maritimes du fait (exemple britannique à l’appui) de la neutralisation de ces relations coloniales au profit de l’Europe continentale. Cela provoque autant une accentuation du déficit commercial qu’une perte nette de puissance internationale que l’Europe ne compense pas.
Par exemple, la France est une puissance moins du fait de son PIB (le 7e mondial en 2019, 6e en 2018) que de son rayonnement, à savoir ses intérêts et sa crédibilité avec l’Afrique, l’Océanie intertropicale, les Antilles ou l’océan Indien. Certains eurosceptiques français comme Charles Pasqua affirmaient au moment du débat sur le traité de Maastricht que la France avait autant d’intérêts en Europe qu’à l’extérieur de l’Europe. Ce point de vue, non dénué de sens, pose une alternative à cette Europe de l’outremer. Doit-elle se dissoudre dans l’Union actuelle, en coupant les liens avec ses anciennes colonies et en compensant cette relation par la puissance de l’Union ? Doit-elle s’affirmer et offrir ainsi à l’Europe une véritable dimension internationale qu’elle perd chaque jour au profit des Etats-Unis ? Pour ce qui est des Britanniques, le choix entre le marché commun et le Commonwealth est fait (alors que les Etats du Commonwealth ont majoritairement soutenu le « remain » …)
Même si le colonialisme a été le pire mode de relation que les Etats européens ont pu établir avec d’autres Etats, cette histoire commune ne peut pas être effacée, tant elle marque encore les esprits. Elle peut servir à montrer que les enjeux de l’Europe transcendent largement le territoire continental européen.
La défense européenne est par exemple aussi importante en Europe de l’Est qu’en Afrique ou dans la Caraïbe.
Du laboratoire au miroir : quand l’Afrique subsaharienne construit l’Europe stratégique
Bastien Nivet
Dans Politique africaine 2012/3 (N° 127), pages 135 à 153
LES OPERATIONS EXTERIEURES DE L’UNION EUROPEENNE EN AFRIQUE
Catherine SCHNEIDER, Professeur agrégée des facultés de droit,
Chaire Jean Monnet en droit européen – Directeur du Centre d’excellence Jean Monnet de Grenoble
Membre du Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes
(CESICE) Université Pierre Mendes France de Grenoble
Tous les Etats qui ont perdu leurs colonies conservent des liens forts avec ces dernières, même lorsque les indépendances sont anciennes. Ces liens se manifestent dans les accords de coopération, dans les soutiens militaires (parfois certes très douteux), comme dans les processus de migration (les immigrés brésiliens constituent la première communauté au Portugal surtout depuis la crise économique brésilienne de 2015). En 2012, The Economist publie une carte des liens Facebook entre les anciennes puissances coloniales et leurs colonies (extrait ci-contre)
Cette Europe occidentale de l’outremer, largement amputée par le départ britannique, est aussi un espace à risque majeur (réchauffement climatique) qui subira la crise de ses espaces littoraux tant qu’elle ne pourra jouer pleinement son rôle d’interface, en structurant cet « arc atlantique » qui reste extrêmement virtuel.
Ce dernier devait être concrétisé par la réunification des ports de la façade Atlantique, mais les accords se font entre ports en crise. Ils n’aboutissent finalement qu’à des partenariats universitaires qui occultent toute forme d’échanges économiques et bien sûr politiques.
De plus, si une véritable interface était mise en place, elle devrait intégrer les ports et les Etats de l’Outre-atlantique aux ports européens. Le brexit a scellé son existence. Face à cela, l’essentiel du budget européen concerne les zones agricoles continentales. L’Europe du Grand Large n’est pas à l’ordre du jour sans doute parce que les mémoires coloniales toujours brulantes ont été extrêmement mal gérées (en France, au Portugal, en Espagne, aux Pays Bas…), pour le grand bénéfice des Etats-Unis, de la Chine ou du Japon qui ont bien compris que dans la compétition économique mondiale, il fallait absolument se projeter et intégrer des espaces ultramarins.
• L’Europe médiane : entre Mitteleuropa et Ostpolitik
Cette quatrième Europe correspond à une zone continentale polarisée par l’Allemagne. Sous l’impulsion de cette dernière, elle est devenue le nouveau cœur de l’Europe, renforcé par le départ du Royaume Uni (Fig.14).
Ici, l’idée d’Europe continentale a du sens. Elle est concrétisée par à un point de vue partagé par les populations comme par les hommes politiques, conscients de toute une série de points communs.
Cette Europe s’articule autour d’un oligopole des capitales d’Europe centrale : Berlin, Varsovie, Prague, Bratislava, Budapest et Bucarest, dont quatre d’entre elles se situent sur le cours du Danube. Le réseau Rhin-Main-Danube est une véritable colonne vertébrale qui porte les pays limitrophes, constituant ainsi le plus grand axe de pénétration et de développement continental européen, à l’image de ce que peut représenter le Mississipi pour les Etats-Unis. Il est le meilleur moyen de désenclaver et de faire du commerce en zone continentale.
Le potentiel agricole de cette Europe (Pologne, Hongrie), son savoir-faire industriel et ses coûts salariaux très faibles (Pologne, Roumanie, Bulgarie) profitent à l’Allemagne, qui du fait de son vieillissement manque cruellement de main d’œuvre et peut, en outre, organiser son commerce extérieur à partir des faibles couts de production des PECO ateliers. L’élan politique de 1989 avait permis aux PECO de s’ émanciper du système communiste et d’adhérer à l’UE, à ses politiques libérales et à un système de migration intense Est-Ouest. L’Allemagne (contrairement à la France, position de tension visible au sommet franco-allemand du 29 avril 2018 ou tension encore plus flagrante avec l’opposition de l’Allemagne au projet d’Europe méditerranéenne) veut poursuivre ce processus (Ostpolitik) en intégrant les Balkans orientales le plus vite possible, avec comme principale visée finale l’Ukraine.
Depuis 2005, Angela Merkel dirige une Neue Ostpolitik fondée sur une occidentalisation « douce » de l’Ostmitteleuropa jusqu’à la Russie. Elle a d’ailleurs échoué car elle était ancrée sur l’illusion de l’occidentalisation par le commerce, à laquelle la Russie résiste (Les Allemands n’abandonnent absolument l’idée d’une occidentalisation de la Russie post-poutinienne, c’est pour cela qu’ils continuent de soutenir l’Ukraine, les ONG locales ou l’OTAN) ou même qu’ils ont favorisé la réalisation des gazoducs NORDSTREAM 1 et 2 malgré l’opposition des EU ou des pays baltes.
Nord Stream 2 : le gazoduc de la discorde
Ces infrastructures énergétiques ne sont que le prolongement du choix fait par l’Allemagne lors de la Guerre Froide de s’approvisionner en URSS et de construire ces gazoducs dans le cadre de l’Ostpolitik.
Pierre-Emmanuel Thomann
Le pivot allemand vers l’Ost-Mitteleuropa et les Balkans
11/05/2019
On peut tout de même s’interroger sur l’évolution de ses PECO intégrés, dans la mesure où une majorité de citoyens de Hongrie et de Pologne, de Slovaquie et de République tchèque, pays devenus prospères bien qu’encore en phase de rattrapage, adhèrent de moins en moins à des politiques libérales.
A l’évidence, on notera que l’intégration de la Russie dans cet espace n’est pas d’actualité, d’autant que cette dernière n’a pas envie de devenir une simple marge orientale de l’Europe, on la comprend.
S’appuyant sur cette géographie « des Europes », on peut dire qu’il existe quatre visions pour l’Europe.
Chaque zone considérée perçoit sa propre place et son propre avenir au sein de l’Europe, positionne ses centres et les différentes périphéries, délimite ses frontières et pense différemment les politiques de contrôle. Parce-que les fondements et les aspects à la fois historiques, géographiques, économiques, culturels et politiques existent de manière différente dans chacune de ces Europes, un Anglais pensera le Royaume-Uni au travers de cet appel vers le grand large ; un Danois pensera son intégration à l’Europe politique en liaison avec l’espace balte ; un Grec considérera l’intégration dans l’Europe comme indissociable de l’espace méditerranéen, tout comme un Espagnol ; un Allemand l’identifiera à son tour dans ses aspects continentaux, le regard tourné vers l’Est. Il existe donc plusieurs regards européens. Il faut être capable de les distinguer, avec chacun leur organisation spatiale, leur culture, leurs intérêts économiques et bien sûr, leurs ambitions politiques, non pour affirmer leur différence mais bien pour rechercher les moyens de les fédérer.
3. La strate étatique : les formes de l’Etat en Europe et ses conséquences (géo)politiques
3.1 les différents types d’Etat en Europe
l’Europe a connu toutes les formes de construction étatique qui ont caractérisé l’histoire politique. Dans cette histoire, nous pouvons reconnaître quatre modes de construction, quatre formes de l’Etat. selon un ordre pseudo chronologique, on peut les classer comme suit :
• le premier, l’Etat-cité
• le second, l’Etat-empire
• le troisième, l’Etat-nation
• le quatrième, l’Etat-fédération.
Il ne faut pas confondre le mode de construction d’un Etat et son mode de gouvernement c’est-à-dire que le fait qu’on construise un Etat-cité ou un Etat-nation n’a pas d’incidence directe sur le « régime » de cet Etat qui peut être une monarchie, une démocratie ou une république ou toutes autres variantes. D’ailleurs, si un Etat-empire est en train de se mettre en place en Europe, c’est à l’évidence au travers d’un mode de gouvernement démocratique.
• L’Europe de l’Etat-cité
L’Etat-cité a caractérisé la période antique qui a trouvé son apogée à Athènes au Vème siècle et ses limites avec la fin de la République romaine. Après la colonisation de la péninsule italique, puis celle progressive des Etats limitrophes, Rome était devenue une cité tellement importante qu’elle n’arrivait plus à gérer ses « banlieues » étendues sur tout le bassin méditerranéen. Le modèle d’Etat-cité a alors explosé au moment de l’avènement d’Octave, pour devenir un empire. Notons qu’il existe encore des Etats-cité en Europe (le Vatican, San Marino, Monaco, Andorre, ou le Luxembourg). C’est un mode de construction étatique qui n’est pas si rare et qui perdure dans d’autres zones géographiques avec des exemples très aboutis (Singapour).
• L’Europe des Etats-empire
L’Etat-empire est une construction ancienne. Ce n’est pourtant que tardivement qu’il connut son apogée en Europe, à la fin du 19e siècle. A cette époque, les pays européens, profitant des richesses accumulées grâce à la révolution industrielle, se dotent tous d’un empire. Certains sont alors en cours d’épuisement, comme l’empire espagnol, qui connaît ses plus graves revers dans la deuxième moitié du 19e siècle, notamment face à l’impérialisme américain (au Mexique, aux Philippines ou à Cuba). D’autres sont en cours d’affirmation, comme l’empire britannique et l’empire français. Enfin d’autres empires vont se créer de toutes pièces durant ce siècle, comme en 1871 l’empire allemand autour de la Prusse. Si l’on devait retenir une expression simple pour définir le 19e siècle européen, ce serait celui de « siècle des empires » ou des Etats-empire.
• L’Etat-nation en Europe
Le principe de l’Etat-nation est né en Europe, à l’époque des Lumières, avec Jean-Jacques Rousseau comme maître à penser. Cette idée traverse l’époque moderne et va secouer l’Europe au 19e siècle, pour devenir un principe quasi universel au 20e siècle. Pour reprendre l’exercice pratiqué précédemment, si l’on nommait le 20e siècle à partir de ses modes de construction étatique, il serait sans conteste le « siècle de l’Etat-nation ».
En Europe, la multiplicité des nationalités (preuve de cette absence d’unité et de cette grande diversité déjà évoquée) provoque les épisodes les plus dramatiques de son histoire. En effet, puisqu’il n’y a pas d’Etat sans territoire (cf. Kosovo) chaque nation désirant se doter d’un Etat doit d’abord aller à la quête ou à la conquête de son territoire. Comme les quêtes ont été rangées dans l’univers du mythe, c’est plutôt par la conquête que la construction s’opère. Et comme la plupart des territoires sont déjà occupés, chaque processus de conquête se manifeste par une guerre (à l’exemple de la tentative serbe de se construire un territoire national sur les oripeaux d’une Yougoslavie qu’elle a fait voler en éclats ).
Pour provoquer cette guerre de recomposition, Slobodan Milosevic a d’ailleurs profité d’un véritable « consensus » nationaliste qui trouvait des échos aussi bien dans le gouvernement croate que dans le gouvernement bosniaque.
Ex-Yougoslavie : la question de l’impuissance au cœur des années 1990
Ainsi toute construction territoriale d’un Etat nation au 20e siècle a débouché sur un conflit, le seul cas échappant peut-être à cette règle étant la Belgique (mais qui reste un Etat difficile à gérer avec 6 gouvernements…). La Première Guerre mondiale fut ainsi une tentative généralisée d’affirmation d’un territoire lié à une nation. Pour les empires il ne s’agissait que d’une stratégie géopolitique pour éliminer un adversaire mais pour les nations, cela correspondait au début d’une nouvelle ère politique. La Seconde Guerre mondiale reprend le même processus.
Ces deux guerres, marquent, en deux temps, la fin des Etats-empires au profit de l’Etat-nation. La Première Guerre mondiale met fin aux empires : austro-hongrois, ottoman, russe et allemand dans la mesure où ce dernier perd une partie de son territoire ainsi que ses colonies. La guerre de 1939-45 sonne le glas des empires coloniaux et annonce la dernière phase de création d’Etats-nation, la plus importante en nombre et qui touche indirectement l’Europe, à savoir la période de décolonisation. Même si l’on considère qu’à l’époque, ce sont plus des « coquilles » d’Etat-nation que des Etats-nation à part entière qui furent créées. Le débat reste d’ailleurs très ouvert sur la place de ce modèle politique en Afrique.
L’ONU, organisation des « Nations » unies, fondée sur le principe de la souveraineté de l’Etat-nation, est aussi à son apogée Pendant la Guerre froide, le fait que l’ONU soit LE LIEU d’affrontement politique entre les blocs ou les Etats manifeste de son importance. De la même façon, la preuve de sa marginalisation actuelle tient au fait que les grandes décisions géopolitiques mondiales se prennent ailleurs, au sein de l’Otan par exemple. . Le droit international qui est fondé strictement sur la souveraineté des Etats-nation -d’où l’incohérence avec les systèmes de types fédéraux comme la Yougoslavie- domine le monde. C’est dans ce système juridique que nous nous trouvons toujours aujourd’hui.
• L’émergence d’un fédéralisme européen ?
Quatrième et dernier type d’Etat, l’Etat-fédération. Il s’agit d’une construction originale, complexe, multiforme. Contrairement à l’Etat-nation, il n’y a pas un seul modèle d’Etat-fédération dans le monde. En Europe, nous avons l’exemple suisse, allemand, belge. On pourrait même penser que le « Royaume-Uni » est une forme originale de fédération (Ecosse, Pays de Galle, Angleterre, Irlande). Il y a d’autre part une aire géographique où le modèle fédéral domine en maître, du côté du « Nouveau Monde », avec les Etats-Unis mais aussi le Canada ou le Mexique, qui sont également des Etats fédéraux.
En Europe, le modèle tacitement admis -rien n’est explicite dans ce domaine-, est celui d’une confédération d’Etats, conservant leur souveraineté d’Etat-nation mais en aliénant une partie pour se mettre d’accord sur des points particuliers, essentiellement d’ordre économique.
Pour les Anglais, cela ressemblait plutôt à une AELE, une association de libre-échange. Pour les Allemands cela devrait tendre vers une véritable construction politique sur leur propre modèle étatique avec un double système représentatif, fédéral et national (ex : Bundesrat et Bundestag). Tous les Etats membres sont d’accord pour affirmer qu’aujourd’hui, avec une monnaie unique, avec une volonté affirmée de politique commune, l’Europe a dépassé le stade de la simple association de libre-échange économique. La question posée est donc sur quelles bases ?
• Une Europe confédérale ou impériale ?
En d’autres mots, qui dirige ? Par définition, la manifestation de la structure d’un Etat est la nature de ce qui le dirige. Est-ce la Cité ? Est-ce la Nation ? Est-ce la nation la plus importante dans l’Empire ? Est-ce une association de nations ? En essayant de comprendre qui dirige l’Europe, on peut entrevoir la nature de sa construction.
La formule d’« Europe des Etats » souvent employée est assez floue. Elle semble ne pas avoir beaucoup de sens dans la mesure où la République tchèque ou la Lituanie n’auront pas le même pouvoir en Europe que la France ou l’Allemagne. La présidence tournante, encore valable avant le traité de Nice (2004), risquait de confier la direction de l’UE à un Roumain ou un Chypriote. Pour éviter cela, le traité de Lisbonne (2009) a instauré un « TRIO », triumvirat de présidents, dirigeant pour 6 mois le Conseil de l’Europe (actuellement allemand portugais et slovène, autant dire allemand).
Cela pose encore la question de savoir jusqu’où les pays sont prêts à aller en termes de fédéralisme. Est-ce que chaque Etat pourra disposer d’autant de pouvoir que son voisin ? Ou s’oriente-t-on plutôt vers un autre type de construction ? Soulignons le fait que l’Allemagne réclame une représentation plus importante que n’importe quel autre pays d’Europe et le fait que les Français veuillent conserver un droit de veto en interdisant ce droit de veto aux nouveaux entrants. Tout cela indique que l’on s’éloigne très rapidement d’une construction de type fédéral. Ce à quoi nous assistons n’est rien d’autre qu’une hiérarchisation des pays au sein de l’Europe, en fonction de critères, certes tout à fait acceptables, comme leur poids économique, leur puissance politique, leur ancienneté dans l’Union. Mais il s’agit bien là de tractations pour une hiérarchisation des pouvoirs dans l’Etat-Europe .
Il ne s’agit ni d’une fédération, ni d’une confédération, mais d’un modèle d’Etat impérial. Car une association inégalitaire, avec certaines nations à la tête et d’autres marginalisées, voilà ce qu’est un Empire. A la date d’aujourd’hui, l’Europe tend vers ce mode de construction Etat-empire, avec les institutions qui confortent cette hiérarchisation des Etats.
Le fait qu’il s’agisse d’un empire dirigé démocratiquement n’annule en rien le fait que son mode de construction soit impérial. Le débat de fond pour les sommets européens est de savoir si cet empire est monocéphale, bicéphale ou oligocéphale. Ce fait, à lui seul, illustre parfaitement l’inscription du projet européen dans une problématique impériale et non fédérale. Si elle était bicéphale, l’Europe serait dominée par la France et l’Allemagne, tricéphale elle le serait avec le Royaume-Uni, oligocéphale et l’on pourrait ajouter éventuellement l’Italie et/ou un autre pays, mais dans tous les cas, il y a une hiérarchisation. Nous sommes donc assez loin de cette idée mise en avant d’Europe fédérale ou confédérale, dont le fondement politique serait que chaque Etat ait autant de prérogatives et de droits politiques que son voisin.
L’interconnexion entre les facteurs d’éclatement européen (strate géographique), la non prise en compte ou l’échec des grandes aires structurelles (Méditerranée, Baltique, Atlantique) et la construction hiérarchisée de l’Union européenne qui écarte les pays qui ne s’y reconnaissent plus (PECO, Royaume-Uni) constitue l’explication du blocage du processus européen, que la crise de la Covid-19 n’a fait qu’illustrer (fig.16).
4. La strate territoriale : réseaux et flux contre identités et régionalismes
On peut s’interroger sur la strate la plus pertinente pour comprendre l’Europe. Est-ce celle de l’ensemble morphologique, culturel étatique ou territorial ? Ce qui semble le plus effectif et le plus concret dans l’Europe d’aujourd’hui, ce sont les synergies entre régions, entre pays, entre les frontières. Paradoxalement, les partenariats, les flux transfrontaliers, les échanges, loin de standardiser l’Europe on réanimé les identités locales, les pays, les terroirs.
• Une Europe des flux et des réseaux
L’intensité des flux et des échanges en Europe s’appuie autant sur une conception politique des flux (1) que sur l’ancienneté des réseaux (2) ou la modernité des aménagements (3).
Le concept de liberté de circulation des personnes a changé de signification depuis les premières dispositions de 1957 (CEE). Elle portait alors sur la liberté de circulation des travailleurs et sur la liberté d’établissement. La pierre angulaire du traité de Maastricht (1992) avec la notion de citoyenneté de l’Union a fondé le droit des personnes à circuler et à séjourner librement sur le territoire des États membres. Le traité de Lisbonne a confirmé ce droit, qui est également ancré dans les dispositions générales relatives à l’espace de liberté. C’est d’ailleurs en cela que la crise de la covid-19 a très largement mis à mal l’un des principes fondateurs de l’UE (au même titre que la crise des migrants en 2015) au travers de la remise en cause des bases du protocole Schengen (accord en 1985 ratifié en 1990 entré en application en 1995).
La géographie européenne, pour morcelée qu’elle soit, n’en a pas moins permis l’apparition de grandes voies de communications, souvent depuis l’Antiquité. Les grandes plaines (plaine hongroise ou du Languedoc), les grands bassins fluviaux (Danube, Rhin, Main, Oder, Pô, Rhône, Loire, Seine), les grands seuils topographiques (Flandres, Bourgogne…), les principaux cols (Fréjus, Gothard ou Brenner) ou les principaux isthmes (Pas de Calais, Thrace, Calabre), sont autant de mailles d’un réseau ancien et densément utilisé.
Ces carrefours européens, autrefois centre des marchés antiques puis des foires médiévales, sont aujourd’hui aménagés d’infrastructures modernes, intensément utilisées, et très largement financés par l’UE.
Les transports représentent 9 millions d’emplois en Europe. Il existe quelques 210 000 kilomètres de voies ferrées, ou encore 52 000 kilomètres de voies navigables, 7 000 kilomètres de lignes ferroviaires à grande vitesse. Tandis que 49 aéroports européens accueillent chacun plus de 10 millions de passagers par an.
Le réseau ferroviaire est dense dans de nombreux pays européens. C’est notamment le cas en France, en Allemagne, en Italie, dans les pays scandinaves en Autriche ou en Hongrie. S’agissant du transport aérien, il est logiquement très important pour les pays insulaires comme Malte, Chypre et l’Irlande : les citoyens en dépendent pour voyager sur le continent. L’action de l’Europe a été à la fois de financer certaines infrastructure (le coût du tunnel transalpin de la Magdalena, autour de 8,3 md€ est financé à 40% par l’UE soit 3,4 Md€) ou d’influer fortement pour libéraliser les logiques nationales (comme en France) via le RTE-T . RTE-T, réseaux transeuropéens de transport (TEN-T ou Trans European Network) – Transport (complétés par les TEN – E pour Trans-European Network – Energy) sont un programme d’envergure de l’Union Européenne pour faciliter les flux ferroviaires long distance, de fret comme de voyageurs, et pour desserrer les contraintes transfrontalières en Europe. Ils bénéficient de financement conséquent de l’UE pour améliorer les infrastructures et pour en construire de nouvelles.
• Identités régionales, coopérations régionales, euro-régions.
C’est au travers de la politique régionale que l’Europe exprime une forme de réussite. Les organismes qui y contribuent sont anciens, comme la Banque Européenne d’investissement (BEI) ou le Fond social Européen (FSE) créé en 1958, complétés par le Fond Européen de développement et de soutien (FEDER) en 1975, des fonds de cohésion en 1994 et les plans de coopérations interrégionales (INTERREG) dont le dernier (INTERREG V 2014-2020) s’achève. Le résultat de ces politiques est assez paradoxale. Il a permis la création de 150 euro-régions (devenus GETC en 2006 Groupement européen de coopération territoriale et regroupées en GEC en 2013) qui ont profités à des « eurométropoles » comme Lille, Bâle, Turin ou Copenhague. Elles ne connaissent pas toutes le même développement (cela dépend des « strates inférieures » des réseaux en place) mais elles sont manifestement le produit de la politique européenne qui les a créées ou les a intensifiées.
Le paradoxe de cette réussite est la prolifération voire l’exacerbation des régionalismes. Ces derniers s’opposent aux politiques nationales (l’Europe en miette déjà illustrée précédemment), et pointent aussi très régulièrement la politique d’ouverture européenne (crise des migrants), comme ils critiquent le refus de l’UE de s’appuyer sur les identités locales (cf. l’hostilité extrême des institutions européennes aux indépendantismes écossais ou catalan). On se retrouve dans une contradiction entre des politiques qui favorisent économiquement les régions tout en refusant leur identité politique et culturelle. L’expression en 1960 de Denis de Rougemont « d’Europe des régions » semblent à nuancer.
Conclusion : l’Europe, un espace à risques
Quand les strates structurelles d’un espace ne sont pas bien articulées, quand elles font jouer chacune des lignes de faille, c’est l’ensemble de l’édifice qui est fragilisé. Parce que l’Europe a du mal avec sa réalité géographique, parce qu’elle a du mal à intégrer souverainisme et coopération fédérale, parce qu’elle n’arrive pas à fédérer l’Europe orientale et l’Europe méditerranéenne, elle est de plus en plus fragilisée et sensible aux aléas. On peut illustrer cela par trois types d’aléas, géostratégique, environnemental et politique.
• L’aléa géostratégique : tensions, conflits, guerres, et l’impossible défense
Le projet de paix était au cœur du projet européen. Cela n’a pas empêché 15 ans de conflits en ex-Yougoslavie ou la guerre qui fait rage en Ukraine. L’Allemagne avait déjà joué un rôle plus que douteux dans la partition yougoslave, en soutenant immédiatement la sécession slovène (1991), puis en envoyant un contingent militaire important au Kosovo. L’idée d’apparaître sur tous les théâtres d’opération, l’utilisation de l’OTAN contre la Russie, mais aussi de la Russie contre les Etats-Unis, la main mise sur les PECO, génère un risque majeur vis-à-vis de la Russie.
Pourquoi faire des programmes communs européens d’armement ?
Tout cela empêche la création d’une défense commune dans la mesure où les visées stratégiques sont très divergentes entre, par exemple, la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Il existe aujourd’hui un QG opérationnel européen (MPCC) pouvant, sur le papier, conduire une opération militaire sous mandat européen de 2500 hommes (assez modeste). La coopération militaire (PESCO) avance sur une vingtaine de projets communs (comme le drone européen MALE – moyenne altitude, longue endurance- entre la France l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie). Mais la dernière grande opération militaire (opération Sofia, mai 2015-mars 2020) pour le contrôle des migrants en méditerranée a été un échec. L’OTAN empêche toute forme d’émergence d’une défense autonome européenne (avec la bénédiction allemande). Enfin malgré une certaine remontée, les budgets de défense des pays européens restaient, en 2017, au niveau de 2005. Les dépenses de recherche et technologie ont atteint un plafond bas. Les guerres du 21e siècle ne ressemblent pas à celle du 20e siècle, et l’Europe est très clairement une zone de tension forte et de défense faible.
• L’aléa environnemental, l’Europe a de plus en plus chaud
Les spécificités géographiques de l’Europe, notamment l’importance des littoraux (148000 km sans compter les outremers…, 200 millions de personnes à moins de 50 km d’une côte) en fond un territoire très sensible au aléas climatiques et eustatiques. Malgré la création d’un fonds européen pour les affaires maritimes (FEAMP), il n’existe pas de gestion commune des littoraux comme des espaces maritimes. Le dérèglement climatique a aussi une action sur les inondations ou les épisodes de canicules, qui impactent directement le potentiel agricole européen. Le service climatique Copernicus de l’Union Européenne vient de rendre un rapport montrant l’accélération du réchauffement en Europe . La gestion des aléas pourrait constituer un chantier permettant de fédérer l’Europe, mais il produit plutôt l’effet inverse, chaque Etat mettant en place sa propre (non-) stratégie.
• L’aléa politique, la fin de l’Europe ?
Pourquoi une remise en cause de l’Union ? Le choix d’une Europe hiérarchisée, avec un poids dominant de l’Europe médiane pose deux problèmes d’éclatement. D’un côté les pays développés de l’Ouest ou du Nord ne s’y retrouvent pas, et peuvent préférer d’autres logiques géopolitiques, de l’autre certains Etats des marges centrales peuvent vouloir échapper à l’attraction allemande et se replier sur soi.
Les Anglais et le Brexit
Reprenons l’exemple de la marginalisation avec la vision britannique. Le premier problème qu’a connu le Royaume-Uni avec son entrée dans l’Union est la perte de sa prééminence dans le Commonwealth et la dégradation de ses relations économiques avec ce dernier (cf. tableau ci-contre). Outre les déficits économiques importants qui en résultèrent, ce fut en quelque sorte la fin de son empire. Auparavant, l’essentiel de ses investissements et exportations se faisait par la façade atlantique, dans ses relations avec le Commonwealth comme avec les Etats-Unis. La géographie britannique mettait en exergue son grand Ouest, au travers de grands ports internationaux (comme Liverpool), véritables débouchés de tout le cœur industriel anglais, des Potteries, de Manchester à Leeds ou à Sheffield.
En devenant une presqu’île (terme qui pourrait heurter l’opinion publique anglaise mais qui est avéré depuis la réalisation du tunnel sous la Manche) liée à l’Europe, les dynamiques de développement se sont déplacées vers le Sud-Est, à savoir dans la grande périphérie londonienne. Aujourd’hui, l’essentiel des relations commerciales comme des installations d’entreprises se fait dans cette zone.
Dans le même temps, une crise économique sans précédent a véritablement foudroyé les régions industrielles et portuaires vouées à l’économie extra-européenne (bien plus que la Lorraine ou le Nord français). C’est ainsi que la plupart des installations sont devenues des musées et que plusieurs ports n’ont plus vu la proue d’un seul navire (comme Bristol). Liverpool a perdu 40% de sa population par rapport à 1960. Cela représente des kilomètres d’entrepôts et de zones résidentielles vides, un véritable no man’s land de friches industrielles et de terrains vagues. Un film comme The full monty illustre avec humour l’état désespéré d’une ville telle que Sheffield, après la réorientation de l’économie britannique suite à son intégration à l’Europe.
Le Royaume-Uni gagne donc sur un plan mais se retrouve confronté à une crise très grave d’aménagement de son territoire. La crise est devenue politique, lorsque des régions plus développées s’intègrent beaucoup mieux à l’Europe que d’autres, comme l’Ecosse. Ce niveau d’intégration préférentiel permet à l’Ecosse de devenir plus indépendante par rapport au Royaume-Uni et crée ainsi de réels risques de voir l’« union » du royaume éclater. Dans cette Europe en construction, les Anglais semblent donc perdre beaucoup, ce qui explique le vote de toutes les anciennes régions industrielles anglaises pour le « Leave » et la sortie du projet européen.
Enfin, la montée des nationalismes et la remise en cause de l’Europe par des Etats périphériques (type Hongrie), entraînant une réaction souverainiste généralisée n’est pas un scénario impossible. La crise économique de 2008, la crise des migrants de 2015, le brexit (2016- 1er février 2020 officiellement, période de transition jusqu’au 31.12.2020, mais rien n’est réglé) ont enclenché un mouvement très inquiétant pour l’Europe, que la crise de la Covid-19 n’a pas neutralisée (malgré le programme d’aide économique sans précédent lié au Covid-19).
L’heure est plus à la déconstruction qu’à la construction.